La critique salue, assez unanimement, le retour de Paul Auster avec « Seul dans le noir » son nouveau et quatorzième roman, non sans raison. Certains sont réjouis, d’autres moins. Je fais partie de ceux qui sont à classer dans la seconde catégorie. J’ai trouvé ce livre intéressant mais aussi ennuyeux et plein de poncifs poussifs…
« Et ce monde étrange continue de tourner. »
De quoi s’agit-il ? D’un voyage nébuleux dans les nuits insomniaques d’un homme handicapé. Le narrateur, August Brill est un critique littéraire à la retraite, contraint à l’immobilité par un accident de voiture, calfeutré chez sa fille Miriam. Il y a là Katya, la fille de cette dernière, anéantie par la mort en Irak d’un dénommé Titus, son ancien petit ami. Katya et Miriam se réconfortent mutuellement pour panser les plaies du divorce difficile de cette dernière. Alors, pour être moins seuls et moins tristes ensemble, l’esprit de Brill, qui est sujet aux flash backs, invente la nuit des histoires à dormir debout et les personnages qui vont avec.
Il nous raconte Owen Brick qui se réveille un matin dans un trou. -C’est un peu bizarre d’ailleurs, dans le genre, je passe du coq à l’âne – Un cercle parfait profond de trois mètres environ dans lequel il serait tombé… Une tombe, en quelque sorte dont on ne peut s’échapper à moins qu’une main secourable ne vienne vous y aider. La métaphore est puissante sur l’univers carcéral, elle s’adresse à tous les êtres abimés. Brill, Katya, Marina, et des milliers d’américains. Brick, comme sortis d’un mauvais rêve, se retrouvent pris dans la toile d’un monde parallèle.
C’est la guerre civile aux Etats-Unis. Un contrat implicite et étrange lie ce Brill à son « sauveur ».
Au fil des pages, on comprend qu’Auster choisit de régler ses comptes à l’Amérique de Bush, en imaginant que Brick doit tuer Brill pour mettre fin au conflit. Je n’ai pas été sensible du tout à l’imbrication du réel de Brill et de la teneur expérimentale de ses élucubrations, je ne suis pas entrée dans son jeu de rôles ni de doubles. Je n’ai pas eu envie de cette relecture très personnelle de l’histoire récente des Etats-Unis écrite pour venger les siens, et de cette guerre civile dans laquelle les américains semblent se complaire.
Et c’est là où j’ai quelque peu décroché en tant que lectrice, ne saisissant pas toutes les astuces de ces histoires à tiroirs ou à miroirs. Je me suis même énervée (rires) quand j’ai compris que l’auteur nous refaisait le coup du désormais poussif « le 11 septembre est une invention ainsi que la guerre en Irak, et s’il n’y avait pas eu le 11 septembre, il n’y aurait pas eu la guerre en Irak ». Je suis restée ou sur ma faim ou un peu en dehors des « ruminations » personnelles du narrateur et ce, bien que le livre soit remarquablement écrit.
La seconde partie du roman est un peu plus intéressante. Plus émouvante, même si je trouve que Paul Auster se prend très au sérieux. Poursuivons. Katya rejoint son grand-père au milieu de la nuit. Elle est aussi insomniaque. Son fiancé Titus, on l’ a dit, est parti en Irak comme chauffeur de poids lourd pour une entreprise et a fini exécuté par ses ravisseurs. En fait chacun y va de son cauchemar à raconter à la manière de celui qui souhaiterait régler ses compte avec lui-même, avec sa vie, comme après des deuils familiaux. Sombre excursion dans le passé et le présent, qui nous parle sans cesse de la mort, de la maladie, des séparations, et des guerres. Pourquoi pas mais au bout du tunnel, point d’avenir. Paul Auster a-t-il peur de l’avenir, de sa vieillesse, a-t-il des regrets ? C’est la question que l’on peut se poser. Cela est très très vraisemblable.
Ce que j’ai juste aimé au fond, c’est le travail littéraire de l’écrivain surdoué Auster. L’histoire mêle habilement le réel et le fictif et fixe ainsi les limites de la réalité. Il n’y a pas de frontière entre l’imaginaire et le réel ; il n’y a que des ponts entre ces deux mondes parallèles que seul l’écrivain peut franchir. A cet exercice, Auster est un maître, qui connaît tous les codes des artifices littéraires, et il faut lire le roman juste pour apprécier cela, les travellings stylistiques qui vont de l’un à l’autre. Dans la première partie, il est question de fiction qui rejoint la réalité, dans la seconde il s’agit davantage de voir la réalité comme une fiction. A une page, il est personnage de roman, à une autre, il redevient une personne et celle-ci n’est, on l’aura compris, pas fictive.
