Salon de l’édition indépendante « L’autre livre » : interview de Francis Combes, son président, « Préserver la bibliodiversité française »

« L’autre livre » organise le 6ème Salon de l’édition indépendante du 28 au 30 novembre 2008 de 11h à 20h à l’Espace des Blancs Manteaux, 48 r vieille du Temple, PARIS 4ème. Ce salon permet de découvrir la production littéraire de 165 éditeurs français ou étrangers revendiquant leur « bibliodiversité ». Intrigués par ce concept, nous avons voulu en savoir plus avec Francis Combes, son président qui a bien voulu nous éclairer sur la situation et les spécificités de l’édition indépendante en France.

Que signifie l’expression « L’autre livre » que vous utilisez comme titre de votre salon et qu’appelle-t-on exactement « édition indépendante » ?
Depuis des années, à l’occasion du Salon du livre de Paris, nous nous retrouvions, à plusieurs éditeurs, pour échanger sur les possibilités de résister face à la création d’un monopole de l’industrie du livre avec, sa mainmise sur la diffusion-distribution et les médias. En 2003, nous avons décidé d’organiser notre propre Salon du livre. Mais dans notre esprit, il ne s’agissait surtout pas d’organiser un mini ou un contre salon mais de créer un événement permettant aux éditeurs indépendants de présenter vraiment leur production et leur particularité éditoriale… Donner à nos amis lecteurs la possibilité de découvrir « d’autres livres ».
Pour mener à bien ce projet, il était indispensable de se constituer en association. Son nom L’autre Livre a été une évidence, puisque notre but n’est pas de combattre les livres des auteurs édités par les industriels du livre mais bien de permettre qu’existent à leurs côtés « d’autres livres » mis à la disposition du plus grand nombre de lecteurs possible.

En quoi l’édition indépendante propose-t-elle aujourd’hui une autre démarche/approche littéraire ?
Au-delà de l’organisation des 6 premiers salons des éditeurs indépendants, l’association a permis une réflexion commune sur les moyens à mettre en OEUVRE pour résister à la « pensée unique » ; de trouver des armes pour ne pas plier devant la marchandisation du livre ; de constater que les éditeurs des autres pays connaissaient les mêmes difficultés du fait de la « mondialisation ».

Aujourd’hui les grandes maisons d’édition proposent tout de même une grande diversité d’auteurs et de romans, pourriez-vous donc détailler, d’un point de vue littéraire, ce que vous entendez par « résister à la « pensée unique ». Comment cela se traduit-il dans la ligne éditoriale des petits éditeurs ?
Confier la sélection de tous les manuscrits à une seule multinationale dont l’édition n’est qu’une des activités au même titre que l’armement (Hachette Livre qui représente la moitié du chiffre d’affaires du livre n’est en fait qu’un secteur du groupe Lagardère, autrefois impliqué dans Matra et, qui après les modifications dans ce secteur, contrôle le géant européen de l’aéronautique et des industries d’armement EADS) ne favorise pas la diversité des points de vue !
Par ailleurs, la bibliodiversité ne s’exprime pas seulement dans l’originalité des histoires romancées ni même dans l’audace du style expérimenté, mais dans la variété des domaines littéraires couverts par l’édition indépendante. La poésie contemporaine n’aurait pas son marché si des éditeurs indépendants, comme Le Temps des Cerises ne lui consacrait pas une place conséquente de son plan éditorial. Les éditions d’écarts ou La chambre d’échos donnent à la nouvelle une seconde vie après sa disparition des colonnes des journaux. Les éditions Delga contribuent à la pensée critique. Le Petit pavé apporte sa pierre à l’histoire sociale ou régionale. Etc.

