Vous avez peut-être vu passer ce livre « Les livres ont un visage » de Jérôme Garcin dans la marée des livres de la rentrée littéraire de janvier 2009. Beaucoup de critiques laudatives, de plateaux TV pour l’auteur, également Monsieur livres du Nouvel Obs et à la tête de l’émission Le Masque et la Plume sur France Inter. Bref, je n’ai pas lu, je ne jugerai donc pas de la plume de ce « fin portraitiste » comme le qualifient ses confrères. Je n’en doute pas.cata
Non, j’ai juste envie de réagir rapidement au titre et au principe du livre, que je n’avais pas immédiatement compris, l’ayant rapproché, machinalement et sans davantage m’y intéresser il est vrai, d’une autre citation, que j’aime bien en revanche, « La littérature est une affaire sérieuse pour un pays, elle est, au bout du compte, son visage » (Louis Aragon).
Je viens de lire plus en détail de quoi il retournait : parler des livres en se focalisant non pas sur l’écrivain mais sur l’homme (François Nourissier, Jean-Jacques Sempé, Julien Gracq, Jean-Marie Gustave Le Clézio ou encore Julian Barnes), sa petite vie, son quotidien, ses problèmes gastriques et ses sautes d’humeur…. Rhaaa… !! Tout ce que je fuis. J’avoue une réticence tendant à se transformer en véritable allergie au fil des années pour ces gens qui passent davantage de temps à disséquer l’à-côté, l’extra-littéraire, ou comme l’a appelé Malraux « le misérable tas de petits secrets« .
J’aime bien à ce sujet ce que disait David Foster Wallace, en 2004, dans sa chronique du New York Times sur Borges: A Life [Borges, une vie] d’Edwin Williamson, à propos du «paradoxe des biographies littéraires». « La plupart des gens suffisamment intéressés par la vie d’un écrivain pour lire tout un livre à son sujet en admiraient probablement l’œuvre et avaient donc de grandes chances de l’idéaliser en tant que personne. »
« Et pourtant, poursuivait-il, on a souvent l’impression que la personne rencontrée dans la biographie littéraire aurait été incapable d’écrire les livres que nous admirons tant. Et en général, plus la bio est intime et fouillée, plus ce sentiment est palpable« .
Cette tendance malsaine façon « Closer littéraire » a même pour conséquence d’écraser cette dernière au profit de leur vie personnelle, leurs frasques ou autres polémiques (politique…) en général… Il n’est pas utile de citer des noms, nous les connaissons tous.
L’image, la « réputation » de l’auteur pollue la lecture de ses textes, de ses livres et cela n’est jamais bénéfique ni dans un sens, ni dans un autre. Le fait de connaître la vie privée d’un auteur ne peut être que préjudiciable à l’appréciation de ses écrits. D’autant plus si cette vie (dans le cas de l’autofiction par ex) nourrit son œuvre.
C’est l’éternel débat/guerre entre les partisans de la critique façon Sainte Beuve (qui faisait de l’étude biographique un préalable à l’étude de l’oeuvre) et ceux qui comme Proust souhaite aller « contre Sainte Beuve » et sa conception réductrice du travail de l’écrivain vu comme simple mise sur papier d’une pensée ou d’une expérience pré-existantes au texte. Or Proust le décrit poétiquement comme le « déchiffrage » du « livre intérieur de signes inconnus » composé d' »impressions obscures et de « réminiscences ». Plus précisément, il écrit « le livre est le produit d’un autre moi » que l’écrivain essaie de « comprendre au fond de lui-même » et de « recréer ». C’est donc une « verité qu’il faut (…) faire de toute pièces », rappelant ainsi tout le travail littéraire nécessaire à parir du matériau brut de la vie.
La formule de Proust est d’autant plus intéressante qu’il ne nie pas non plus totalement l’origine depuis laquelle l’oeuvre à germer : à savoir un être bien précis, un auteur donc dans toute sa subjectivité dont il ne saurait et ne pourrait se départir. Le « moi » dont aucun auteur ne s’affranchit jamais, on écrit toujours depuis sa hauteur et l’auteur qui se rêve démiurge « universel » n’est rien de plus qu’une grenouille voulant se faire plus grosse que le boeuf, à l’image de Flaubert qui déclarait dans une lettre à Louise Colet que « l’auteur, dans son oeuvre, doit être comme Dieu dans l’univers », avec « une impassibilité cachée et infinie ».
Je rejoins complètement Nietzsche dans Le gai savoir : « Que le corps soit « la grande raison » et que toute philosophie soit toujours l’autobiographie et la confession (du corps) d’un philosophe »). Mais un moi « autre », plus profond, plus complexe, plus riche, transfiguré -littéraire en somme- donc différent de celui, trivial, de la vie quotidienne, de ses « habitudes dans la société ».
