Nous vous l’annoncions dans un précédent billet (François Bégaudeau va publier un nouveau roman de trentenaire… et fait des émules), François Bégaudeau ne se repose pas sur ses lauriers tout frais du Festival de Cannes et après avoir publié dans la foulée son Anti-manuel de littérature, nous le retrouvons avec sa caquette de romancier avec « Vers la douceur », un roman « trentenaire », genre qu’il disait pourtant ne pas affectionner. Un livre très attendu (au tournant) comme en témoigne le bouche à oreille déjà intensif avant la sortie dudit roman !
Dans le sillage de « L’amour dure trois ans » de Frédéric Beigbeder un peu plus d’une décennie plus tôt (eh oui déjà !) ou encore d’un « Mémoire courte » de Nicolas Rey ou plus récemment du « J’étais derrière toi » de Nicolas Fargues, François Bégaudeau entreprend à son tour de nous livrer son regard mi-amusé mi-mélancolico-désabusé sur sa génération qui se débat dans des galères et autres relations amoureuses bancales. Et dessine, ce faisant, un nouveau portrait de trentenaire urbain et adulescent, un peu tête à claques, un peu volage, un peu amoureux, tentant de trouver son équilibre et un peu de « douceur » parmi ce foutoir moderne. Le tout sur fond de matchs de rugby et de foot et d’élection présidentielle française de 2006-2007… Verdict ?
– « Tu m’aimes bien ou c’est juste comme ça ?
– J’me dis qu’il y a un potentiel d’amour entre nous. »
En revisitant des thèmes désormais classiques de la littérature trentenaire des 90’s/2000, François Bégaudeau prend le risque d’être redondant avec les différentes « théories » de ses congénères et confères écrivains (peur de l’engagement, difficulté de devenir adulte, de se stabiliser, libertinage, garçonnière, le désir de paternité…) qui ont déjà abondamment abordé le sujet (voir notre dossier « Tourments amoureux au masculin »), mais également avec les films s’inscrivant aussi dans cette veine et auxquels on pense inévitablement en lisant la succession de saynètes et de dialogues qui composent son roman.
Roman qui fait furieusement penser à l’une de ces comédies romantiques modernes, un peu à la Klapisch.
Ce qui n’est pas un défaut en soi si ce n’est que François Bégaudeau ne renouvelle pas réellement le genre et n’apporte rien de franchement neuf dans ses descriptions et historiettes de « célibataires intermittents » selon son expression. Du coup tout a un petit air de déjà vu/lu, voire de réchauffé. L’ensemble est néanmoins sauvé par la voix singulière de l’auteur et son humour (qui fera rire ou pas selon les affinités) qui parsème ses dialogues sur le vif, sa marque de fabrique depuis son fameux « Entre les murs »‘.
« Sophie n’aimait plus Gilles, alors elle s’était mise à regarder d’autres types, on peut pas en vouloir à quelqu’un de plus aimer, tout juste on peut ressortir du placard les promesses d’engagement s’il s’en est énoncé, quelle idée aussi, pour ça les mecs sont incorrigibles, bander leur fait dire n’importe quoi, des alexandrins d’amour qu’ils auront oubliés une fois ramollis.«
« Vers la douceur » c’est le roman choral d’une bande de potes parisiens, Cathy, Bulle, Bruce, Flup, Gilles, Fabrice et puis Jeanne surtout Jeanne…, dont on fait la connaissance à travers la voix du narrateur, Jules, journaliste sportif de son état et « amateur de plans improbables » selon l’expression de la 4e de couv’. Entre marivaudage, plans drague plus ou moins foireux, « coucheries » et grandes discussions existentielles au bar à bières du coin, on découvre leurs doutes, leurs peurs et chagrins amoureux.
