Impossible d’échapper au buzz autour de Douglas Kennedy, « le plus français des écrivains américains » (traduit dans 21 langues mais inconnu aux Etats-Unis !) et accessoirement fabricant officiel de best-sellers. Creusant le sillon du roman dit populaire à tendance intimiste et (pseudo ?-) existentialiste, l’auteur de « La poursuite du bonheur », loin d’être un styliste, bénéficie néanmoins d’une image un peu plus noble qu’un Marc Lévy. A travers ses grandes sagas, il dessine le destin d’hommes ou de femmes en rupture avec leur milieu familial, souvent en fuite et en quête d’eux-même avec au milieu en général un grand rebondissement qui fait s’écrouler tout ce qu’ils avaient tenté de reconstruire… Bref une mécanique romanesque bien huilée et efficace comme on dit. C’est de nouveau son talent de « storyteller page-turner » qui est à l’œuvre dans son dernier opus : « Quitter le monde » (tiré à 200 000 exemplaires ; tirage moyen d’un roman en France: 3000), que la critique n’a pas hésité à considérer comme son meilleur roman, mais aussi l’un des plus noirs. L’écrivain affable donnait une interview intéressante à la chaîne LCI, à ce sujet :
Dans ce roman dans la veine de l’un de ses plus grands succès « La poursuite du bonheur », Douglas Kennedy nous raconte le destin de Jane Howard, une universitaire malmenée par la vie, à la suite notamment de certains choix désastreux.
Il le décrit comme « une grande fresque américaine« , « le destin d’une femme et ses étapes avec au milieu du roman une tragédie« . Ce qui intéresse l’auteur c’est de comprendre et de montrer comment on construit une vie et le rôle majeur du hasard. « Il y a cette grande mythologie aux Etats-Unis que l’on construit sa vie pierre par pierre mais en réalité tout peut basculer en un instant. La vie quotidienne c’est un vernis très fragile.« , souligne-t-il. « Pendant une vie, il y a beaucoup de vies.« , ajoute-t-il, lui qui vient justement de divorcer après 25 ans de mariage.
A propos des relations entre le destin et le hasard, il estime que : « Le destin ce n’est pas la main de dieu, le destin c’est le hasard et après le hasard on fait des choix et ce sont ces choix qui constituent le destin… Mais c’est ma théorie, je vais peut-être créer une religion maintenant ! »
L’idée de ce roman est partie de l’accident de l’amie de sa fille qui en traversant une rue de Londres s’est faite renverser et en est morte. Dans ce roman l’héroïne tente d’expier des trahisons auxquelles elle ne peut rien. A l’image de l’auteur, elle a grandi dans un mariage raté et n’aura de cesse de chercher le père qu’elle n’a pas eu. « On cherche un père absent toute la vie », affirme Kennedy. « Jane pense qu’elle ne mérite jamais le bonheur. Elle lutte tout le temps avec elle-même mais c’est impossible d’éviter son enfance. »
A propos du titre, « Quitter le monde », il commente : « C’est un titre sombre mais ironique car on ne peut jamais vraiment quitter le monde moderne, malgré toutes ses tentatives… »
Sur la question de la dimension autobiographique, il répond en riant « Emma Bovary c’est moi. » avant d’avouer qu’il a toujours évité « la tentation du romans à clés ». Et d’ajouter : « Je déteste l’autofiction. Je n’aime pas les auteurs qui se regardent le nombril, on peut toujours atteindre une certaine vérité si ce n’est pas son histoire. »
Il estime qu’une des raisons de son succès est d’écrire des « romans réalistes », même si ceux-ci apparaissent sombres, les gens s’y reconnaissent. « J’essaie de brasser de grands thèmes, de grandes fresques humaines, avec un style très accessible. Mon sujet, ce sont les inquiétudes modernes, par exemple les problèmes matériels omniprésents dans le monde actuel. Mais je fais en sorte que chacun de mes livres soit différent : il y a un gouffre entre « La Femme du cinquième » et « Quitter le monde »…« , a-t-il confié au magazine Le Point.
Il affectionne les récits mettant en scène un homme qui part (son premier succès portait pour titre, « L’homme qui voulait vivre sa vie ») avec pour thèmes de prédilection la fuite, la survie ou la souffrance qui sont tous voisins. « On cherche des échappatoires tout le temps afin d’éviter l’ennui, dit-il. L’ennui, je pense que c’est un péché mortel. C’est pourquoi je vis entre Paris, Londres et Berlin. Quand j’écris, je peux contrôler la vie, je suis Dieu, contrairement à la vie quotidienne où l’on ne contrôle rien. »
Comment réussit-il à se mettre dans la peau des femmes ? « J’ai une petite poche d’œstrogène que je place sous le bras », s’amuse-t-il à répondre avant d’avouer qu’il n’en a aucune idée. Pour « La poursuite du bonheur », tout est parti de son envie de changer de style, après avoir écrit 3 polars. « Je vois le monde non pas comme une femme mais avec les yeux de Jane. »
Enfin, il révèle un de ses secrets d’écriture : sa discipline de fer ! « Je m’oblige à écrire au moins 500 mots par jour soit 2 pages par jour, soit 12 pages par semaine et en 50 semaines on a un roman. Tout le monde s’imagine l’écrivain sur une grande plage, seul avec en arrière plan une musique d’Erik Satie, des grandes pensées mais c’est un fantasme qui n’existe pas. Non, c’est un homme derrière un ordinateur dans un bureau. »
Dans une autre interview accordée au magazine « Femmes », il cite parmi ses maîtres : « Philip Roth sans hésitation mais aussi Richard Yates dont j’ai découvert La fenêtre panoramique en 1972. Un roman choc qui m’a rappelé mes étés mortifères à Old Greenwich dans le Connecticut, l’ennui terrible et lancinant de la banlieue. Il faut lire Easter Parade, son chef d’œuvre. Il y a aussi James Salter, Richard Ford, Elmore Leonard, un auteur de polars et beaucoup d’autres encore. » Parmi les écrivains français, il cite Olivier Adam, Anna Gavalda et Charles Dantzig dont il a beaucoup aimé Le Dictionnaire égoïste de la littérature.
5 Commentaires
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je suis en train de lire "quitter e monde", je le trouve plus sombre et destructeur que les autres livres de D.K., peut-être son divorce ? Pourquoi ne peut-on pas lui écrire directement ? je voudrais lui dire combien j’aime ses livres malgré leur réalisme : j’ai même de la crainte de lire et reprendre la lecture tant ils m’atteignent ! Bravo, continuez à nous obliger à réfléchir …
OUI c’est vrai DK est un auteur hors norme attachant suprenant
Mon écrivain favori, je commence "quitter le monde", pas facile de le lacher, même si en le feuilletant, j’ai eu peur de pas aimer, "les trader", c’est pas mon truc, mais bien, il y a plein d’autres rebondissements, j’adore Douglas Kennedy,
C’est un bon livre, encore que la dernière partie est un peu décevante. La fin semble inachevée aussi mais Jane est un personnage attachant et on se laisse prendre par la lecture de ce livre, le style est alerte. Dommage qu’on ne puisse correspondre directement avec l’auteur ou est-ce que je me trompe (en anglais bien sûr)
Douglas Kennedy, quelque soit le genre qu’il aborde, est une « machine à lire »!
On ne peut lâcher le personnage avant d’avoir avancé.On tremble avec ses héroïnes, si courageuses.
La femme est l’avenir de l’homme!