Interview de William Réjault (Ron l’infirmier) « Quand le matériel de départ est bon, blog ou pas blog, le talent finit par être reconnu, sur du long terme. »

A l’instar du pionnier français « Max » (aujourd’hui disparu de la circulation ?), William Rejault alias Ron l’infirmier s’est fait connaître par son blog (lancé en 2004) dans lequel il racontait son quotidien d’infirmier sous forme d’anecdotes et de tranches de vie bien senties et parfois émouvantes. Une sorte de série « Urgences » façon blog. Très vite le succès est au rendez-vous: sa verve et la justesse de son regard sont plébiscitées par des internautes chaque jour plus nombreux, alimentant le bouche à oreille autour du jeune auteur. Contacté par les éditions Privé, il accède au sésame de la publication papier qui fait tant rêver, en 2006, suivi aujourd’hui d’une sortie poche (revue et corrigée) de ce premier recueil de nouvelles aux éditions J’ai lu, tout en sortant en parallèle une « saison 2 » intitulée « Quel beau métier vous faites ! ». Il a accepté de revenir sur toute cette aventure, ses déboires et ses joies, et de nous livrer son regard sur l’essor des livres issus de blogs (blog-book : « blook » selon le terme anglais) :

Pouvez-vous nous expliquer comment s’est passé le passage du blog au livre ? Quelles ont été vos démarches ? Qu’en est-il de la rencontre/le travail avec votre éditeur (aviez-vous essayé de contacter plusieurs éditeurs, etc.) ?
Le passage du blog au livre a été ultra-simple : contacté par un éditeur, Guy Birenbaum, qui lisait mon blog, celui-ci me demande de lui fournir un manuscrit. N’ayant aucune idée particulière de ce que je veux mettre dans ce manuscrit, je prends les nouvelles les plus commentées, les plus lues, les plus marquantes écrites depuis deux ans. Le contrat est signé dans la foulée, deux jours plus tard, avec lui. J’avais déjà été approché par d’autres éditeurs dans le passé mais aucun ne me donnait de garanties suffisantes pour que je signe chez eux… Par garanties, j’entends le respect de mes intentions autour du texte (je ne veux pas faire pleurer dans les chaumières, je reste sur un format « nouvelles ») et…un « nom » que je connaissais. Nous avons travaillé avec Marianne et Virginie, toutes deux éditrices chez Privé autour du livre, les nouvelles ont été étoffées ou parfois vidées de leurs connotations « blogs » mais le résultat final reste très proche de ce que j’avais écrit.

Comment s’est déroulée l’écriture ? Votre livre est-il une adaptation fidèle de votre blog : l’un a-t-il nourri l’autre et dans quelle mesure ? Combien de temps cela vous a-t-il pris et quelles ont été les difficultés ?
Mes textes ont été écrits au petit matin, chaque jour, pendant des semaines, souvent avant de partir travailler, ce qui explique le besoin d’un format court : la nouvelle. Je mettais un cliffhanger à un texte dont je sentais que j’allais devoir le finir le lendemain mais je m’organisais le plus souvent pour avoir une nouvelle complète écrite en soixante minutes, en ligne à mon départ, chaque matin. Le livre est entièrement tiré du blog, sauf trois nouvelles inédites (dans le format poche), entièrement, et le blog n’était, avec le recul, que le brouillon public du livre. Je me suis lancé sur ce format parce que je le maîtrisais plutôt bien, depuis longtemps, je suis un fan des « Hitchcock présente », ces recueils de nouvelles fantastiques dont il existe trente et quelques volumes et j’ai toujours aimé voyager sur quelques pages avec un auteur, dans un monde, avant de le lâcher pour un autre univers. Pour mes nouvelles médicales, je pensais souvent à… Bourdieu, voulant décrire de la façon la plus juste et la plus emphatique possible les patients que je croisais : je n’écris pas pour juger, pour raconter, je veux simplement décrire et poser un contexte social entourant un comportement humain. Le roman contemporain m’ennuie, la plupart des livres me tombent des mains, je suis issu d’une génération zapping et internet : j’ai beaucoup de mal à me concentrer sur un livre plus d’une quarantaine de minutes. La nouvelle est le format qui me parle le plus. J’évolue avec le temps, je m’enhardis et mon troisième livre sera (enfin) un roman à la « Lucia Etxebarria« , qui me fait tant rire.

