Stéphane Guillard, a lancé, il y a 3 ans, sa maison d’édition (littérature générale), arHsens édiTions, avec son ami Nicolas Kulpa, après une expérience de journaliste et caressé un temps l’espoir de publier son propre roman. A travers 3 collections, il publie de jeunes talents dans des registres variés et contemporains. Il a accepté de nous raconter cette aventure dont il ne mesurait pas l’ampleur de la tâche ! Il nous présente sa ligne éditoriale, comment s’effectue la sélection des auteurs et analyse le rôle d’Internet et des blogs littéraires avant de livrer sa vision de l’édition indépendante : (photo ci-contre : Stéphane Guillard -à droite-, aux côtés de Nicolas Kulpa son associé)
Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer ce qui a motivé la création de votre maison d’édition ?
La création d’arHsens édiTions est le fruit d’une rencontre : celle de Nicolas, étudiant en management, avec moi, Stéphane, alors journaliste dans un petit groupe de presse. Je briguais depuis plusieurs années la possibilité de me faire éditer (j’écrivais, comme tout monde, de la poésie depuis l’adolescence), mais je me refusais à envoyer quoi que ce soit aux maisons d’édition, histoire d’éviter un refus. J’ai alors songé à l’auto-édition, et au fil du temps mon envie a changé: ce que je voulais, c’était faire découvrir des choses qui le méritaient objectivement, pas parce que c’était moi qui les avais écrites. Mais il me manquait l’impulsion. Quand Nicolas est arrivé pour effectuer un stage dans l’entreprise où je travaillais, nous nous sommes trouvé immédiatement des affinités littéraires. Non pas parce que nous lisions les mêmes choses (ce qui ne mène jamais qu’à une sorte d’auto-satisfaction un peu ridicule), mais au contraire parce que nous étions complémentaires dans nos univers. Tandis que lui naviguait entre Victor Hugo, Baudelaire et Amélie Nothomb, j’étais plus attiré par Boris Vian, Céline et Henri Michaux. Ce que nous avions en commun, c’était notre plaisir quotidien à parler art en général et littérature en particulier, ainsi qu’une certaine nostalgie d’époques que nous n’avons pourtant vécues ni l’un ni l’autre, quand de grands courants artistiques fédéraient une activité intense autour de véritables projets de société.
L’idée de la maison d’édition s’est imposée petit à petit, en quelques semaines : c’était mon rêve, et les études de Nicolas le prédestinaient à créer sa société. Le faire dans un domaine qui le passionnait était un peu comme la cerise sur le gâteau : arHsens édiTions est née le 1er août 2005. Je crois honnêtement que nous n’avions alors pas mesuré l’immensité de la tâche.
Notre première volonté a été de ne pas séparer arbitrairement les genres, mais au contraire de les rassembler dans des courants de pensée. Prenant racine à la fois dans un phénomène spécifique d’écriture et dans une expérience de lecture, nos trois collections : l’Esthétique (provisoire) de l’horreur, l’Esthétique (inavouée) de la béatitude et la Collection blanche, se définissent donc comme un rapport permanent entre l’auteur, le texte et le lecteur. Il serait sans doute trop long d’expliciter ici la vocation de chacune des collections, développements que l’on peut lire sur notre site Internet.
Quelle est votre ligne éditoriale ?
Elle est très simple tout en étant difficilement explicable, car elle se situe davantage au niveau du ressenti que de l’explication rationnelle : à la lecture d’un texte, une sorte de classification naturelle s’effectue aussitôt dans l’une ou l’autre des collections. Par exemple, quand j’ai découvert par hasard les nouvelles d’Ordalies, le recueil de Stephan Ferry, il était parfaitement évident qu’elles étaient l’illustration parfaite de l’EPH, à tel point qu’elles en constituent pratiquement le manifeste. Stephan les aurait écrites en connaissant notre collection (qui n’existait pas encore à l’époque de leur rédaction) qu’il n’aurait pas pu les faire mieux correspondre. Idem pour Onésime le magnifique, de Philippe Rousseille, qui est pour ainsi dire l’archétype de la Collection blanche. Nous n’intellectualisons à aucun moment notre démarche, dans le sens où nous ne cherchons pas à produire des ouvrages polémiques, d’actualité ou « expérimentaux », reproche (pour autant que nous ayons à en formuler un) que nous faisons à un certain nombre de maisons d’édition indépendantes aujourd’hui. Même si la forme peut être extrême, comme c’est le cas avec À vau-l’eau, de Rodica Draghincescu, un roman traduit du roumain très exigeant envers ses lecteurs, ce n’est pas une fin en soi : elle est au service d’une sensation (et non d’une pensée) sans ancrage dans le temps ni l’espace.