« (…) j’avais compris qu’ils couchaient parfois ensemble, tant mieux je m’étais dit, moins de pression, pas le fardeau de l’exclusivité, mais là si elle ne cogitait plus pour éviter qu’on se croise Jude et moi c’est qu’il avait pris le dessus, d’une certaine manière ça me soulageait, les fins de relation me soulagent toujours, j’ai l’impression de gagner au loto un gros pactole de temps et d’espace,(…)«
Sur un ton potache volontiers macho (les filles « à gros cul » sont jugées une fois pour toutes indésirables tenez-le vous pour dit ! tandis qu’une fille qui a du charme, « ok c’est plié elle est moche »), l’auteur nous raconte leurs expériences respectives, entre parades amoureuses autour d’un verre et « relations essentiellement horizontales » toutes matinées d’une bonne dose de lose et d’autodérision.
Et porte un regard parfois quasi-sociologique sur les mœurs modernes en terme de sexualité (il ne lésine pas sur les détails anatomiques à ce propos) : « Cathy pensa qu’il s’agissait d’un rut impérieux et provisoire quoique le sexe de la veille, une fois surmontées les maladresses gymnastiques, ait baigné dans une euphorie probablement reconductible. »
Tout en décortiquant les attentes parfois contradictoires de l’un(e) et l’autre conduisant aux traditionnels malentendus et autres conflits entre hommes et femmes.
Certaines scènes ont même un petit côté vincent-derlermien comme celle du thé avec sa voisine (p29) où ils sont assis sous une affiche de Rembrandt (rappelant l’ambiance de la chanson « L’heure du thé »).
Dans ce roman on croise aussi beaucoup de femmes utilisant des briquets « Star wars » (un signe de pop culture à élucider) ou encore des « femmes de plus de 40 ans » (voire des veuves ukrainiennes choisies sur catalogue à défaut) qui font figure d’idéal sexuel…
Lors d’une interview au magazine L’Express, il lui a été reproché son style oral assez brut avec la reproduction notamment des tics de langage («fait chier», «point barre», «connard»…). Critique à laquelle François Bégaudeau a répondu : « Quand il s’agit de faire parler les personnages, je prends le parti, comme pour ceux d’Entre les murs (élèves autant que profs), comme pour la transcription de la conférence de presse de Florence Aubenas dans Fin de l’histoire (femme de 44 ans), de capter le grain oral de leur parole. Ensuite, dans la narration même, ce qui m’intéresse, c’est de mêler le registre soutenu et le registre trivial. J’aime qu’un texte littéraire soit une sorte de fête de la langue, alors je ne veux me priver d’aucune ressource. J’aime autant la langue classique que les effets d’oralité contemporains. Je n’ai pas envie de choisir, comme je n’ai jamais choisi entre Diderot et les Wampas. »
Ceux qui ont donc apprécié le style libre d' »Entre les murs » ne seront pas gênés par la langue parfois assez familière de l’auteur. Il est vrai que lorsqu’il tente des métaphores plus littéraires ou poétiques, ses effets tombent souvent à plat telle cette métahore des « voilà » et des fèves dans une galette des rois (métaphore que nous n’avons toujours pas comprise du reste…) ou encore « Il y a la brise dans le creux de nos oreilles, comme le tendre souffle de mer de Chine d’un coquillage ramassé par une petite fille affamée de vie. »
Ces faiblesses n’empêchent pas de trouver quelques bons passages comme sa tirade sur l’insupportable quête de tendresse des femmes : « Tu n’as à la bouche que ce lexique des sentiments. T’importe en l’homme ce qui est touchant – c’est ton mot fétiche. Ce qui en l’adulte continue l’enfant qui soignait la patte invalide de l’oisillon tombé du nid. Tu ne vois pas que loin de secréter l’amour, ce paysage mental est ta prison, en même temps qu’il fait au bout de tes caresses pousser des griffes. (…) Tu as beaucoup pesté contre ma sécheresse, mais s’il s’agissait de faire démonstration d’humanité, je parierais davantage sur un seul de mes gestes secs que sur tes multiples protestations de tendresse à toi seule adressées. J’aime encore mieux ne jamais dire Je t’aime que le dire à seule fin de m’assurer d’une réciprocité qui dés lors n’en est pas une, puisqu’il y manque, non le second mais le premier terme.