Quelles vos références littéraires personnelles. Carver, maître de la nouvelle en fait-il partie ?
Je ne connais qu’un seul Carver, Elliot Carver, un méchant dans James Bond ! Dino Buzzati, plutôt…

Pourriez-vous nous confier quelques uns de vos auteurs culte personnels ?
Nicole de Buron (« Dix jours de rêve », la légereté et l’humour), Jacques Roubaud (la poésie dans le quotidien : « Tokyo Infra-ordinaire ») ou Philippe Forest (« Tous les enfants sauf un ») pour sa description clinique de la maladie, de la mort d’un proche, son analyse du chagrin.

Comment s’est passée la sortie de votre livre broché « La chambre de Camus », l’accueil des lecteurs et si possible le nombre d’exemplaires vendus (une fourchette ou estimation si vous n’avez pas le chiffre exact) ? Même question pour la sortie poche (quelles sont les conditions pour passer en poche) ?
La sortie de « La Chambre d’Albert Camus » s’est très mal passée, de mon point de vue d’auteur, forcément différent de celui de mon éditeur. Je ne souhaite plus jamais en parler, c’est un concentré de toutes les bassesses qu’on peut faire vivre à un auteur (on s’en remet) comme à un livre (qui ne s’en remet pas). Je n’ai rien contre Guy Birenbaum, je le croise encore régulièrement avec plaisir mais la sortie de mon premier livre est un souvenir douloureux : je ne veux plus rentrer dans les détails. Qu’il soit d’accord ou pas avec mon point de vue ne change rien, j’ai très mal vécu cette sortie…mais j’en ai tiré des enseignements ! Pour résumer, il y a des choses qu’un jeune auteur doit laisser pisser, pardonnez-moi l’expression, car rien n’est parfait en ce bas-monde, d’autres avec lesquelles il doit composer (l’attachée de presse mériterait un livre à elle seule) et d’autres enfin sur lesquelles il faut tenir bon. J’ai plus tard rencontré un agent à qui j’ai confié tous mes malheurs de jeune débutant, elle m’a laissé parler toute une soirée avant de me donner un excellent conseil : « arrête de te plaindre et travaille. Pendant que tu gémis contre ton éditeur, d’autres écrivent le prix Renaudot ». Je me suis donc remis au boulot ! L’accueil des lecteurs, de la presse, des médias a été excellent, j’étais ravi, vraiment, ce n’est pas tous les jours que vous passez au 20h de Claire Chazal ! De même pour la sortie poche qui s’est faite de façon très naturelle, « J’ai Lu » achetant les droits, une série télé était même envisageable au moment de signer ce contrat poche : j’étais aux anges, un producteur posait une option sur mon roman ! Je salue d’ailleurs Florence Lottin, chez « J’ai Lu », qui a su insuffler à la version poche une deuxième vie, en secouant le livre de nouveau.

Quelle est la ou les nouvelles que vous préférez dans « La chambre de Camus » ou celle(s) vous ayant le plus marqué à l’écriture ou ayant eu le plus de retentissement sur votre blog… ?
La nouvelle qui m’est le plus chère est la toute première écrite, un jour de premier décembre 2004, alors que je me souvenais d’un jeune patient mort du Sida dans mes bras, François. J’ai osé évoquer son souvenir et les réactions ont dépassé toutes mes attentes : les lecteurs étaient touchés, émus et ils voulaient en savoir plus sur moi, mes patients. Cette nouvelle est l’acte fondateur de ma « carrière » d’écrivain, j’ai ensuite osé raconter d’autres épisodes, d’autres tranches de vies, enhardi par les encouragements sur le blog. Cette nouvelle est dans la « Chambre d’Albert Camus » une de celles dont on me parle encore le plus, régulièrement.