Les structuralistes (Barthes et Foucault) le proclamaient encore en 1967 : « l’auteur est mort ! », voulant ainsi signfier que seul le lecteur était responsable de l’interprétation d’une oeuvre : « toute la poétique de Mallarmé consiste à supprimer l’auteur au profit de l’écriture (ce qui est, comme on le verra, rendre sa place au lecteur) ».
C’est une vraie maladie que cette curiosité mal placée pour la vie « crue » et « brute », sans le travail de mise en perspective ou stylistique que pourrait opérer l’écrivain s’il la racontait lui-même. Je cite cette phrase de Robert Pinget à cet égard : « Il me semble que lorsqu’on est attiré par un écrivain, ce n’est pas sa biographie qui intéresse. Je m’étonne toujours qu’on aborde un écrivain avec des questions qui n’ont rien à voir, ou peu à voir, avec son œuvre. Je n’ai pas de vie autre que celle d’écrire. Mon existence est dans mes livres… »
Je partage ainsi tout à fait l’avis de Charles Dantzig qui écrit dans son excellent Dictionnaire égoïste de la littérature française (qui vient de sortir en poche, précipitez-vous !) : « Pourquoi le public lit-il des biographies d’écrivains ? Pour comprendre le mystère, sans doute, pour éviter de lire les livres peut-être. Curieuse paresse, curieuse modestie (…) Ce qu’on sait d’un écrivain cache ce qu’on en lit. »
Je surligne cette dernière phrase qui exprime exactement ce que je ressens.
J’irais même plus loin : Ce qu’on sait d’un écrivain déforme, dénature ce qu’on en lit.
(re-surlignage !)
Echo de Frédéric Beigbeder qui disait dans une interview de mars 2009, « Il ne faut pas se faire d’illusions : regarder vivre les écrivains reste un des meilleurs moyens de ne pas lire leurs livres. »
Autre citation de Charles Dantzig sur le thème de la biographie d’écrivain : « Les biographes qui cherchent à savoir comment nos vies ont conditionné les livres, ne se demandent pas si un écrivain à la longue n’est pas modifié par ses livres. »
Je crois que ce préambule à la Princesse de Clèves de Madame de Lafayette (ayant choisi de publier anonymement à l’époque) dit tout de ce danger :
(…) (L’auteur) sait par expérience que l’on condamne quelque fois les ouvrages sur la médiocre opinion qu’on a de l’auteur et il sait aussi que la réputation de l’auteur donne souvent du prix aux ouvrages. Il demeure donc dans l’obscurité où il est, pour laisser les jugements les plus libres et équitables…
Les écrivains, tout comme toutes les personnalités en général (peut-être à l’exception des réalisateurs ? sauf s’ils sont des femmes), doivent aussi s’expliquer de leur vie privée en interview qui intéressent en général beaucoup plus que leur travail. Jonhatan Littell rétorquait ainsi habilement à l’insistance pesante d’un journaliste de l’Express en 2012, qu’il « parle de lui » :
« Je crois que cela n’a aucun intérêt [parler de soi]. Qu’on lise mes textes, ce sera largement suffisant. Pour écrire mon livre sur Bacon, j’ai regardé ses tableaux et je les ai analysés. Je n’ai pas demandé son avis au peintre. Il l’aurait d’ailleurs donné volontiers car il est très prolixe. Mais il ment beaucoup. C’est pour lui une façon de se cacher. Je recommande la même attitude avec mes livres. Ce n’est pas à moi de livrer les clefs. De toute façon, je ne ferais que vous mentir. En ce moment, je lis Balzac. Sa fascination et sa hantise de l’hermaphrodisme et de l’homosexualité, récurrentes, sautent aux yeux, texte après texte. Pour autant, il est inutile d’aller interviewer M. de Balzac et de lui demander : « L’homosexualité semble vous tarauder ? »
Et pour conclure, il cite l’excellente boutade de Margaret Atwood :
« S’intéresser à un écrivain parce qu’on aime son livre, c’est comme s’intéresser aux canards parce qu’on aime le foie gras. »
Pour prendre un dernier exemple (cet article ressemble un peu à un catalogue d’exemples et de citations, vous m’en excuserez…), j’ai lu et adoré Montherlant dans ma jeunesse en ignorant tout de ses préférences sexuelles et autres considérations personnelles.
Autant dire que j’ai eu un choc lorsqu’un beau jour un camarade s’est esclaffé de mon ignorance sur le « personnage » et de l’étonnement que j’avais à ces révélations intimes. Il ne comprenait pas le choc que je ressentais étant donné que lui… n’avait jamais ouvert un livre de cet auteur et ne le connaissait que de « réputation »…
Le critique littéraire Angelo Rinaldi le déplorait d’ailleurs (au sujet de Montherlant) : « Une fois encore, on contemplait les dégâts que la connaissance du « misérable petit tas de secrets » à quoi se résume l’individu inflige à l’œuvre, qui, par définition et en toute hypothèse, est au dessus de lui. » [Alexandra Galakof]
Visuel d’illustration : tableau de Magritte, « Le double secret »
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