Avec « Mari et femme », Régis de Sa Moreira, jeune auteur de 35 ans, trace son sillon discrètement mais sûrement au sein de la littérature nouvelle génération. Il a fait ses débuts au Diable Vauvert, en même temps que son confrère Nicolas Rey avec un premier opus intitulé « Pas de temps à perdre » en 2000. Toujours fidèle à la maison fondée par Marion Mazauric, il publie en cette rentrée littéraire ce quatrième roman qui faisait partie de la première sélection du prix de Flore 2008. A l’instar d’un David Foenkinos, il y explore le thème du couple et de l’usure du désir, à travers un roman flirtant avec le fantastique, amusant mais pas toujours très subtil…
« La première chose qui t’étonnes lorsque tu ouvres les yeux c’est le plafond de votre chambre.
Ça fait des mois que tu dors dans le salon.
Tu ne comprends pas. »
Bon, évidemment, dès les premières lignes, on a l’impression d’être dans « La métamorphose » de Kafka. Souvenez-vous : Gregor Samsa se réveille et se découvre en « monstrueux insecte »… Et bien, pour le héros de Mari et femme, c’est pareil ! Il se réveille et se rend compte qu’il a un autre corps : celui de sa femme. Ça en surprendrait plus d’un, c’est vrai ; en dépit des fantasmes. Mais il y a plus dérangeant : se retrouver dans le corps de sa femme quand on allait justement quitter cette femme ! C’est absurde, mais c’est amusant. Surtout pour les lecteurs, c’est vrai… D’autant plus que ce héros est un écrivain assez triste qui a du mal à accoucher d’un nouveau roman, que sa femme est une éditrice qui a rendez-vous avec un auteur de best-seller, un tantinet séducteur. Imaginez donc… Il va falloir se maquiller, se mettre en robe… Quelle histoire !
Cet échange de corps est en fin de compte tragique : on a ses maigres épaules, elle a notre ventre rebondi… Et les corps ont leurs habitudes : sucrette ou trois sucres avec le café ; elle tousse, j’ai la migraine… Litanie des dégoûts quotidiens, des incompréhensions. Régis de Sa Moreira pointe tout simplement du doigt l’errance d’un couple qui s’est laissé aller. Bien sûr, ces personnages m’ont parfois fait penser à l’essai « Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus », de John Gray. C’est donc un peu gros, c’est une caricature, mais ça fait quand sourire ! Peu importe la finesse, du moment que ça se tient, n’est-ce pas ?
Les phrases de Régis de Sa Moreira sont la plupart du temps courtes, percutantes et incisives. Elles découvrent, d’une certaine manière, le cœur du héros au scalpel. La dépossession de son corps l’expose en effet à son regard. Il se voit nu. Et s’étonne. Il apprend.
« Tu admires toutes les femmes en fait, tu les regardes une à une dans le wagon, tu sais qu’elles partagent le même secret, et tu te rends compte que les hommes ne s’en rendent pas compte. »
La narration à la seconde personne, qui interpelle le héros (et le lecteur), renvoie donc continuellement à ce dernier un sentiment d’étrangeté. Elle convient très bien au thème, à cet échange de corps, à ce sentiment d’être perdu. Et j’ai même parfois décroché ! Le « ta », le « tien », le « son », le « sa » correspondent-ils au corps du mari ou à l’esprit de la femme dans ce corps ? Au corps de la femme ou à l’esprit du mari dans cet autre corps ?
La vertu de ce livre est sans doute de débattre avec humour du couple harmonieux. Comprenons donc, peut-être, cette harmonie comme l’alliance de deux personnes, d’intérêts communs et de désirs différents, qui doivent avoir suffisamment le souci de l’autre pour se décentrer. Le danger dans un couple est en effet de confondre l’indépendance avec l’indifférence (ou les marques d’intérêt avec la dépendance, d’ailleurs). Nous aurions donc le devoir de nous mettre un minimum à la place de l’autre pour saisir un fonctionnement qui nous est étranger, mais dont la perception a au moins deux avantages. Le premier, c’est la connaissance de soi avec ce miroir qu’est l’altérité. Le second, c’est la facilité qu’il y aurait ensuite à ne pas s’opposer à l’autre avec rudesse, sans le comprendre. Et comprendre ne signifie bien sûr pas, dans ce cas, tout accepter mais plutôt faire preuve d’empathie ! Ce faisant, cette empathie donne à l’autre le sentiment d’exister, puisqu’il est reconnu tel qu’il est, et d’avoir réellement un compagnon de route… N’est-ce pas merveilleux ?
Evidemment, je ne vous raconte pas la fin. Ni la moitié du récit, d’ailleurs. Car, bon, la grande question concerne la fin de ce livre. L’opposition entre les sexes semble tellement conventionnelle qu’on se demande quel en sera le message. Cette histoire de se mettre à la place de l’autre peut quand même paraître dépassée, non ? Même les féministes en sont revenues (enfin les plus honnêtes) : « une femme n’est pas faite pour être comprise, mais pour être aimée ». Laisser croire le contraire a justement contribué à créer la crise masculine, dont David Abiker s’est fait l’écho dans son Musée de l’homme. Sa Moreira ne va pas terminer en happy end, tout de même ! Si !? Certains affirment pourtant que la littérature n’est pas le royaume des bons sentiments !.. Peut-être qu’il va nous expliquer qu’un couple harmonieux n’est que la projection fantastique d’humains désespérés… C’est bien plus trash, non ? Et puis, au fait, si ça parle de corps, ça peut bien parler de sexe, aussi ? C’est peut-être même une question de salut…
A vous de lire… et de débrouiller tout cela ! [Gwenaël Jeannin]
A lire en complément : une interview de Régis de Sa Moreira
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