Quel regard portez-vous sur le marché des blooks en France, après les expériences de Bénédicte Desforges (Flic), Anna Sam (la caissière) ou encore de Brad Pitt Deuchfalh… ? Pensez-vous que le blog soit un bon tremplin pour lancer un livre ou pour l’écrire ? Quels sont vos coups de coeur blogs (plumes de talent) personnels, hors ceux cités ci-dessus ? Auriez-vous des conseils pour les jeunes auteurs en herbe qui souhaiteraient tenter l’aventure à partir d’un blog ?
Je connais très bien le livre de Bénédicte Desforges : ses textes, issus d’un blog, aurait pu naître partout ailleurs tant ils étaient bon, le blog était là, elle s’en est servi, point. Elle aurait eu le même succès en gravant du marbre en forêt de Chenonceau, quand le matériel de départ est bon, blog ou pas blog, le talent fini par être reconnu, sur du long terme. Anna Sam a écrit un excellent livre dans l’air du temps, quand à Brad, son insuccès provient paradoxalement de l’aura de mystère savamment entretenu qui a entouré son blog : trop de buzz tue le buzz. Le livre était bon mais le marketing autour a dénaturé l’humain dedans. Qui se souvient que le livre de Brad était un concentré d’humour et de belles choses simples ?
Je ne saurai vous donner des conseils de lecture sur internet, je lis peu et sûrement pas de blogs littéraires en ligne, un livre, pour moi, c’est dans le canapé ou les transports en commun. Par contre, avec quatre ans de recul, oui, mille fois oui, un blog est un tremplin, une carte de visite, un CV indispensable pour un auteur, qui trouve un terrain de jeu public et surtout un contact avec le lecteur : combien de mauvais manuscrits resteraient au chaud si leurs auteurs laissaient un peu lire leurs lignes à d’anonymes curieux, un bon paquet d’arbres seraient épargnés. Ecrire en ligne est très stimulant : on apprend vite, pour peu qu’on veuille lire les commentaires, à être efficace, donc meilleur. Tel passage est obscur, tel mot ne veut rien dire, telle phrase est drôle. C’est le grand oral tous les jours, avec ce frisson : mais QUI donc va me lire ? On a parfois de sacré surprises quand les mails débarquent pour vous féliciter ou vous incendier. Je suis aimé par de respectables profs de facultés qui veulent rester anonymes, par des fleuristes qui veulent devenir infirmières ou par d’anciens condisciples qui me trouvent aussi nul à l’écrit qu’en service !

Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre deuxième livre qui vient de paraître « Quel beau métier vous faites » ? Avez-vous connu le syndrome du « deuxième roman » (le plus difficile à écrire selon les écrivains en général) ? A-t-il de nouveau été écrit sur la base de votre blog (et pourquoi ce choix ?) ? Aviez-vous le sentiment de ne pas avoir déjà tout dit dans le premier sur votre métier ?
Mon deuxième livre étend un peu plus loin l’univers du premier : je parle de quarante autres patients, dans d’autres domaines, à d’autres moments de ma vie professionnelle et puis, à la fin, je parle de moi, pour une fois, quand la maladie me touche de plein fouet. Je n’ai pas connu le syndrome du deuxième roman car j’avais trop de matériel pour le premier, j’ai dû donc laisser de coté certaines nouvelles en sachant qu’il y aurait un deuxième volume. J’ai ensuite demandé à mes lecteurs s’il y avait des thèmes que je n’avais pas abordés et je me suis laissé guider par leurs propositions, écrivant des nouvelles autour de mots-clefs, de prénoms, de vieux souvenirs que je reliais à leurs envies : en refermant le deuxième livre, je me suis dit que je devais peut-être désormais passer à autre chose. Je n’ai pas eu de mal à écrire le troisième, qui tourne encore autour du milieu médical mais je vais le laisser de côté, pour un temps. J’ai envie de faire rire, de faire du léger, de parler un peu de sexe, avec des mots crus. J’ai envie de quitter les chaussures de Ron, aussi, et de voir comment ça fait quand on écrit un roman. Ceci dit, la nouvelle, c’est quand même tout un art… Et c’est vraiment mon truc ! Si je me fourvoie sur du « long », je me maudirai d’avoir trop écouté les éditeurs, qui ne croient pas aux nouvelles, genre maudit dans ce pays. Mon quatrième est donc prêt et sera le prochain…Mais il y aura une surprise en 2009, d’abord !

Remerciements à William Rejault pour le temps accordé (et sa réactivité !)

Le nouveau blog de William Rejault : Mes amis m’appellent Will
Le blog originel ayant donné lieu au blook : Ron l’infirmier

7 Commentaires

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  1. Elle est très bien menée, cette interview, bravo. Et les réponses sont évidemment intéressantes. Puissent les aspirants-auteurs la lire et en tirer la conclusion. On peut être "assez correctement publié" sans connaître personne dans le milieu de l’édition. Et même sans se ruiner en photocopies et en frais d’expédition.

  2. Oui georges F mais à condition de faire des textes ultras commerciaux, un peu faciles et émouvants issus d’un blog qui est déjà connu.
    Pour moi william pourra parler vraiment d’édition quand son premier "vrai" roman sortira. Ceci dit d’après les bouts qu’il en a publié ça ne sera vraiment pas mal en plus… Mais l’éditera-t-il aussi facilement? Et sera-t-il pris un jour comme un "auteur sérieux" et pas comme un vague "infirmier auteur amateur" ?Je lui souhaite mais je n’en suis pas si sûr…

    yann

    PS: et cet extrait est très émouvant certes, mais assez faux: normalement c’est le médecin qui annonce le décès et ensuite on fait venir la famille ("votre mère va très mal ce matin") avant d’annoncer le décès (sinon gros risque d’accident de la route…).

