Alors que le Grand Palais expose Andy Warhol et que Pompidou propose une conférence sur Britney Spears comme « incarnation des mutations de la culture de masse », quels sont les liens entre les grandes icônes pop et l’art, plus précisément la littérature. La pop lit’ ou comment transfigurer le « people » en matériau littéraire… A l’époque déjà, Simone de Beauvoir avait eu l’occasion de s’exprimer sur le phénomène B.B (le « Lolita syndrom » comme elle l’avait surnommée) car on l’a un peu oublié mais l’actrice était alors l’objet d’une vaste traque oscillant entre haine et adoration (le film « Vie privée » de Louis Malle où elle incarne son propre rôle le montre cruellement allant jusqu’à mettre en scène sa mort due à un flash de paparazzi). La société du spectacle et ses cultes déglingués inspirent régulièrement les écrivains…
Marilyn a été la muse de Joyce Carol Oates (« Blonde ») ou encore de Michel Schneider (« Marilyn dernières séances ») tandis qu’un J.G Ballard évoquait le rôle joué par certaines grandes stars du cinéma dans l’imaginaire collectif. Il pensait alors que ce star-system serait sans suite. C’était sans compter l’arrivée d’une Britney Spears qui aura peut-être surpassé toutes ces aînées en matière de traque par les paparazzis et de fascination-adulation-répulsion. Cette dernière aura notamment inspiré Virginie Despentes et Nicolas Rey tandis qu’un collectif d’écrivains dont Joy Sorman et François Bégaudeau avaient eux, choisi Anna Nicole Smith comme héroïne. Jean-Hubert Gaillot s’est inspiré de Michael Jackson pour son roman Bambi Frankenstein, paru en 2006 et commentait à son sujet : « Un siècle plus tard, en guise de Nietzsche nous avons Michael Jackson […]. On a les Nietzsche que l’on mérite !« , sans oublier Yann Moix qui, dans Podium, se mettait dans la peau des fans jusqueboutistes de Cloclo, aussi hilarants qu’effrayants !
Extraits choisis :
Brigitte Bardot vue par Simone de Beauvoir
L’auteur du Deuxième sexe avait écrit dans le magazine américain L’Esquire un article « Lolita syndrom », analysant le phénomène B.B, Brigitte Bardot, star aussi adulée que décriée dans les années 60 :
« Brigitte Bardot est une nouvelle Eve qui combine « le fruit vert » et la « femme fatale ». Elle est le plus parfait spécimen de ces nymphes ambiguës. Vue de dos, son corps mince et musclé de danseuse est presque androgyne.
La féminité triomphe dans sa gorge ravissante. Les longues tresses voluptueuses de Mélisande glissent sur ses épaules, mais sa coiffure est celle d’une gitane. Ses lèvres font une moue boudeuse, mais en même temps invitent au baiser. Elle se promène pieds nus, dédaigne les vêtements élégants, les bijoux, les gaines, le parfum, le maquillage, tous les artifices. Cependant sa démarche est lascive et un saint vendrait son âme pour la voir danser. (…) Elle est sans mémoire, sans passé, et, grâce à cette ignorance, elle garde la parfaite innocence qui est inhérente au mythe de l’enfance.
(…) Elle est boudeuse et capricieuse. (…) On la décrit comme un être instinctif, qui suit aveuglément ses impulsions (…) Elle est fantasque, changeante, imprévisible dans ses humeurs, et bien qu’elle conserve la limpidité de l’enfance, elle en a également gardé le mystère.
Tout compte fait, une étrange créature, et cette image ne s’écarte pas du mythe traditionnel de la féminité.
(…) B.B n’essaie pas de scandaliser. (…) Elle suit ses inclinations. (…) Les fautes morales peuvent être corrigées mais comment pourrait-in guérir B.B de cette éblouissante vertu : l’authenticité. Ni les coups ni les raisonnements ne peuvent la lui ôter. Elle rejette non seulement l’hypocrisie et les reproches, mais aussi la prudence, les calculs et n’importe quelle préméditation.
