« Interventions 2 » : Michel Houellebecq s’incruste dans la société de conversation / La réflexion théorique comme matériau romanesque (extraits choisis)

« Interventions 2 »: Michel Houellebecq, une ré-édition d’un recueil de ces chroniques et d’entretiens parus dans diverses revues (de la NRF à Paris Match, 20 ans ou Les lnrockuptibles…), depuis 1992, augmenté de poèmes inédits. Réunis sous le titre très engagé d’ « Interventions 2 ». Une bonne surprise pour ses lecteurs férus qui retrouveront son franc parler aiguisé, son cynisme, ses obsessions habituelles et sa « pensée théorique » sur une multitude de sujets allant de l’éloge du cinéma muet à la connerie de Jacques Prévert en passant par l’art contemporain, le positivisme ou le salon de la vidéo hot…

En préambule de ce recueil, Michel Houellebecq précise : « Les réflexions théoriques m’apparaissent comme un matériau romanesque aussi bon qu’un autre, et meilleur que beaucoup d’autre. Il en est de même des discussions, des entretiens, des débats… Il en est encore plus évidemment de même de la critique littéraire, artistique ou musicale. Tout devrait pouvoir se transformer en un livre unique, que l’on écrirait jusqu’aux approches de la mort ». Il indique d’ailleurs aussi qu’il a essayé de les « recycler » dans des romans sans y avoir réussi. Une remarque tout à fait en accord avec l’œuvre qu’il développe depuis ses premiers poèmes. La dimension théorique y est en effet omniprésente sous forme de digressions plus ou moins pertinentes ou discutables, mais qui ne manquent jamais de faire réagir.
C’est l’une de ses marques de fabrique et aussi sans doute, une des raisons de son succès. C’est donc avec plaisir que l’on prolonge ce volet théorique à travers cette sélection variée de chroniques portées par la voix fluide de l’auteur.

Le lecteur y trouvera un éclairage intéressant qui fait écho à ses romans et complète bien son œuvre tout en l’enrichissant sur des thèmes plus pointus. Ce que l’on pourrait en effet appeler, comme l’a fait un critique, ses petites « mythologies » houellebecquiennes. Un recueil riche qui peut se lire de façon linéaire ou en piochant au choix d’après les titres souvent hauts en couleur (« Prévert est un con », « Approches du désarroi », « L’art comme épluchage » ou encore « Vers une semi-réhabilitation du beauf »…).
Il livre au passage à travers quelques entretiens et articles analytiques des réflexions assez passionnantes sur la littérature et en particulier la poésie (cf : « L’absurdité créatrice » où il évoque l’ouvrage « Structure du langage poétique de Jean Cohen). Sur ce thème, ses réflexions sur le « concept » de premier roman ou encore sa plaidoirie pour la réhabilitation de la SF valent aussi le coup d’œil.

Extraits choisis :
Intelligence et poésie:
« Si Jacques Prévert écrit, c’est qu’il a quelque chose à dire, c’est tout à son honneur.
Malheureusement ce qu’il a à dire est d’une stupidité sans bornes (…) »
« L’intelligence n’aide en rien à écrire de bons poèmes ; elle peut cependant éviter d’en écrire de mauvais. Si Jacques Prévert est un mauvais poète, c’est avant tout parce que sa vision du monde est plate, superficielle et fausse. » (extrait de « Jacques Prévert est un con »)

Le pouvoir de la littérature :
« La littérature est, profondément, un art conceptuel ; c’est même à proprement parler le seul. Les mots sont des concepts ; les clichés sont des concepts. Rien ne peut être affirmé, nié, relativisé, moqué sans que le secours à des concepts, et des mots. D’où l’étonnante robustesse de l’activité littéraire, qui peut se refuser, s’autodétruire, se décréter impossible sans cesser d’être elle-même. Qui résiste à toutes les mises en abyme, à toutes les déconstructions, à toutes les accumulations de degrés, aussi subtiles soient-elles. ; qui se relève simplement, s’ébroue et se remet sur ses pattes, comme un chien qui sort d’une mare. »

