Nelly Kaprièlian, critique littéraire pour le journal « Les Inrockuptibles » et l’émission radio « Le masque et la plume », se passionne pour la littérature américaine et a même participé à la réalisation d’un documentaire (« Romans made in New York » diffusé sur Arte). A travers les portraits de six écrivains américains, ce film tentait de radiographier la nouvelle génération d’auteurs new-yorkais qui a succédé aux célèbres et incontournables Jay McInerney et Bret Easton Ellis, auteurs phares de la « Génération perdue ». Toutes ces rencontres dessinaient un portrait de la société américaine de l’après 11 Septembre tout en évoquant les enjeux littéraires et esthétiques auxquels font face ces jeunes auteurs.
Au salon du Livre, un débat sur le même thème a été organisé. Animé par Nelly Kapriélan, il a évoqué l’émergence, depuis une décennie, de différents jeunes auteurs américains, nés pour la plupart entre 1974 et 1978, sur la scène littéraire US. Jonathan Safran Foer, Nicole Krauss, Jonathan Franzen, Marisha Pessl, Dave Eggers, Keith Gessen, Benjamin Kunkel, sont-ils parvenus, à l’égal de leurs ainés 20 ans plus tôt, à renouveler le roman américain ? Comment se situent-ils par rapport à eux ? Comment, en quelques romans, ont-ils marqué la littérature américaine et vers quoi l’orientent-ils? Benoît Yvert, président du CNL, Olivier Cohen, éditeur (L’Olivier), Christine Jordis, écrivain et éditrice (Gallimard), Pierre-Yves Pétillon, spécialiste de la littérature américaine et Michel Lederer, traducteur, tentent une approche autant synthétique que subjective en ne manquant pas de citer d’autres auteurs… !
Pour Christine Jordis, tous ces auteurs vont marquer leur temps et laisser leur empreinte. Ils parlent de choses très neuves. Ils font preuve de tentatives constantes pour renouveler le paysage littéraire américain, notamment, en exploitant le filon des revues américaines. Leurs personnalités déploient des ruses : ils brisent la notion de genres et font des dessins de leurs textes. Jordis songe à Max Willis, qui présente une vision originale contemporaine. Elle pense que la vigueur de l’écriture de Dave Eggers porte en elle une fonction expérimentale. Elle précise : « On peut toujours chercher à se renouveler, et c’est ce qu’ils font » car de toute façon, « la volonté aboutit toujours à un résultat probant ».
Pour Olivier Cohen, le débat doit se situer entre l’influence des écrivains post-modernes et les écrivains d’aujourd’hui. (Petit rappel : A partir des années 70, la narration prend la place de l’histoire, et l’on se préoccupe plus de la façon de dire que de ce qui est dit. Les codes, le jeu, le pastiche, sont différents thèmes exploités dans la littérature américaine moderne qui ouvrent tranquillement la porte à la littérature dite postmoderne). Cohen cite Rick Moody qui incarne selon lui, « l’historique » de l’évolution littéraire américaine. Cohen nommerait davantage cette nouvelle génération d’écrivains, la génération –trait d’union- parce que les œuvres ne traitent ni plus ni moins que du grand brassage des identités entre ce qui se raconte en Russie ou ce qui est traversé perpétuellement par des influences judéo-américaines et divers courants. De préciser qu’il « existe des écrivains trans-générationnels comme Alice Munro et Max Willis qui ont su créer «des compartiments» entre les générations. Dans cette approche du monde un peu neuve, il y a d’abord une veine d’absurde exploitée qui est efficace.
