Dans une interview au magazine « Le Nouvel Observateur », l’auteur de la Trilogie New-Yorkaise a donné sa definition d’une histoire, un terme qui est devenu controversé dans le débat des « story-tellers » contre les auteurs intimistes. Il confie au passage son gout pour les narrations épurées qui laissent au lecteur de la place pour imaginer et s’approprier l’histoire…
« Qu’est-ce qu’une histoire? La définition la plus élémentaire serait la suivante: une histoire, c’est quelque chose qui parle des activités et des passions humaines, des mécanismes de la réalité et de notre être au monde. Mais une histoire doit avoir une forme, et en un sens elle purifie le monde.
Je suis très attaché aux formes les plus primitives de narration, aux contes de fées par exemple. Les contes de fées me passionnent car ils donnent très peu de détails.
L’esprit humain a horreur du vide et il fournit de lui-même aussitôt tous ces détails manquants. C’est cette implication de l’auditeur ou du lecteur qui contribue à façonner l’histoire et à compléter le travail du conteur. Plus on peut éluder, meilleure est l’histoire. Si on en dit trop, on bloque l’accès à l’histoire, au lieu d’offrir une ouverture au lecteur.
Chaque lecteur d’une œuvre lit un livre différent, car il y met son propre passé, sa vie, sa personnalité, son caractère et va donc l’interpréter différemment. C’est ce qui pour moi fait de la fiction une aventure qui n’a rien de figé. C’est un champ ouvert où chaque lecteur peut participer activement non seulement à la lecture mais à l’écriture; et de ce partenariat chacun retire un profit spécifique.
Parfois, j’ai du mal à lire des descriptions trop précises: je n’arrive plus à voir. Alors que si l’auteur se contente de brosser un lieu, un personnage ou une situation en quelques traits, je peux combler les blancs et visualiser l’histoire plus facilement.
Il m’est arrivé une expérience étrange, qui prouve à quel point la lecture est une affaire personnelle: quand, vers l’âge de 20 ans, j’ai lu «Orgueil et préjugés» de Jane Austen, que je considère comme un génie, je me suis aperçu au cours de ma lecture que tout le roman se déroulait dans la maison où j’avais grandi. J’avais tout transposé dans mon propre monde, dans un cadre familier, d’autant plus facilement que Jane Austen est très avare de descriptions. J’ai vécu cela comme une révélation, et je serais très curieux des résultats d’une étude scientifique sur la phénoménologie de la lecture. Je me demande vraiment ce qui se produit dans le cerveau d’un lecteur. La lecture met en mouvement le centre cérébral qui active la mémoire. Que se joue-t-il quand on lit?« (Source: Itw de Paul Auster, Le Nouvel Observateur, nov.07)
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