La publicité comme nouvelle religion:
« La mort de Dieu a constitué le prélude d’un formidable feuilleton métaphysique, qui se poursuit jusqu’à nos jours. (…) Une fois le rêve évanoui, diverses tentatives furent faites pour promettre à l’individu un minimum d’être ; pour concilier le rêve d’être qu’il portait en lui avec l’omniprésence obsédante du devenir. Toutes ces tentatives jusqu’à présent ont échoué, et le malheur a continué à s’étendre. La publicité constitue la dernière en date de ces tentatives. Bien qu’elle vise à susciter, à provoquer, à être le désir, ses méthodes sont au fond assez proches de celles qui caractérisent l’ancienne morale. Elle met en effet en place un Surmoi terrifiant et dur, beaucoup plus impitoyable qu’aucun impératif ayant jamais existé, qui se colle à la peau de l’individu et lui répète sans cesse : « Tu dois désirer. Tu dois être désirable. (…) » Niant toute notion d’éternité, se définissant elle-même comme processus de renouvellement, la publicité vise à vaporiser le sujet pour le transformer en fantôme obéissant du devenir. » (extrait : « Approches du désarroi »)

« Un recueil de poèmes devrait pouvoir être lu d’une traite, du début à la fin. De même, un roman devrait pouvoir être ouvert à n’importe quelle page, et lu indépendamment du contexte. Le contexte n’existe pas »

« Le but majoritaire de la quête sexuelle n’est pas le plaisir mais la gratification narcissique, l’hommage rendu par des partenaires désirables à sa propre excellence érotique. »

« La poésie est le moyen le plus naturel de traduire l’intuition pure d’un instant. (…) Tant qu’on demeure dans la poésie, on demeure également dans la vérité. » (extrait Entretien « Art press »)

« Pendant des années, j’ai marché dans les rues en me demandant si le jour viendrait où quelqu’un m’adresserait la parole – pour autre chose que me demander de l’argent. Eh bien voilà ce jour est venu. Il a fallu pour cela le deuxième salon de la vidéo hot. (extrait de « Que viens-tu chercher ici ? »)

La ruée vers le sud :
« Structurellement, la vie de l’Allemand évoque donc d’assez près la vie du travailleur immigré. Soit un pays A, et un pays B. Le pays A est conçu comme un pays de travail ; tout y est fonctionnel, ennuyeux et précis. Quant au pays B, on y passe son temps de loisir ; ses vacances, sa retraite. On regrette d’en partir, on aspire à y retourner. C’est dans le pays B qu’on noue de véritables amitiés, des amitiés profondes ; c’est dans le pays B qu’on fait l’acquisition d’une résidence, résidence qu’on souhaite léguer aux enfants. Le pays B est généralement situé au Sud. » (Extrait de « L’allemand »)

La dolce vita de la bactérie
« La bactérie, en effet, mène une vie paisible. Empruntant à l’environnement des nutriments simples et peu variés, elle croît ; puis elle se reproduit, assez platement, par divisions successives. Les tourments et les délices de la sexualité lui restent à jamais inconnus. Tant que les conditions restent favorables, elle continue à se reproduire (…) ; ensuite, elle meurt. Aucune ambition irréfléchie ne vient ternir son parcours limité et parfait ; la bactérie n’est pas un personnage balzacien. » (extrait de « La peau de l’ours »)

La construction d’un personnage romanesque au XXIe siècle :
« Sans nul doute le XXe siècle restera comme l’âge du triomphe dans l’esprit du grand public d’une explication scientifique du monde, associée par lui à une ontologie matérialiste et au principe du déterminisme local.
C’est ainsi par exemple que l’explication des comportements humains par une liste brève de paramètres numériques (pour l’essentiel, des concentrations d’hormones et de neuromédiateurs) gagne chaque jour du terrain. En ces matières, le romancier fait de toute évidence partie du grand public. La construction d’un personnage romanesque devra donc s’il est honnête, lui apparaître comme un exercice un peu formel et vain ; somme toute, une fiche technique serait bien suffisante. »

