Comment la France tire-t-elle son épingle du jeu de la mondialisation culturelle ? L’édition française, qu’il s’agisse de littérature ou de sciences humaines, s’exporte-t-elle facilement ? Et quels sont les pays les plus ouverts à nos auteurs ? Éditeurs, responsables des droits étranger, agents littéraires ont confronté leur points de vue le 16 mars dernier au Salon du livre de Paris. Peu de temps après le « Festival of new French writing » à New-York, les attaques du Times magazine sur la « mort de la culture française » (article de Don Morrisson début 2009) ou encore la fermeture de la Librairie française de New-York, cette discussion animée s’est tenue entre Serge Eyrolles, Président du SNE, auteur de « Les cent mots de l’édition » (Que sais-je) Heidi Warneke, Directrice des cessions de droits étrangers chez Grasset, Marianne Payot, rédactrice en chef adjointe de la rubrique livres de l’Express, François Samuelson Agent littéraire et artistique, fondateur du Bureau Français de New York et Intertalents, Francis Esmenard PDG des éditions Albin Michel et Marc-André Wagner, secrétaire général du CNL. Compte-rendu :
François Samuelson annonce la couleur : avec plus de 620 millions d’euros en 2007, les exportations de livres français représentent près du quart du chiffre d’affaires de l’édition française et sont en progression relative de 1 à 3% depuis quelques années. Seul bémol, l’année 2008, pendant laquelle on observa un léger tassement. La Belgique, le Canada et la Suisse concentrent plus de la moitié des exports de romans. En ce qui concerne les traductions, l’Union européenne – l’Espagne et l’Italie en tête – absorbe 51 % des cessions de droits à l’étranger.
Même si l’édition française continue à occuper une place importante dans le monde, elle apparaît cependant fragilisée. Le marché est en effet, dynamique mais déséquilibré. Le nombre de lecteurs en langue française à l’étranger diminue. Qui est responsable ? A quoi cette faille est elle imputable ?
Il semblerait que la cause de cette carence soit due à un « affaiblissement » de la politique de la francophonie. Serge Eyrolles : « on demande des professeurs de français et on ne les obtient pas. On a du mal à ce que les efforts soient réunis ensemble. Si le quai d’Orsay, l’Alliance Française et le SNE réussissaient à conjuguer leurs efforts, la francophonie dans les pays du monde se porterait mieux« . Chaque intervenant opine du chef, s’alarme : Marianne Payot demande comment est-il possible que l’on n’ait pas les moyens d’envoyer 2000 professeurs à l’étranger ? Serge Eyrolles précise qu’en France, « on n’est pas nuls » – sic – et que « l’ on importe autant qu’on exporte » « Notre littérature est riche, nos auteurs connus et il y a une vraie soif du public. Je pointe un problème majeur : le manque de stratégie. Il faut un chef d’orchestre pour maintenir un réseau de diffusion à l’étranger. Je suis inquiet quand j’apprends que Bernard Kouchner, au Quai d’Orsay, prévoit une réduction drastique de budget pour la part du livre« , explique le président du Syndicat national de l’édition. « On voit des librairies françaises disparaître [il fait allusion à « la Librairie Française de New York »], uniquement parce que les lycées français ne reçoivent pas leurs livres. (les arts tels que l’opéra et le théâtre curieusement ne rencontrent pas les soucis auxquels est confrontée la littérature)« .
« Bien sûr, ajoute Francis Esmenard, Il est toujours possible de prétendre que la présence des librairies françaises n’est pas indispensable mais les instituts doivent être dynamisés à tout prix. Il ne faut pas que les bonnes intentions se retrouvent freinées par un problème de quotas, afin de ne pas renflouer les librairies tous les 4 mois.«
Wagner ajoute : « Si tous les moyens ne sont pas réunis, la fameuse « exception française » risque encore de s’affaiblir dans les années à venir. »
François Samuelson apporte des précisions importantes : « La librairie française de New York dans une communauté toute seule ne peut pas s’en sortir. Il faut maintenir un réseau de diffusion du livre, depuis les ambassades, et à tous les niveaux. Bien sûr que la restriction budgétaire du Ministère de Kouchner est paralysante et conditionne tout le reste ! » Il poursuit : « Il faut de plus inclure Culture France dans les Comités de pilotage et dans les divisions décisionnaires. Les pouvoirs publics doivent encourager la francophonie. Il s’agit d’une chaine de solidarité et dans cette chaîne, les éditeurs doivent aussi faire un travail d’expansion et de diffusion. »
Marc André Wagner, coauteur d’un rapport intitulé « Perspectives pour le livre français à l’étranger », en février dernier, pour la ministre de la Culture, Christine Albanel, observe que d’autres marchés se développent comme en Russie, en Corée ou au Vietnam. Au Vietnam et en Russie, les lecteurs étrangers apprécient surtout la littérature, les sciences humaines et la jeunesse. En Corée, le trio de tête est inversé (Bernard Weber a vendu 1 million d’exemplaires en Corée pour « Fourmis »). La collection « Que sais je ? » est surtout traduit en turc, en coréen, et en espagnol. François Samuelson : « Il faut souligner le vrai problème du support« . « Il est surtout du à Internet qui ne respecte aucun droit ». « Il faut se battre pour que l’édition française ait toujours autant d’auteurs créatifs, notamment en sciences humaines« .