« , ou encore ce voyage en bus de l’une des personnages : « Portée par la ville qui défilait en sens inverse, elle compta les neuf mille deux cent trente cinq jours qu’il lui restait à vivre, et qu’en ferait-elle ? Plein de choses se dit-elle, et il fut temps de descendre. »
Avec ce roman, François Bégaudeau explique qu’il a voulu « décrire la vie de citadins d’aujourd’hui, avec ses rapports de force et ses conflits. Au fil des chapitres, les tensions ont tendance à s’apaiser, les personnages s’émancipent, à travers une relation amoureuse ou en ayant recours à la chirurgie esthétique. D’où le titre. » C’est plutôt un bon résumé même si au final on ne gardera pas forcément un souvenir impérissable de cet instantané de vie trentenaire, cela n’empêche pas de sourire, de se reconnaître et de passer un moment de lecture pas déplaisant…
A noter que François Bégaudeau vient de diriger un livre collectif sur « La Politique par le sport », qui sortira en mai 2009 chez Denoël.
4 Commentaires
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Bonne critique.
Je suis en pleine lecture et ça résume assez bien ce que je ressens : peu d’innovation si ce n’est quelques passages vraiment inspirés, qui se battent avec des métaphores ou des dérapages stylistiques assez paranormaux (que j’aime avoir mon stabilo dans ces moments…).
Merci pour le lien de la critique surréaliste de Moix.
Perso j’ai principalement relevé p48 cette extraordinaire perle :
"La frénétique glose impulsée par le besoin autocratique d’être aimé est toujours perdante (…)"
Ou comment écoper d’une migraine de bon matin dans le métro.
Je viens de finir ce roman, que je trouve effectivement tout a fait dispensable (sachant que son livre precedent sur Aubenas etait deja de trop). Je crois que Begaudeau n’a helas plus grand chose a dire – decider de se mettre (sans talent ni innovation) aux chroniques de trentenaires desabuses est deja en soi la preuve d’un manque cruel d’inspiration – bref, un auteur tres surestime a mon avis (autant revenir a du bon vieux Nicolas Rey !)
Je viens de finir le roman de François Bégaudeau. C’est vrai que je suis un peu déçue, je reste sur ma faim. Avis plutôt mitigé globalement mais sur le plan stylistique il y a des choses que j’ai bien aimées, qui m’ont amusée. Des répétitions, un ton très décalé, coloré, des mots qui s’entrechoquent et qui claquent, un vocabulaire très riche, un univers assez dense, une palette de mots assez riche, Bégaudeau s’éclate avec les mots, j’ai senti une vraie jubilation d’écriture. Le reste est plus moyen, c’est vrai, trop de rugby, de foot, des chapitres dont le contenu n’a pas toujours beaucoup d’intérêt. Des individus qui vont et viennent auxquels il ne s’attache pas. Des relations qui se vivent en mode 78 tours. Ce n’est pas toujours très passionnant, comme ce chapitre dna sun ascenceur avec un voisin, ou ce chapitre sur le connard. Sauf l’ironie sur les femems de 40 ans, qui dans l’ensemble m’a franchement fait rire (-c’est peut-être parce que je suis concernée -!) et qui a provoqué l’exaspération de Nelly Kaprielan.("quelle mysoginie") Bon. Mais je n’irais certainemetn pas le descendre en flèche comme il vient d’être descendu précisément en flèche au Masque et la Plume par Nelly Kapriélan, entre autres, Olivia de Lamberterie moins assassine, plus modérée notamment sur les points stylistiques. J’aime bien Bégaudeau, j’avais plutôt bien apprécié l’anti manuel de littérature. Bref, est ce si grave ? il fera mieux la prochaine fois, le PRIX Télérama 2006.