Dans « Histoire d’une vie », le romancier israélien Aharon Appelfed écrivait “Seuls les mots qui sont des images demeurent. Le reste est un brin de paille”. Dans l’une de ses chroniques pour le magazine Lire, « La métaphore de la sole », Frédéric Beigbder lui fait écho. Alors qu’il relisait Colette, il analyse ce qui fait, selon lui, la force d’un texte et ce qui fait qu’il accède à une forme d’éternel : la puissance de ses images.
« (…) je me suis rendu compte que les images étaient tout ce que je préférais dans la littérature. Finalement, nous ne lisons que pour voir, et l’on a tort d’opposer si souvent le livre et le cinéma. Les romans sont des films, une suite de «choses vues» collées bout à bout. C’est souvent tout ce que je retiens, lorsque je referme un roman. Un exemple célèbre est le début de L’écume des jours où Boris Vian décrit un garçon qui se coiffe: «Son peigne d’ambre divisa la masse soyeuse en longs filets orange pareils aux sillons que le gai laboureur trace à l’aide d’une fourchette dans de la confiture d’abricots.» Encore une métaphore alimentaire? C’est que comparer un personnage à de la bouffe reste le meilleur moyen de le rendre appétissant. Cela me rappelle instantanément la Lolita de Nabokov et «sa bouche aussi rouge qu’un sucre d’orge sucé», qui elle-même évoque la petite Cissy Caffrey dans Ulysse de Joyce, et «ses lèvres purpurines comme la cerise mûre».
(…) je n’admire rien plus que ces trouvailles saugrenues qui nous font regarder les êtres autrement.
(…) Un romancier est un portraitiste. Il n’imprime pas seulement des phrases mais observe les détails qui définissent des gens. Les mots deviennent des photos. Le plus fort à ce sport, c’est Balzac, au début de La fille aux yeux d’or, parce qu’avec lui les visages deviennent une ville. «A force de s’intéresser à tout, le Parisien finit par ne s’intéresser à rien. Aucun sentiment ne dominant sur sa face usée par le frottement, elle devient grise comme 1e plâtre des maisons qui a reçu toute espèce de poussière et de fumée.» Le but de tout écrivain digne de ce nom devrait être de voir dans un visage d’homme une sole, de la confiture, un tiroir ou une maison. »
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