Quelques têtes d’affiches, quelques chiffres :
Heidi Warneke, Directrice des cessions de droits étrangers chez Grasset : « Il y a des auteurs attendus et des auteurs qui surprennent. On attend beaucoup d’Amin Maalouff, dans toutes les langues européennes, sa réputation est importante partout. Personnage en revanche, plus inattendu, apparu sur la scène littéraire il y a quelques années, Arno Delalande pour « le piège de Dante », qui a d’abord séduit des éditeurs anglais et canadiens, et qui a été traduit en 25 langues étrangères. »
Francis Esmenard nous livre que les éditions Albin Michel possèdent à leur actif 300 contrats étrangers (littérature et sciences humaines comprises).
Sans surprise, Amélie Nothomb et Bernard Weber sont traduits en 30 langues.
Marc-André Wagner : « La Slovénie et la Tchétchénie sont très amateurs de la langue française. Il faut laisser les pays s’adapter et lutter contre le piratage qui, en se développant avec le net, devient un vrai souci. »
François Samuelson : « Il n’est pas bon de vendre à un pays pour rien. Il faut s’assurer qu’il est rentré dans le circuit et qu’il possède l’esprit du droit d’auteur.«
A propos du net, il n’en démord pas : « En dépit des faiblesses du net (comprendre « vices ») le vecteur pour l’acquisition des livres français par exemple en Nouvelle Zélande ou dans tous les pays lointains reste le web. Mais là comme ailleurs, tout est question de respect. Pour qu’un auteur soit vendu et apprécié, il faut d’abord qu’il s’apprécie lui-même. Il faut non seulement traiter les livres assez sérieusement mais surtout que les livres soient lus par les gens qui en parlent. On a trop de discours vains, fumistes, qui enfoncent des portes ouvertes ». [il fait un bref topo sur son agence à New York qui a 25 ans, et dit qu’il faut être sur place]« .
A propos du « Festival of new French writing » qui s’est déroulé fin février avec entre autres, Frédéric Beigbeder, Emmanuel Carrère, Marie Darrieussecq et David Foenkinos, il considère la venue des auteurs français comme une bonne initiative à condition que ce ne soit pas trop glamour et que cela serve à autre chose qu’à faire voyager l’auteur aux frais de l’état. Il n’aime pas le « côté préparé de la confrérie » et regrette les erreurs factuelles de Kaprielan, dans son compte rendu dans les Inrocks. Enfin, il faut, toujours d’après lui, surtout prendre en considération l’auteur, « c’est le minimum basique », s’intéresser réellement à la cible publiée, à la cible choisie, faire travailler les réseaux francophones, les éditeurs et les journalistes. Pour pouvoir Intéresser le public étranger. Et au fait, à quoi sert il de faire voyager un auteur dont le livre n’est même pas traduit en langue étrangère ? La question reste effectivement posée… [Propos retranscrits par Laurence Biava]
1 Commentaire
Ah! Je m’en voulais d’avoir manqué cette table ronde- merci Laurence.
Où l’on voit que râler reste bien ancré au fond de "l’esprit français" (et qu’il existe tout de même de bonnes raisons de râler…) et qu’on adore toujours se poser les questions à l’envers.
Cela dit, on ne sait jamais : entre les mains de gens compétents qu’on laisserait travailler avec quelques moyens (on peut rêver en plus de râler) CulturesFrance pourrait être un succès…