Quelle est la situation actuelle de l’édition indépendante en France ? L’avenir est-il plutôt sombre ou au contraire prometteur ?
Les éditeurs dits indépendants (c’est-à-dire n’appartenant pas aux grands groupes qui dominent l’édition française) sont bien sûr très divers, tant du point de vue de leurs choix éditoriaux que du point de vue de leur situation professionnelle. Et ils n’ont pas la « vérité infuse »… Mais ils comptent dans le paysage de l’édition française. Sur environ 3000 éditeurs recensés, 2800 sont considérés comme des « petits éditeurs » (au regard de leur chiffre d’affaires, inférieur à 500 000 euros par an). Leur poids économique est modeste (environ 1 % du chiffre d’affaires de la profession). Mais leur rôle culturel est important. A un double titre. Ils jouent un rôle décisif dans certains secteurs éditoriaux, comme la poésie, la nouvelle, la pensée critique, l’histoire sociale ou régionale, où ils assurent une part essentielle de la création. De plus, par leurs liens avec les auteurs et les lecteurs, par leur mode de fonctionnement et leur présence sur le terrain, ils ont une activité de « proximité », comme on dit aujourd’hui ; activité le plus généralement mésestimée. On peut même dire que cette fonction sociale dans la cité n’est ni connue ni reconnue. En fait, la situation matérielle de la plupart des petits éditeurs est loin d’être florissante. Beaucoup (pour ne pas dire la grande majorité) ne réussissent même pas à se payer. Et, confrontés en permanence à des problèmes de diffusion et de trésorerie, leur existence est difficile et précaire. Aujourd’hui, dans le contexte de la crise financière et de la récession économique mondiale, il faut faire beaucoup plus et autrement si l’on veut préserver cette composante de la « spécificité culturelle française ».

Quelles sont selon vous les maisons d’édition indépendantes les plus dynamiques en France et quels sont ses derniers succès les plus notables (conseils de lecture bienvenus) ?
L’édition indépendante est très vivace. La vitalité créatrice du secteur est réelle : l’ensemble de ce qui est publié est souvent de qualité. L’association n’a pas vocation à promouvoir un best seller déjà médiatisé. En effet, L’autre livre rassemble 165 éditeurs en plein centre de Paris pour offrir au lecteur le choix de la diversité. Pendant 3 jours, il pourra ainsi découvrir « d’autres livres » dans le cadre d’un grand salon gratuit.
Puisque vous insistez pour mettre en avant certaines maisons, je vous invite à découvrir Les Éditions du Sonneur (stand C2-C4) qui ont publié 15 titres dont des textes inédits et des textes oubliés ou méconnus dignes de vivre ou de revivre comme Ce que la vie signifie pour moi, de Jack London ou Leçon d’écriture, de Jules Renard.
De son côté, les éditions Recherches (stand D16-D18) offrent depuis 1977 une double prise de conscience, mettant en évidence l’insuffisance d’une architecture sans questionnement et la nécessité de construire un enseignement supérieur fondé sur la recherche, avec notamment Jean Louis Violeau, Les architectes et Mai 68. En provenance du Canada, Les Écrits des Forges (stand A6), maison vouée exclusivement à la publication de la poésie depuis 1971, dont Ode au Saint-Laurent de Gatien Lapointe, plusieurs titres de Eugène Guillevic, plusieurs anthologies de poètes de différents pays ainsi qu’une collection importante de poètes hispanophones. Depuis la Suisse, Les Éditions du Héron (stand A8-A10) propose de découvrir Pierre Drogi, François Maubré et Josèphe Chignier (dont ils ont édité le premier ouvrage), aux côtés de Tahar Bekri, Richard Rognet, Danièle Corre, Bernard Heidsieck.

Et enfin conseilleriez-vous à un jeune auteur aspirant à la publication de s’orienter vers l’édition indépendante pour parvenir plus facilement à être édité(e) ? Pourquoi ?
Un jeune auteur ne se fera pas éditer « plus facilement » chez un éditeur indépendant. En revanche, si son ouvrage est davantage spécialisé ou correspond à une ligne éditoriale précise, il trouvera une oreille plus attentive en ciblant bien son éditeur.

Salon ouvert au public du vendredi 28 au dimanche 30 de 11h à 20h (vendredi jusqu’à 22h) – Inauguration vendredi à 19h
ENTREE GRATUITE
Plus d’info : Le site de L’autre livre