Pour Pierre-Yves Pétillon, qui s’avérera l’interlocuteur le plus tranché, l’actualité littéraire et la littérature au sens le plus noble du terme sont déconnectés de l’un à l’autre. Il ne ressent pas du tout cet esprit de corps ou de corporation comme ce que soulignent ses acolytes. Il ne note pas de grand changement depuis 1985 sauf pour « Rick Moody » -décidément, il fait l’unanimité – et Franzen qui, avec ses « Corrections » semblent trouver grâce à ses yeux. Petillon aime la narration plus classique de Franzen parce qu’il y sent beaucoup plus d’émotions. Il est bon et intéressant que l’écriture, si on veut lui faire prendre ce virage, évolue vers la typographie mais pas au point de rendre l’ouvrage illisible. Il souligne une recherche personnelle de chacun incontestable et incontestée par rapport à son chemin personnel vers la mémoire, que l’on soit « juif » ou « russe aux Etats-Unis », comme le font Krauss et Safran Foer. A trouvé fabuleux que celui-ci, en l’écrivant, ait su inventer l’histoire de sa famille mais provoque des murmures hostiles lorsqu’il croit bon d’ajouter « même si l’autofiction, ce n’est pas, pour moi, de la littérature ». (Jordis a rétorqué sous forme de parenthèse avant de laisser la parole à quelqu’un d’autre). Yvert revient quelques minutes sur la mémoire et les crises d’identité qui suggèrent sa narration, en en soulignant l’importance, « pour tous ces écrivains qui avaient entre 20 et 25 ans au moment du 11 septembre 2001 ». Pétillon lâche d’ailleurs que « le traitement du 11 septembre fut décevant en termes de production de romans américains. N’a pas eu le sentiment de ressentir une sidération, une souffrance à étayer, comme si l’influence de l’actualité avait été vaine. Le seul grand roman qui parle du 11 septembre, selon lui, et donne ce sentiment de déphasage par rapport au vécu, reste « A contre jour » de Thomas Pynchon, qui relate une histoire se déroulant en 1892. Rendons à César ce qui lui appartient : des auteurs comme Norman Mailer, Joseph Heller, Thomas Pynchon, et les dramaturges Arthur Miller et Tennessee Williams ont explorés le sort de l’individu à la recherche d’un équilibre entre sa place et son évolution dans une société où la responsabilité sociale est une valeur importante.
Cohen, lui, défend avec vigueur les jeunes auteurs, ajoutant que « cette littérature du trait d’union est indispensable, étant donné le lien évident entre ces jeunes auteurs d’aujourd’hui et ceux d’hier. Leurs parents avaient connu l’intégration, eux connaissent la désintégration, et ce n’est peut être pas simple. « Ce sont des gens qui cherchent moins à valoriser finalement leur appartenance à une communauté qu’à se différencier dans leur individualisme. »
Nelly Kapriélan intervient à ce moment dans le débat et insiste sur le fait que les auteurs d’aujourd’hui tiennent surtout à dire qui ils sont, en racontant leur histoire propre, leurs racines juives, pour prendre le contre-pied d’une littérature afro américaine qui a tenté d’esquiver des pans de l’Amérique, en faisant beacoup de mal à l’histoire du continent.
Petillon opine du chef, ajoutant que la littérature possède ce don d’annoncer naturellement quelque chose de prophétique (c’est le cas avec Bret Easton Ellis), et, sans prévenir, cite « Percival » publié chez Actes Sud
Sur les fameux cours de « creative writing », il est convenu que tous les romanciers américains sont passés par la nouvelle, car « là est plus facile d’aborder l’ancrage familial, pour envisager ensuite, la perspective d’une révélation. « On peut insister aussi sur le fait que les cours de « creative writing », ont été pensés pour supplanter l’idée qu’on recherche toujours des livres facilement vendables. Cohen confirme : « ces cours de « creative writing » ont peut-être tendance à formater les écrivains alors que l’intérêt de l’écriture est jusqu’à preuve du contraire, de déceler une voix qui est propre« . Il cite Raymond Carver, qui lui n’enseignait strictement et qui est un modèle du genre.
Yvert et Kaprièlian clôturent le débat ensemble en justifiant son utilité. En effet, dans le public, un psychanalyste a fait remarquer que le débat avait trop insisté sur les notions de race et d’identité, allant jusqu’à reprendre une des questions de Kaprièlian : « L’élection d’Obama va-t-elle avoir une incidence sur la littérature américaine ou les événements récents dans leur globalité ?» A juste titre, l’auditeur s’étonna de cette question par trop ciblée : « S’est t-on demandé en France si l’élection de Sarkozy avait eu une incidence quelconque sur la littérature française ? il semble que non »
« Il fallait, et nous l’avons souhaité, apporter un regard neuf et particulier sur ces auteurs qui sortent du lot. On ne peut nier le phénomène de génération qui propulse certaines voix par rapport aux événements américains, disons depuis le 11 septembre. Il ne s’agissait en aucun cas de faire une généralisation prétentieuse et systématique ». [Propos retranscrits par Laurence Biava]
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