J’ai lu que ce roman avait été écrit en 2007 après l’élection de Bush, élection que n’a jamais « encaissée », comme un certain nombre de ses coreligionnaires, Paul Auster. En novembre 2008, les Américains ont élu comme président, Barack Obama. On peut très bien imaginer que cette élection doit donner à l’écrivain Auster l’impression d’émerger enfin, que l’américain peut s’autoriser à rêver de nouveau, en dépit de la récession qui menace. Et je pensais que les événements récents américains peuvent aussi permettre une relecture intéressante du roman depuis ceux, antérieurs, qui en ont précédé l’écriture. Alors, se pose la question de la responsabilité de l’auteur – la question de la responsabilité se déplace t-elle sur un plan global ?, un New-Yorkais peut-il parler au nom de tous les américains ? – confronté à ses œuvres, de l’angoisse à l’origine de la création littéraire. Oui, il faut relire ce roman après les 4 ans d’Obama pour en mesurer l’actualité, le réel impact et vérifier qu’il n’était pas « à l’époque » (donc dans 8 ans) entaché d’anachronisme.
Paul Auster n’a pas écrit un mauvais roman mais un roman dépressif à la façon d’une femme qui, après un accouchement difficile, éprouverait le besoin de décrire les aléas de ses souffrances post partum. C’est un livre Post-Partum, à garder sous le coude. C’est un livre d’après-coups, sur la vie, sur le ressac de faits mal digérés, de non-dits à dire parce qu’ils gênent aux entournures. Ainsi vont les confidences de trois personnes éclopées qui se livrent. Qui se racontent leur histoire, qui affrontent leurs regrets, qui mettent en lumière leur responsabilité. En cela, c’est un bon roman. Restent une brutalité du propos qui m’a surpris ou fait mal, beaucoup de complaisance, et un aller retour-fiction réalité au milieu du livre qui m’a complètement déboussolée. Je suis allée jusqu’au bout mais honnêtement, l’ai achevé non sans peine… [Laurence Biava]
Extraits choisi :
1er extrait court, qui traduit bien l’ambiance du contexte du roman (p57) :
« J’éteins et me revoilà dans le noir, enfoui dans cette obscurité sans limites, si apaisante. Quelque part au loin, j’entends passer un camion qui roule sur une route de campagne déserte. J’écoute le va et vient de l’air dans mes narines. D’après la pendule sur ma table de nuit, que j’ai consultée avant d’éteindre, il est minuit 20. Des heures et des heures jusqu’à l’aube, j’ai encore devant moi le plus gros de la nuit… Si le Sud voulait faire sécession, disait-il, qu’on les laisse faire et bon débarras. Mystérieux, meurtri, ce monde étrange continue de tourner tandis que la guerre flambe tout autour de nous : bras tranchés en Afrique, têtes tranchées en Irak, et dans ma tête à moi, cette autre guerre, une guerre imaginaire, chez nous, l’Amérique brisée, la nobel expérience finissant par mourir… »
Pour le style, extrait de ce long passage qui part de la page 87 « Image indélébile, intacte après toutes ces années « ; ….jusqu’à la page 88 » :
« Telle fut ma guerre. Pas une guerre véritable, certes, mais, une fois qu’on a été témoin d’une violence de cette envergure, il n’est pas difficile d’imaginer pire et du moment que le cerveau est capable de faire cela, on comprend que les possibilités les plus affreuses de l’imagination sont le pays dans lequel on vit. Il suffit d’y penser et il y a des chances que ça arrive. »
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1 Commentaire
C’est toujours efficace, le petite routine qui conduit tes yeux jusqu’au bout des lignes, jusqu’au bout des pages ; mais à l’arrivée c’est insignifiant, evanescent comme un épisode de série télé des années 80. Je veux dire que auster ne feuilletonne pas bien sûr, mais au contraire, ses bouquins ont une construction sérielle. Comme dans la nuit de l’oracle ou le scriptorium pour ne citer que les derniers dont je me souviens il y a toujours la combinaison des mêmes éléments : le récit fantastique qui ne s’assume pas – et du coup ne va pas à terme – qui se conjugue à une reflexion métaleptique – mais justement à force de la décliner, la fable est exangue – et puis les vraies tranches de VRAIE VIE ™ à savoir des vieux bouts de veaudeville bien remachés qu’on te met dans le bec et ça glisse tout seul rend toi compte, comme ça sonne AUTHENTIQUE, l’aventure extraconjugale de ton grand père qui a eu un accident de voiture (car ça arrive dans la vraie vie) tandis que ton fiancée est mort en irak ACTUALITE DU RECIT.
Inventer des histoires, c’est peut être un divertissement qui vaut le coup, pour soi même, mais subir les histoires des autres, je n’en peux plus. Même quand c’est bien boutiqué par un vieux routier dans l’exercice ça me gave. D’autant que ça n’est pas si bien boutiqué que ça en définitive. En particulier ce procédé désuet consistant à entretenir l’intérêt du lecteur avec l’aguillon du romantisme hormonal (le personnage masculin va t il coucher avec ce personnage féminin, et si oui à quel moment ?).
je conclurais sur une citation extraite de la toile de l’internet mondial, dernier support où l’écrit m’arrache des sourires :
"Putain mais arrête de te la péter, c’est insupportable, ta prétention littéraire et tes distributions de bons et de mauvais points. Tu me fais penser à Winston Churchill et ses phrases toutes faites, il ne te manque plus qu’un complet veston, un haut-de-forme et un montechristo numéro 3 au bec tout en maugréant des "Berlin connaitra le prix du sang" et autres "Mmmmh, Olga, ça sent bon dans la cuisine, qu’est-ce donc, ma douce amie, un bon rôti de veau ?"