Comment sélectionnez-vous les auteurs que vous publiez ? Quels sont vos critères ?
La toute première condition de publication consiste à pouvoir figurer dans une de nos collections, et c’est déjà une sélection très importante. En effet, puisque nous avons défini nos collections en fonction de courants de pensée qui nous sont personnels, rares sont les livres dont nous nous disons spontanément qu’ils pourraient entrer dans l’une ou l’autre. Car dans le sujet particulier de chaque texte, nous voulons sentir, un peu comme une trame invisible, que l’auteur partage un certain sens de l’écriture, une certaine vision du monde avec nous. En fait, on peut dire que nous publions les livres que nous aurions aimé avoir su écrire.
Pour tous nos livres, jusqu’à présent, le processus s’est fait naturellement. Ordalies, À vau-l’eau, Sur-vivre, d’Aaron Coulibali, et Noces d’airain, de Christophe Léon, partagent une certaine noirceur, celle-là même que nous avons mise au cœur de la définition de l’EPH. La Rue de la soif, de Grégoire Damon, et Charlémoi de Christine Jeanney, quoique extrêmement différents dans leurs histoires et leurs styles, présentent au contraire la lueur d’espoir propre à l’EIB.
Le choix est un peu plus compliqué avec les ouvrages destinés à la Collection blanche, contrairement à ce que l’on pourrait penser. Beaucoup plus vaste dans sa définition, cette collection semble vouée à trouver plus facilement des textes susceptibles d’y entrer. C’est vrai d’un côté et faux de l’autre, du fait de notre second critère de sélection, ô combien subjectif : le plaisir que nous prenons à lire un manuscrit. En un mot, les ouvrages qui composent la Collection blanche doivent être divertissants. Eh bien il n’est pas si facile de divertir tout en faisant preuve d’un vrai style. Nous recevons beaucoup de manuscrits qui correspondent a priori à ce que nous attendons, mais à la lecture, il s’avère souvent que l’histoire se développe au détriment de ce supplément d’âme qu’est le style. Le Maître noyeur, de Bruno Giroux, est un exemple intéressant : sans la gouaille de son auteur, le livre serait banal. Pas inintéressant, mais banal. Et c’est au final un roman tout bonnement irrésistible.
Il en est de même pour notre prochaine nouveauté, à paraître fin mars 2009, La Soupe au formol, de Frédéric Mouchet. À première vue, il s’agit d’un roman policier comme il s’en publie de nombreux. Mais sa construction et la langue de son auteur le rendent absolument unique, d’une originalité évidente. Plus que tout, c’est la banalité que nous cherchons à éviter, et c’est ce qui fait que finalement nous publions peu.
Comment utilisez-vous Internet tant dans le développement de votre maison d’édition que dans la recherche de nouveaux talents ? Quel regard portez-vous sur les blogs littéraires (info, auteur…) si vous en lisez et si oui lesquels ?
Internet a évidemment été très important dans les premiers mois d’existence d’arHsens (aujourd’hui encore, la plupart des textes que nous recevons provient de personnes ayant visité le site), puisqu’il était le seul vecteur de communication dont nous pouvions disposer gratuitement et à volonté. C’est sur Internet, par le plus grand des hasards et après bien des heures passées sur les moteurs de recherche, que nous avons découvert les manuscrits de nos deux premières publications, Ordalies et Onésime le magnifique. Nous avons ensuite beaucoup travaillé sur le référencement du site arHsens pour apparaître rapidement parmi les premières réponses à des requêtes telles que « publier un manuscrit », et nous avons essayé de réaliser un site attractif, sérieux, qui reflète notre démarche éditoriale.
