Warm-up de Bénédicte Martin: il aura fallu attendre presque 5 ans pour que son fameux recueil de nouvelles sorte en poche (mai 2008), aux éditions Pocket ! L’occasion de découvrir enfin ce qui se cachait derrière sa « scandaleuse » petite culotte couverture remplacée ici par une silhouette de femme en ombre chinoise, qui laisse planer le mystère. En fait Bénédicte Martin avait inventé la microfiction bien avant Régis Jauffret ! Mais contrairement à ce dernier qui fait plutôt dans le noir charbon, la demoiselle préfère au contraire butiner le rose et le rouge. A travers 41 saynètes ou tranches de vie, cette admiratrice d’Anaïs Nin et de Colette nous offre un condensé d’hédonisme, d’insouciance effrontée et de féminité mutine et insolente. A lire comme on se parfumerait d’un flacon à la fois fruité et capiteux, mi-nymphe mi-satyre…
« Il me parle d’une des conditions mystérieuses de l’amour: s’amuser… »
« Warm-up » c’est un bouquet de sensualité dont on cueille, à sa guise, les fleurs faussement innocentes ou franchement délurées.
En une ou deux pages parfaitement maîtrisées, Bénédicte Martin nous plonge dans un bain moussant, nous entraîne sur une plage de Méditerranée, sur le bord des falaises, une petite terrasse dallée et ombragée, un bistrot parisien, une prairie à la rosée encore fraîche, une chambre d’hôtel, un lit d’inconnu, par grand vent, un jour de neige ou sous « un soleil menteur », en compagnie de ces jeunes héroïnes : les coquettes. « Les coquettes sont une espèce très appréciée des hommes. Ce sont des filles somnambuliques avec une chair élastique et la gaieté facile. Leurs griffes sont rouges. Leurs yeux ont des orbites charbonnées d’insomniaques, elles fument beaucoup, ne boivent jamais d’eau, picorent tout le temps. Leurs seins sont tout ronds et sont faits pour être remués. Ils rebondissent sans fin lors des assauts sexuels. Elles ne portent que des hauts talons et des colliers fantaisie enfilés de milliers de perles. La toison de leur petite chatte est soignée, leur sexe brille en permanence. Leur salive pétille. Elles sucent comme elles butinent…« .
Perchées sur leurs talons aiguilles ou leurs mules à pompoms roses et vêtues de petites robes « folles », ces ravissantes semblent tout droit sorties d’un album de Manara ou de Kiraz. Et ne manquent pas d’audace !
Bestiales et insatiables, elles sont promptes à retrousser leur jupe et font succomber leurs amants sous leurs caresses expertes ou s’abandonnent au contraire fragiles comme des femmes-enfants : « Le matin, comme elle avait trop chaud sous les draps du lit, elle allait finir son sommeil dans l’herbe. Le gazon la recevait, étendue et molle, comme un animal abattu, un petit faune. »
Agenouillée, une « complice crapuleuse » peut même, contre toute attente, se changer en sainte… : « Son œil se fait doux, son front lisse, sa bouche humide et ses cheveux ruisselants. Les reflets bronze que le soleil leur donne lui font un halo, une couronne de sainte. »
Une chose est certaine, ce sont avant tout de grandes hédonistes : « Août s’étalait méchamment sur la ville. Le seul plaisir qu’elle avait pendant ce triste été, c’était de s’asseoir sur la selle brûlante de son scooter. (…) La selle était comme une énorme langue sur sa chatte, et sur son cul. Imaginez un peu ! Un cunnilingus géant, un baiser qui prendrait à la fois le haut des cuisses si sensible, le bas des fesses, les grandes lèvres et ce qui en déborderait… Une grande chaleur diffuse et durable… »
Leurs ébats suivent les cycles de la nature et des saisons pour composer des tableaux bucoliques, maritimes ou citadins. De sa plume piquante et malicieuse, Bénédicte Martin sait capter les petits détails et installer en quelques lignes une ambiance évocatrice poétique : « Les libellules qui tournoyaient autour de la table me semblaient de petites fées enquiquineuses. La lune se mettait à me sourire et les nuages devenaient métalliques. » ou « On remonte la Croisette, semant derrière nous les cendres de nos cigarettes, Petits Poucets des nuits agités. La mer tisse devant nous des kilomètres de dentelles. »
Avec un vrai art de la chute, Bénédicte Martin décrit avec beaucoup de naturel et de fraîcheur les corps et leurs étreintes tant du point de vue de l’homme (qu’elle adopte parfois) ou de la femme. Employant des mots crus ou des métaphores ludiques (« les tétons comme des fraises », « Ma vulve couleur de quetshe »…), elle use d’une prose suave et sucrée qui s’enhardit parfois d’une certaine perversité, en particulier lorsqu’elle ose explorer des plaisirs plus tabous voire interdits comme ces nouvelles abordant le thèmes des régles, de l’inceste, le saphisme ou encore l’intimité avec un clochard puant…
Elle mêle aussi habilement le cocasse voire le surréalisme comme dans ses nouvelles en forme de petits contes « La méduse » ou « Fingerpints »
A son sujet Nicolas Rey commentait : « Sens de l’ellipse, élégance l’air de rien, style déjà bien planté comme des ongles dans le dos. (…) Nonchalance à force de maîtrise. Sa narratrice s’apparente à son écriture. Le tempérament d’un vampire et la discrétion d’une anémone. Il suffit à mademoiselle Martin de seulement deux lignes pour qu’une atmosphère existe. Dans Warm Up, tout est juste, féminin, insupportable et classe. La narratrice se damnerait pour un nouvel amant ou une paire de mules Gucci. Elle est amoureuse et cela se termine mal. Les autres sont amoureux d’elle et Bénédicte écrase comme personne sa cigarette dans la main des hommes qui demeurent de formidables cendriers. Elle se comporte de la même façon avec le clodo ou le fils de banquier. C’est une sainte. Une aristocrate. Comme Dorothy Parker ou Anaïs Nin, c’est une fille dangereuse, toute simple et très difficile à comprendre. Bref, un écrivain. » Il ne vous reste plus qu’à succomber ! [Alexandra Galakof]
A lire en complément :
La chronique de son deuxième recueil : Perspectives de paradis
Dossier : Le potentiel érotique de la littérature
La chronique de l’essai « A leur corps défendant »
Illustration : Kiraz
4 Commentaires
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J’avais un gros a priori (négatif) sur les bouquins de Bénédicte Martin (trop de bruit autour de leur parution, trop marketés, auteur trop jolie ?) mais je trouve les extraits sympas…
Est-ce hors sujet de vous signaler que Jouissances de femmes, un recueil de nouvelles érotiques et truculentes, vient également de sortir chez Pocket ? Amina
D’après moi, une fille sérieuse ne doit pas lire ce genre de livre. Les gens n’ont plus de morale. (La grande soeur d’Amina)
Un livre sensible et sensuel, à lire d’une main désoeuvrée plongée dans la soie mauve de sa petite culotte.