(…) C’est pourquoi une nombreuse arrière-garde à l’esprit traditionaliste déclare que B.B est le produit et la représentante de l’immoralité de l’époque. La femme convenable ou peu désirable peut se sentir à l’aise devant les Circés classiques qui doivent leur pouvoir à de ténébreux secrets. Du haut de leur vertu, la fiancée, l’épouse, la maîtresse au grand coeur et la mère despotique sont promptes à damner ces sorcières. (…) Mais si le Mal prend les couleurs de l’innocence, elles entrent en fureur. Il n’y a rien d’une mauvaise femme en B.B. La franchise et la bonté se lisent sur son visage. (…) Elle n’est ni dépravée ni vénale.
BB est désirable sans être une femme fatale, pas une vamp, ce que les hommes ne lui pardonnent pas. Elle montre son corps, ni plus ni moins, et ce corps est rarement immobile.
Elle marche, elle danse, elle bouge. Son érotisme n’est pas magique, il est agressif. Dans le jeu de l’amour elle est autant le chasseur que la proie. (…) Dans les pays latins où les hommes s’accrochent au mythe de la femme-objet, le naturel de B.B semble plus pervers que n’importe quelle sophistication. Mépriser les bijoux, le maquillage, les talons hauts et les gaines, c’est refuser de se transformer en idole. C’est s’affirmer comme la semblable et l’égale de l’homme, c’est reconnaître qu’entre la femme et lui il y a le désir et le plaisir mutuels. Brigitte s’apparente en cela aux héroïnes de Françoise Sagan, bien qu’elle s’en défende. La plupart des gens n’ont pas le courage de limiter la sexualité à ce qu’elle est et d’en admettre le pouvoir.
La rédemption définitive d’une vedette se fait par le mariage et la maternité. Brigitte ne parle que vaguement de se marier. Cependant elle déclare avec enthousiasme qu’elle adore la campagne et qu’elle rêve d’acheter une ferme. En France l’amour des vaches est considéré comme un gage de haute moralité.
C’est sa franchise qui, plus que tout, dérange le public français et enchante les américains. B.B a dit « Je veux qu’il n’y ait ni hypocrisie, ni sottises à propos de l’amour. » Le déboulonnage de l’amour et de l’érotisme est une entreprise qui peut avoir plus de conséquences qu’on ne l’imagine. Aussitôt qu’on touche à un mythe, tous les mythes sont en danger. »
Britney Spears vue par :
Virginie Despentes avait écrit une excellente chronique intitulée « 100% Britney » pour le magazine Technikart en février 2007 au moment de la fameuse « tonte » de la chanteuse :
« Le 17 février 2007, Britney frappe fort. Depuis un an, son divorce avec Federline est un peu compliqué, il fait la fille américaine: après s’être fait produire un disque, il veut beaucoup d’argent à la séparation, et il veut aussi les enfants. Il menace Britney de faire analyser ses cheveux, qu’ils révèlent ce qu’elle prend exactement niveau défonce. Donc, histoire de ne pas se laisser emmerder par son ex, elle fonce chez un coiffeur. La nuit. Britney fait beaucoup de trucs qu’on fait le jour la nuit. Comme toujours, il y a des paparazzis autour d’elle: Britney, on sait même où elle va pisser. Le coiffeur refuse de lui raser le crâne. Aucun problème, elle prend la tondeuse et s’installe face au miroir, passe la tondeuse sur le devant. On imagine qu’elle se dit: «Kevin, connard, je vais me faire la boule à Z, tu vas voir comment tu vas m’embrouiller avec ma conso de drogue à base de cheveux.»
Elle rigole en se regardant et une fois qu’elle a bien rasé le devant, peau blanche et forme du crâne apparentes, elle arrête de rire, se regarde. On dirait qu’elle voit ce qu’elle se fait, redescente, et qu’elle voit que c’est trop tard pour revenir en arrière. C’est à ce moment qu’est prise cette fameuse photo où elle tourne la tête vers l’objectif, moitié rasée. On ne lui avait jamais vue cette expression de Joconde californienne, une certaine sérénité. Puis elle termine, ça ne rigole plus, elle rase ce qui reste de cheveux bruns. Les mèches seront en vente sur Internet le lendemain, avec la canette de Red Bull qu’elle buvait et son briquet bleu, évidemment. On ne va jamais trop loin dans le glauque. Puis elle remonte la capuche de son sweat gris. Alors, Britney passe dans le sacré, ressemble à un moine. Sublime. Androgyne, tête d’enfant, sans maquillage, ni franchement triste, ni faisant la fière. Une icône, pure.