Chaque livre publié possède son espace avec une description, un résumé, des extraits, une revue de presse et les dates des séances de dédicaces passées et à venir. On trouve également une fiche plus ou moins longue concernant l’auteur, la taille dépendant de la volonté de celui-ci. Nous avons enfin mis en place un système d’achat en ligne sécurisé par le système Paypal, ainsi que la possibilité d’imprimer un bon de commande de chaque livre pour un règlement par chèque.
D’un point de vue promotionnel, les blogs littéraires sont devenus assez rapidement des espaces d’expression primordiaux : n’ayant aucun compte à rendre à personne, leurs auteurs sont le plus souvent détachés de ce qui doit faire l’actualité littéraire d’après les médias classiques. Personnellement, je n’aime pas les blogs parce que je trouve que la navigation y est malaisée et fait la part trop belle à la nouveauté : dès qu’un billet a plus de deux semaines, vous pouvez passer cinq minutes, quand ce n’est pas plus, à le rechercher. Cela dit, la question de la forme ne doit pas occulter le fond, et nous lisons régulièrement une trentaine de sites consacrés à la littérature, parce qu’on y trouve de vrais lecteurs passionnés.
Nous accordons moins d’importance aux sites communautaires d’auteurs parce qu’il y règne malheureusement souvent un consensus un peu démagogique : tout le monde se congratule mutuellement sans jamais trouver de défauts au texte du voisin et la critique y est proscrite, même si elle est constructive. Ce n’est bien sûr pas le cas de la totalité des sites, mais nous recevons de toute façon aujourd’hui trop de manuscrits pour y rajouter ceux que nous pourrions y trouver.
Comment jugez-vous la situation actuelle de l’édition indépendante en France ? Peut-on encore survivre ? Quelles sont les difficultés majeures ?
Vaste question ! Pour commencer, nous pensons qu’il n’y a pas une seule, mais deux éditions indépendantes. Celle que nous appellerons de « niche », qu’il s’agisse d’une niche régionale ou thématique, et la « généraliste », c’est-à-dire qui se déploie sur tout le territoire, et qui ne traite pas d’un thème déterminé. Il n’y a aucun jugement de valeur entre l’édition de niche et la généraliste, simplement une volonté différente de la part de l’éditeur. La plus grosse différence entre les deux se situe au niveau de la diffusion, la première privilégiant souvent l’auto-diffusion, tandis que la seconde utilise les services d’un diffuseur national. D’un point de vue économique, il semble que le premier modèle soit plus approprié à une gestion maîtrisée : notre volonté a été d’opter pour le second… Après 3 années d’existence, nous ne regrettons pas ce choix, mais nous sommes plus à même de comprendre les problèmes auxquels nous devons faire face, et les solutions ne sont pas évidentes.
Le plus gros écueil est sans doute la visibilité. Visibilité auprès des libraires : quel que soit votre diffuseur, vous n’êtes qu’une goutte d’eau dans l’océan des nouveautés qu’il présente aux librairies, sans même parler de l’ensemble de la production littéraire des « grandes » maisons, qui envahissent littéralement, c’est-à-dire au sens belliqueux, l’espace.
Et visibilité auprès des lecteurs : d’une part, n’ayant que peu de poids auprès des libraires, les livres de l’édition indépendante ne sont pas souvent présentés sur les tables, mais de façon anonyme, dans les rayonnages ; d’autre part, la presse nationale (rejointe de plus en plus par la régionale) mettant un point d’honneur à hurler en meute, il faut commencer par ne plus être indépendant, voire par ne plus être du tout, pour qu’elle parle de l’édition indépendante ! On nous a par exemple déjà répondu que l’on attendait de voir si nous tiendrions quelques années pour commencer à s’intéresser à ce que nous publions… On ne parle plus de critique littéraire mais de rubrique nécrologique.
À cela s’ajoute le fonctionnement spécifique du marché du livre, et notamment la pratique du droit de retour. Les livres placés par le diffuseur en librairie sont une véritable épée de Damoclès dont vous ne savez pas quand elle va vous retomber dessus : au bout de 3 mois, 6 mois, un an, parfois plus. On peut considérer que c’est un bien pour l’édition indépendante, qui sans cela ne serait peut-être plus présente du tout au sein des librairies, qui privilégieraient des livres « vendus d’avance » par les médias. Mais quand vous récupérez la moitié des exemplaires placés, la plupart trop défraîchis pour être remis sur le marché, il est évident que ce système n’est viable qu’à partir d’un certain volume, qu’il est difficile d’atteindre.
