Chick lit’ : littérature de décérébrée ou comédie de moeurs ?

Ces trois dernières années ont été marquées par la croissance du rayon dit de « chick lit » (voir dossier), qualificatif peu flatteur pour désigner cette flopée de romans pour filles mettant en scène des héroïnes, en général belle, célibataire et branchée souffrant de défauts « typiquement féminins » tels que le shopping, l’abus de chocolat voire de bières, suivi de complexes et de régimes forcenés ou encore la chasse au bon parti dans le Londres ou le New-York chic…


Photo : Sophie Kinsella et Lauren Weisberger, deux reines de la Chick lit’


Évidemment réduite à ces stéréotypes, la chick lit’ a tout pour s’attirer les sarcasmes de la « vraie littérature ». Cette dernière regardant cet avatar du haut de ses rayonnages feutrés de librairie tandis que la première s’épanouit grassement dans les têtes de gondole des supermarchés…
Oui mais voilà sous ce terme fourre-tout, on classe une pléiade de romans de qualité très diverse et qui cachent parfois bien leur jeu.

Audrey Diwan auteur notamment d’un premier roman mettant en scène deux jeunes héroïnes (La fabrication d’un mensonge) a été imméditament affiliée, à son corps défendant, au genre de la « Chick’ lit ». A ce sujet elle réagissait : « Dés qu’une femme écrit sur les femmes, elle est aussitôt l’objet de soupçon quant à la qualité de ses écrits et donc relégué à cette étiquette péjorative synonyme de sous-littérature. » Pour elle la Chick lit’ repose davantage sur « un arc narratif simple faisant appel à des ressorts commerciaux contemporains que sur un style« . Elle déplore que ce terme ne soit pas encore bien défini. « Pour moi ce sont des Harlequin à l’eau de rose contemporains, ça se lit facilement avec une écriture rarement léchée.« 
De son côté l’auteur de « comédies romantiques » à la française, telle qu’elle se définit, Tonie Behar, s’énervait franchement sur l’expression qu’on lui colle également. « Ce que l’on appelle aujourd’hui « chick’ lit’ » est juste la version ultra contemporaine du bon vieux roman sentimental, de Tristan et Iseult à la princesse de Clèves, de Marivaux à Jane Austen. Puis, les héroïnes de romans se sont mises à nous ressembler. Elles ne sont plus pauvres et vertueuses comme autrefois mais indépendantes financièrement et libérées sexuellement (enfin elles essaient !). Elles savent prendre leurs emmerdes avec humour, voire le taureau par les cornes et en font des tonnes dans l’autodérision. » écrivait-elle sur son blog à ce sujet.

Lauren Weisberger, auteur de l’emblématique « Le diable s’habille en Prada », la définit pour sa part en ces termes : « Aux Etats-Unis, nous la définissons d’après plusieurs éléments: tout d’abord, il faut une jeune héroïne, jolie et intelligente, qui essaye de vivre sa vie dans une grande ville. Elle a des problèmes avec sa carrière, sa vie amoureuse et ses amis. Cette jeune femme relativise ses idéaux – une promotion, un mari, par exemple – et finit par découvrir que ces modèles ne correspondent pas à ce dont elle a besoin. »

Brigitte Semler, responsable du service de presse des éditions Blefond (qui édite notamment Sophie Kinsella) commente : « Avant que la vague chick lit’ ne déferle avec ses couvertures illustrées bariolées désormais très typées, ces livres étaient considérés comme des romans normaux dits de comédies de mœurs contemporaines« .
Cette dévalorisation n’est pas nouvelle : la comédie a toujours été le parent pauvre de l’art ; on se rappelle la polémique récente autour des césars qui snobent toujours ce genre de films. Le registre comique ou burlesque reste victime de ce préjugé tenace qu’être drôle ou pire « divertissant » c’est être bête…
Il est pourtant temps qu’il soit enfin reconnu à sa juste valeur et acquiert ses lettres de noblesse. Car il faut au moins autant de talent et de qualités pour être drôle que pour être tragique ou dépressif !