(…) »Britney, on dirait que Minnie du parc Disney a brûlé son costume et qu’elle déambule dans le château, une tronçonneuse dans une main et une bouteille de bière dans l’autre. »
Britney Spears photographiée par David LaChapelle pour le magazine Rolling Stones
Nicolas Rey avait lui aussi rédigé une chronique « J’irai cracher sur votre blonde », pour le hors-série « Very Elle », édité par le magazine Elle, en avril 2008 :
« L’explosion arrive en 99 avec l’album « … Baby one more time » (…) Et ce tube « Baby hit me one more time » sur lequel j’ai peut-être dansé une nuit sans même savoir ce que je faisais. Quelle nuit ? Quel bar ? Je suis comme Britney, je ne me souviens pas de tout. Encore moins de comment la vie dérape. Je sais juste que les choses changent sans même qu’on s’en aperçoive. Dans la première chanson phare de Spears, il y a cette phrase « My loneliness is killing me », phrase que l’on peut traduire par « Ma solitude me tue ». Voilà pourquoi Britney Spears c’est moi.
(…)
Elle entre une première fois en cure de désintoxication. Elle tient vingt-quatre heures. Pas assez. Il faut passer beaucoup de nuits blanches dans un lit de clinique à survivre la mâchoire serrée, le corps bourré de tremblements, de nausées, les draps trempés de sueur, il faut beaucoup de nuits comme ça pour commencer à tenter de vivre différemment.
(…)
En attendant la véritable cure, Britney a fait comme tout le monde : elle a fui. A savoir qu’elle s’edst perdue davantage qu’elle n’a tenté de pathétiques come-back, qu’elle s’est retrouvée seule, comme une gosse paumée dans un terrain vague. Evidemment la descente aux enfers de Britney Spears est ce qui la rend vivante. « Tu n’es pas désespéré, comment saurais-tu sourire ? », écrivait Cioran. L’existence cyclothymique de la star ressemble à son visage dans les tabloïds, souvent difforme, parfois magnifique. Il ne faut pas grand chose pour qu’elle balance d’un côté ou de l’autre. Pour qu’elle sombre définitivement ou qu’elle finisse par devenir sublime. Hormis le goût du macabre, Britney nous tend un drôle de miroir: celui du parcours de chacun.
C’est la chanson du groupe Téléphone : « Cendrillon ». On y revient. A présent Cendrillon a 26 ans. Je vous l’avais dit. Au début tout se passe à merveille. On est la plus jolie des enfants. Et puis les années passent. Elle vous passent dessus comme une semi-remorque… »
A propos de la conférence sur Britney Spears au Centre Pompidou :
Il s’agit d’une conférence-concert organisée à l’occasion du lancement de Poli, une revue centrée sur les cultures visuelles, audiovisuelles, interactives et de la création contemporaine, dont le premier numéro sortira début septembre. Pour Maxime Cervulle, directeur de la publication, “Britney représente peut-être un paradigme des changements actuels des industries culturelles”. Industries culturelles qui, avec internet, seraient passées à une nouvelle ère : celle des “industries créatives”. “Britney Spears” étant l’occurrence la plus recherchée via les moteurs de recherche sur le web depuis dix ans, le phénomène qui l’entoure serait à ce titre révélateur. Omniprésente sur tous les nouveaux circuits d’information (de l’AFP à YouTube) et suscitant la créativité de ses fans (remixs de ses tubes ou de ses vidéos), elle incarne la culture populaire 2.0. Un point de vue à découvrir le samedi 13 juin à 18 h au Centre Pompidou avec en prime une pléiade d’artistes (groupes et DJ) qui remixeront ses hits.