Pour autant, nous ne faisons pas preuve d’un trop grand pessimisme : oui, nous pensons qu’il y a moyen de survivre dans le paysage littéraire tout en restant indépendant, mais il faut parvenir à se faire connaître, et reconnaître, ce qui demande du temps, et donc de l’argent. Disposer d’un budget communication conséquent est un atout majeur pour la pérennité d’une maison.
Conseilleriez-vous à un jeune auteur aspirant à la publication de s’orienter vers l’édition indépendante pour parvenir plus facilement à être édité(e) ? Pourquoi ?
Ne pas le faire reviendrait à nous tirer une balle dans le pied, et nous ne sommes pas particulièrement masochistes ! L’édition indépendante a besoin des nouveaux auteurs comme les nouveaux auteurs ont besoin de l’édition indépendante, ne serait-ce que parce que les possibilités d’être édité par une grande maison sont minces.
Nous insistons toutefois sur un point très important : il ne faut voir l’édition indépendante ni comme une planche de salut ni comme un pis aller. L’auteur qui accepte presque malgré lui une publication chez un éditeur peu connu parce qu’il n’a été accepté nulle part ailleurs ne se rend pas service, et ne rend pas service à l’éditeur. Au final, l’expérience ne pourra être que négative. Idéalement, nous aimerions ne publier que des auteurs qui n’ont pas fait la démarche de tenter leur chance chez un Gallimard ou un Grasset (ce ne sont que des exemples), mais qui sont directement venus à nous parce qu’ils ont des affinités avec notre approche de la littérature, parce qu’ils pensent que leur écrit s’insère dans l’une ou l’autre de nos collections.
Si vous envoyez un manuscrit chez un petit et chez un grand éditeur, forcément, consciemment ou non, vous espérez être choisi par le grand, promesse de notoriété, peut-être de prix littéraire, qui sait. Pourtant la réalité est assez différente, et l’auteur inconnu se retrouve au sein des grandes structures dans un anonymat total, la plupart du temps dans l’incapacité d’exprimer son accord ou non sur les modifications qui sont apportées à son texte. En quelque sorte, l’auteur se trouve dépouillé de son propre livre. Dans les structures plus petites, l’auteur fait partie intégrante du processus d’édition. Il n’est pas un simple producteur de signes, et le travail sur son texte se fait en commun. Selon les maisons, l’auteur est également associé à la réalisation de la couverture. Un dialogue s’instaure, ce qui est la plupart du temps bénéfique non seulement au livre, mais aussi à l’auteur, qui peut se servir de cette expérience dans ses éventuelles futures productions.
Découvrez le site d’arHsens édiTions
A lire en complément : l’interview de Francis Combes, président du Salon de l’édition indépendante « L’autre livre » : « Préserver la bibliodiversité française »
Remerciements à Stéphane Guillard et Nicolas Kulpa pour le temps accordé
5 Commentaires
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Très bonne interview, qui laisse entrevoir des rouages dont je n’avais pas conscience.
(suis-je un bizoonours quand je crois qu’une maison d’édition ne fait pas de modification textuelle unilatérale ?)
Un beau métier.
Chapeau à leur courage et à leur passion.
Ca donne envie de se lancer, mais Est-ce qu’ils arrivent à en vivre?
Article très intéressant qui montre bien que l’édition d’un manuscrit ne doit pas forcément être focalisée sur une grande maison. Et il est vrai que des petites maisons d’édition peuvent arriver à faire connaître leurs auteurs alors que les grosses, passé le premier mois fatidique, retirent tout des gondoles pour placer les nouveaux romans.
Et non, nous n’en vivons pas… c’est une passion qui coûte très cher… mais tellement plus louable que les sports automobiles ou le golf !
N.K.
Remarquable article qui brosse un tableau réaliste et mesuré de la situation, le meilleur du web que j’ai pu lire sur le sujet.
De quoi donner envie à un auteur de s’engager avec vous, votre site et vos publications ne faisant que renforcer ce sentiment.