  3. Conclusion: quand on se croit essentiel au monde on récolte tout ce que les autres ne veulent pas faire, on se met soi même dans des situations intenables…
    Pour ma part je t’assure que ce sont toujours les médecins qui annoncent les décès, et ils n’ont même pas le début d’un quart de choix.
    Mais bizarrement, quelque chose me dit que pour faire vendre du papier, dire que c’est le médecin qui appelle, c’est moins vendeur.
    CQFD?

    Ps si j’ai l’air un peu remonté c’est que les livres et le blog de ron font passer sur notre profession un regard et un message qui me saoule. J’en ai marre de tous ceux qui veulent nous faire passer pour des saints; marre de tous ceux qui distillent la bonne vieille (fausse) image: nonnes, bonnes et connes.

    • Ron sur 22 décembre 2008 à 16 h 04 min
    • Répondre

    Yann n’a pas lu un seul de mes livres, il ne dirait pas que je fais passer notre profession pour des nonnes ou des connes, au contraire. Il s’exprime sur ce qu’il a pu lire sur le blog.

    Depuis quinze mois que je travaille en maison de retraite, j’ai eu 21 décès. J’ai appellé moi-même 20 fois la famille, la 21ème la directrice s’en est chargée. Si certains s’émeuvent que je puisse surcharger l’émotion, moi je m’agace qu’on puisse remettre en question l’expérience des autres, comme si la sienne avait parole d’évangile. Je ne suis pas essentiel au monde (quelle connerie de dire ça), je suis juste seul le dimanche…ou les autres jours de la semaine. On sent bien poindre l’amertume dans ce petit commentaire sur "faire vendre du papier"…Comme si j’avais besoin de ça !

    Quand à savoir si mon prochain livre sera édité sans problème, j’ai la réponse et c’est oui. Sans souci.

    Bref, toujours les mêmes qui commentent depuis trois ans sur le "succès" des uns et toujours les mêmes qui répondent, consternés, en s’excusant presque de vendre.

  4. Tu as raison depuis trois ans toi et moi on répète la même chose.
    Au moins on a le charme de la constance (et je suis sûr que tu aurais été étonné que je ne dise rien ici ;)) ).
    Quant à savoir si j’ai lu ou non un de tes livres, disons au moins que j’ai tout de même le profil parfait de celui à qui on l’offre (je te laisse deviner pourquoi…)
    Bref.

    Ceci dit voilà on ne va pas refaire le débat 500 fois je n’aime pas trop l’image que tu donnes de la profession, je ne crois pas que tu sois un "exemple" de publication, j’attends ton premier roman et je te souhaite sincèrement du sucés (même si je me garde le droit d’avoir un avis et de l’exprimer, enfin si c’est possible).
    Voili voilou, fermez le ban.

    yann

    Ps Pourquoi "consterné"? Si mes propos sont consternants, ils s’annulent seuls non?

    Pps : Et tu sais qu’à force de nous répéter on m’a même demandé si par hasard nous n’étions pas la même personne… (!)

    • pichou sur 22 décembre 2008 à 22 h 46 min
    • Répondre

    Moi qui lis souvent vos notes et qui adore les blogs et aller sur le Net en général, je suis tombé sur cette page (ci-dessous) la semaine dernière et j’ai voulu voir de quoi parlait le roman dont il est question : je ne m’en suis pas encore remis. Je pense qu’il vous faudrait vous saisir d’"Ainsi va l’hattéria” et y jeter un petit coup d’oeil, rien que pour sa singularité. Pour finir, je dis Waouh, pour la prouesse accomplie par l’auteur.

    lecture-sans-frontieres.o…

    • François-xavier sur 30 juillet 2011 à 14 h 57 min
    • Répondre

    le ton de "Ron" est juste à 100%, il est le seul d’ailleurs que l’on puisse lire, et renvoie tous les commentaires qui sonnent faux au recyclage, surtout ceux des propres infirmuères qui n’osent retranscrire la vérité de peur d’écorner leur image idyllique chère aux français .Il n’exagère pas,c’est simplement LA vérité, telle qu’elle empire depuis quelques années , enfin…depuis quelques gouvernements.

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