Elisabeth Taylor vue par JG Ballard (extrait des commentaires de « La Foire aux atrocités ») :
Aussi bien dans Crash où l’un des héros entretient des fantasmes morbides sur l’actrice que dans La Foire aux atrocités, roman expérimental fonctionnant sur le mode des associations libres, qui fait la part belle aux icônes américaines des années 60 (avec en particulier l’assassinat de Kennedy comme obsession majeure), J.G Ballard n’a cessé d’interroger comment ces cultes et désastres populaires ont infusé et façonné les sociétés modernes :
« Elizabeth Taylor, sans doute la dernière des actrices hollywoodiennes à l’ancienne, a conservé son emprise sur l’imagination populaire au cours des décennies qui se sontt écoulées (…), ce qui est une caractéristique qu’elle partage avec presque toutes les icônes publiques – Marilyn Monroe, reagan et Jackie Kennedy entre autres. Un choc unique d’imaginaires publics et privés s’est produit dans les années 60 et il faudra encore bien des années pour le voir se répéter, si jamais il se répète. Pour la première fois, le rêve public de Hollywood et l’imagination privée du spectateur sur-stimulée par la télévision ont fusionné. (…) notre perception de la célébrité a changé – je ne puis m’imaginer écrivant sur Meryl Streep ou sur la princesse Di, et l’indubitable mystère de Margaret Thatcher semble refléter des défauts de conception stylistique au cœur de sa propre persona autoconstruite. (…) Une sorte de banalisation de la célébrité s’est instaurée : on ne nous offre aujourd’hui qu’une gloire instantanée, prête à l’emploi, aussi nourrissante qu’un potage en sachet. Les sérigraphies de Warhol nous montrent bien ce processus à l’œuvre. Ses portraits de Marilyn Monroe et de Jackie Kennedy expurgent le tragique de la vie de ces femmes désespérées, tandis que les couleurs fluo de sa palette les restituent au monde innocent des livres à colorier de l’enfance. »
A propos de Kennedy :
« L’assassinat de Kennedy trône au-dessus de La Foire aux atrocités, et sur de nombreux plans ce livre est directement inspiré par sa mort. Il représente une tentative désespérée de donner un sens à cette tragédie, avec ses multiples actions cachées. Ce sont les médias de masse qui ont créé le Kennedy que nous connaissons et sa mort provoqua un glissement tectonique dans le paysage des communications, en provoquant dans la psyché populaire des failles profondes qui n’ont pas encore été comblées. »
A signaler enfin la sortie en janvier 2008, aux éditions Naïve, d’un roman collectif : « Une Chic Fille » inspirée de la pin-up Anna Nicole Smith
« It’s very expensive to be me. », ainsi se décrivait ironiquement Anna Nicole Smith, décédée le 8 février 2007, dont le collectif Inculte s’empare avec son ingénierie romanesque coutumière. 13 auteurs (François Bégaudeau, Arno Bertina, Maylis de Kerangal, Hélène Gaudy, Marie Hermann, Mathieu Larnaudie, Julien Morello, Christophe Paviot, Nicolas Richard, Oliver Rohe, Jérôme Schmidt, Joy Sorman et Xavier Tresvaux) réalisent l’autopsie littéraire de l’icône du rêve américain, sosie désaxé et fracassé de Marilyn. Portrait fictif polyphonique de cette icône déglinguée du rêve américain et cible privilégiée des tabloïds dû monde entier, qui retrace l’itinéraire d’une starlette ordinaire, à la fois playmate, héroïne de télé réalité, épouse d’un vieillard milliardaire… Reprenant les codes de l’esthétique pop, le collectif a cherché à s’approprier cette Nana de l’ère Botox, cette « chic fille », ambitieuse et candide, modèle paradoxal d’une certaine Amérique mythique et mythomane.
Extrait de l’éditeur : « Comme ça plus personne ne pourra la voir ni la toucher. Elle sera plantée là princesse dans ma pièce insonorisée. Entre mon fauteuil en cuir, ma collection de photos, mon poste de télévision et le sombrero accroché au mur. Elle sera bien. Elle n’aura plus à bosser. Se faire reluquer par de gros pervers mexicains gavés de cette saloperie de Corona. Qui n’ont qu’une envie lui mettre des mains au cul dans les poitrines. […] Maintenant elle bougera plus. Dansera toute la journée. Pleurera princesse de bonheur toutes les nuits. Dès demain. «
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