Les deux grands succès estampillés chic lit’, énormes best-sellers adaptés en films, de ces derniers mois en témoignent : « Le Diable s’habille en Prada » de Lauren Weisberger et « Confessions d’une acro du shopping » de Sophie Kinsella, (avec peut-être une petite supériorité du premier sur le deuxième).
Ces deux auteurs, en plus d’être drôles ont, de surcroît, le défaut d’être jeunes et jolies, autant dire qu’elles sont condamnées d’avance. Mais ce manque de reconnaissance ne les perturbe guère du haut de leurs millions d’exemplaires vendus…
Accusée, entre autres, de véhiculer certains clichés (victimes de la mode, célébrités, alcooliques mondains… ), Lauren Weisberger répliquait : « La mode, les «rancards», la vie nocturne… sont toujours «en vogue» ! C’était déjà le cas pour les jeunes filles faussement «innocentes» des années 1920, les hippies des années 1960 ou les rats de boîtes de nuit des années 1980. La fiction racontera toujours les divertissements des gens. »
Même si elles jouent des codes propres au genre, ces deux jeunes auteurs possèdent un vrai talent de storyteller et de satiriste ainsi qu’un regard quasi sociologique sur les contemporains qui est souvent occulté (voir liens ci-dessous)

Les hommes peuvent-ils lire de la chick lit’ ?
Les femmes seraient de façon générale plus nombreuses à lire et cette statistique doit être encore plus vraie quand il s’agit de chick lit’, phénomène d’identification oblige. Pourtant une pléiade de blogueurs ont relevé le challenge. Faisant fi de leurs préjugés, ils ont infiltré ces pages 100% girly. Avec bonheur parfois à l’image de son organisateur (sur « L’accro du shopping ») qui après avoir été dérouté par « l’emploi d’innombrables noms de marques de vetements, de maquillages« , a fini par « éprouver un frémissement de sympathie pour cette héroïne désespérément dépensière« . Et d’avouer : « Pire, j’ai même ri« .
Daniel Fattore qui s’est essayé au 2e roman d’Anne-Solange Tardy (également blogueuse), « Very Important » est même franchement élogieux : « Servie par une plume pétillante qui ne recule pas devant le néologisme (« pétasser », « langue-de-putifier »), ni devant le name-dropping savamment dosé, la narration est habile. » Il a aussi testé « Le Diable s’habille en Prada » avec tout autant de goût : « Le Diable s’habille en Prada » n’est pas qu’un roman frivole pour jeunesses évaporées. C’est aussi un fait de civilisation. »

DECRYPTAGE CHICK LIT’ :

La chronique de « Le Diable s’habille en Prada » de Lauren Weisberger, « A million girls would kill for this job ! »

_ La chronique de « Confessions d’une accro du shopping » de Sophie Kinsella : Les malheurs d’une « material girl » (+ extraits)

Candace Bushnell, l’auteur du fameux « Sex and the city » : Chasse à l’homme dans Manhattan (+ brève sur la sortie de son nouveau roman : Après Sex and the city, Candace Bushnell décrypte le début du XXIe siècle côté Fifth avenue…)

… dans le dossier « Les nouvelles amazones littéraires »

7 Commentaires

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  1. M’enfin c’est pas très péjoratif dans le sens où on aime autant Jane Austen que la bonne Chick Litt’ et qu’on n’a pas honte de le faire savoir.

  2. Tout dépend de la manière dont on lit Jane Austen !

    grain-de-sel.cultureforum…
    elle porte sur la société un regard critique, voire caustique, ce qu’on ne trouve pas dans la chick lit, très conformiste, je crois.

  3. @Buzz: la solution est simple, il faudrait penser à un autre nom et faire un buzz sur internet pour qu’on change l’appellation. Et voir si les gens marchent. Je pense que ça a de forte chance de fonctionner.

  4. "Comédie urbaine", ça me semble bien !

  5. Merci pour la citation! Le mieux, quand on aborde ce genre de récit, est de ne pas bouder son plaisir! J’avais testé un autre roman dans le cadre du même défi; il m’avait laissé sur ma faim, ce qui m’a donné envie de revenir sur cette impression… afin de l’améliorer.

    Au plaisir!

    • Nicolaï Lo Russo sur 23 juin 2009 à 13 h 08 min
    • Répondre

    Comédie de moeurs de décérébrées. Tout simplement 😉

    • &('è-'è_-lisa sur 17 novembre 2010 à 19 h 15 min
    • Répondre

    j’aimerais savoir qui est le premier editeur français a avoir accepté de publier ces livre pour un devoir si l’on peut m’aider a trouver merci 🙂

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