« L’adolescence n’est pas dans nos sociétés contemporaines un état secondaire et passager ; c’est au contraire l’état dans lequel, vieillissant peu à peu dans notre être physique, nous sommes aujourd’hui et pratiquement jusqu’à notre mort, condamnés à vivre. » ( extrait de « La question pédophile »)

A propos de l’avènement du féminisme :
« En résumé, l’immense travail de domestication accompli par les femmes au cours des millénaires précédents afin de réprimer les penchants primitifs de l’homme (violence, baise, ivrognerie, jeu) et d’en faire une créature à peu près susceptible d’une vie sociale s’est trouvé réduit à néant en l’espace d’une génération. » (extrait d’Humanité, seconde stade)

A propos de Neil Young :
« Les chansons de Neil Young sont faites pour ceux qui sont souvent malheureux , solitaires, qui frôlent les portes du désespoir ; mais qui continuent, cependant, de croire que le bonheur est possible. Pour ceux qui ne sont pas toujours heureux en amour, mais qui sont toujours amoureux de nouveau. Qui connaissent la tentation du cynisme, sans être capables d’y céder très longtemps. Qui peuvent pleurer de rage à la mort d’un ami (Tonight’s the night) ; qui se demandent réellement si Jésus-Christ peut venir les sauver. Qui continuent en toute bonne foi à penser qu’on puisse vivre heureux sur la Terre. Il faut être un très grand artiste pour avoir le courage d’être sentimental, pour aller jusqu’au risque de la mièvrerie. »

« J’étais un enfant. J’étais heureux, et le bonheur laisse peu de traces. » (extrait de J’ai lu toute ma vie)

5 Commentaires

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  1. Toujours chouettos de lire du Michel. Mais payer son billet de 20 pour un recueil de textes pour lesquels l’auteur a déjà été payé, ça fait un peu mal.

    • librio à 10 F sur 17 mars 2009 à 19 h 17 min
    • Répondre

    j’ai

  2. Ou de la biblio..

  3. Houellebecq : le Forrest Gump de la littérature

    Si au commencement était le Verbe, dans ses deux premiers titres – Extension du domaine de la lutte et Les particules élémentaires -, qu’est-ce que nous disait Michel Houellebecq (si d’aventure cet auteur tentait de nous dire quelque chose) ?

    Ce chérubin semblait vouloir nous dire, avant de s’en désoler, qu’il vaut mieux être riche et beau (et puis, jeune aussi) quand on veut tirer* de belles nanas, que pauvre et laid.

    Cette affirmation qui ne souffrira aucune contestation ferait donc de Houellebecq un grand écrivain doublé d’un grand moraliste.

    Car, si Houellebecq avait été riche et beau à une époque où il ne l’était pas, il aurait bien évidemment et très certainement cherché à séduire des filles pauvres et laides…

    C’est donc ça ?

    *Tirer des nanas : oui parce que… Houellebecq, les nanas, il voulait les tirer, c’est tout. Et elles ne s’y sont pas trompées bien sûr ! Elles qui ne supportent pas, lorsqu’elles en ont besoin, qu’on leur dise qu’elles en ont envie et vice versa. Mais ça………………. Houellebecq l’ignorait.

    ***

    Alors maintenant, à quand un auteur mais… de génie celui-là, qui nous expliquera, contre toute attente, combien il est préférable d’être issu d’une catégorie sociale dite privilégiée plutôt que d’appartenir à une catégorie sociale dite défavorisée* quand on veut, non seulement séduire de belles nanas, mais aussi et surtout, se faire une place au soleil…

    A quand cet auteur de génie ?

    Parce que… bon… on s’impatiente là !!!!!

    * Défavorisée ? Qualificatif outrageusement euphémisant quand on constate l’ampleur des dégâts sur cette classe.

    ***

    Plus tard, avec un titre comme Plateforme, et aujourd’hui avec La possibilité d’une île, il semblerait que Houellebecq ait souhaité élargir quelque peu son champ de vision et qu’il se soit décidé à nous donner des nouvelles du monde.

    Si Houellebecq connaît réellement notre monde contemporain, et si on oublie un moment une inspiration souvent absente ou poussive, force est de constater que cette connaissance de notre société moderne semble avoir pour source principale, sinon unique, le journal de 20H (TF1 ou France 2, c’est au choix), les émissions de Delarue, Envoyé Spécial pour s’être attardé devant son écran (somnolant ?) ; et maintenant qu’il vit en Espagne ou bien, en Irlande (personne ne sait au juste ; et lui non plus, on me dit) : TV5 ; ce qui, tout le monde en conviendra, n’arrangera rien, bien évidemment.

    ***

    A prendre ou à laisser Houellebecq ? Un houellebecq qui est à l’écrit ce que Mylène Farmer est à la musique et à la danse (on m’affirme que tous les deux partagent le même fans club !)

    Au diable la culpabilité ! Alors, oui ! Vraiment ! Sans craindre le ridicule et sans prendre le risque de passer à côté d’une œuvre, d’une vraie, et d’un chef d’œuvre , d’un vrai…

    On peut sans regret et sans remords laisser Houellebecq ainsi que les fossoyeurs de la littéraire qui l’ont promu au rang d’auteur qu’il faut avoir lu sous peine d’être frappé d’inconséquence ou de nullité, là où ils ne seront jamais, à savoir : dans un lieu qui ressemble fort à un avenir car, il y a des auteurs qui savent voir loin et acheminer l’attention de leurs lecteurs plus loin encore, et surtout, là où personne ne peut décemment souhaiter être mené : à tous les drames et à toutes les tragédies, nous tous glacés d’effroi, face au pire.

    En revanche – et on l’aura compris -, Houellebecq ne nous mènera guère plus loin que dans sa salle de bains qu’il ne fréquente que rarement, pour une douche qu’il ne se résoudra jamais à prendre en gosse mal léché, difficile et laborieux quant à l’acquisition des apprentissages de la petite enfance… et sur son pot aussi, lieu de toutes les rétentions, en pré-ado attardé, et alors que le monde d’aujourd’hui et de demain a besoin de titans !

    Il faut le savoir : un auteur digne de ce nom, un auteur qui se respecte, se doit d’être sale à l’intérieur mais… impeccablement mis à l’extérieur, un auteur au linge irréprochable ; à ça aussi, Houellebecq ne s’y résoudra jamais !

    Oui ! Propre à l’extérieur et sale à l’intérieur car, porteur de toutes les ignominies dont notre espèce est capable, cet auteur d’une nécessité absolue, jusqu’à ce que… une fois la morale évacuée ou expurgée, il ne reste plus que des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards, pères, mères, soeurs, frères, filles, fils, bourreaux et victimes, nous tous tassés au fond d’un gouffre les yeux levés vers le ciel, et la nuit, les étoiles, à la recherche d’une lumière rédemptrice pour les plus coupables d’entre nous, et consolatrice, pour les plus humbles, abandonnés de tous, face à un lecteur non seulement témoin mais… acteur, incarnant pour l’occasion…

    Le dernier des hommes.

    ***

    "Ben, dites-moi ! C’est pas rien !
    – Oui, je sais : c’est pas une mince affaire !"

    (sourire)

    _____________

    Extrait de “Actualité et Société” sur http://www.sergeuleski.blogs.nouvelobs.com

    • théo dramaturge sur 7 janvier 2011 à 12 h 03 min
    • Répondre

    Michel Houellebecq est surement au meilleur de son écriture dans ses textes courts : RESTER VIVANT est un livre majeur.
    Et je le crois dans la bonne direction avec : « Tout devrait pouvoir se transformer en un livre unique, que l’on écrirait jusqu’aux approches de la mort »
    Théo

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