Penchons-nous sur « Confessions d’une accro du shopping » de Sophie Kinsella, l’un des derniers gros succès en date, suite à l’article « Chick lit’ : littérature de décérébrée ou comédie de moeurs ? », récemment adapté au cinéma et qui fait l’objet d’une réédition spéciale chez Belfond. Ce premier tome de la série (vendue à plus de 600 000 exemplaires en France) signée Sophie Kinsella, ex journaliste financière (dépressive) s’inspire de son expérience pour nous conter les mésaventures de son héroïne : la facétieuse et dépensière, Becky Bloomwood.
Elle y dessine le portrait d’une jeune londonienne incapable de résister à ses pulsions acheteuses de foulards et autres robes Prada avant de se retrouver totalement surendettée. Signe particulier : ce panier percé exerce la profession de journaliste financière au magazine « Réussir votre épargne ». Un paradoxe qui donnera lieu, on s’en doute, à maintes situations désopilantes… Mais pas que !
« J’ai BESOIN de m’offrir quelque chose. Juste une babiole. Un T-shirt ou un bain moussant… Je ne dépenserai pas beaucoup. Je pousse déjà les portes. Quel soulagement ! La chaleur, les lumières. Je retrouve mon élément. C’est mon habitat naturel.«
On craint immédiatement le déjà-vu-lu-ressassé-et réchauffé, mais cette variation sur la passion du shopping s’avère plutôt réjouissante. Elle révèle même une profondeur inattendue sur un thème finalement tragique (celui du surendettement), même s’il est traité sur le mode de l’autodérision. Sophie Kinsella, de sa plume caustique et apparemment légère, nous montre notre époque dans tous ses paradoxes et son hypocrisie matérialiste.
Un système schizophrénique qui piège et broie les plus fragiles.
« Je n’ai fait que succomber à la poussée matérialiste occidentale contre laquelle il faut opposer une résistance herculéenne.« , écrit-elle.
Becky n’est que la victime infantilisée d’une société marchande qui prêche une chose et son contraire comme elle l’illustre par les différentes lettres contradictoires qui entrecoupent les chapitres : celles des banquiers réclamant le remboursement de ses découverts, suivies de près par celles de leur service marketing lui proposant de nouveaux prêts à la consommation ou encore les magasins qui la relancent sur ses impayés avant de la tenter avec une nouvelle offre promotionnelle « exceptionnelle »… Une très bonne idée narrative !
Elle démonte ainsi, sans jamais se départir de son humour ironique, les mécanismes pervers de cette pression continuelle à laquelle nous sommes soumis.
L’autre point fort du roman réside dans sa description multisensorielle de « l’expérience du shopping », l’ivresse et le bien-être procurés. « Avec une lenteur étudiée, je retire la boîte vert foncé, enlève le couvercle et déplie le papier de soie. Ensuite presque religieusement, j’élève l’écharpe dans les airs. (…) Pendant un instant nous restons silencieuses. Nous communions avec un être supérieur : le Dieu du shopping. » Elle y explore notamment les ressorts psychologiques qui le sous-tendent, avec une certaine finesse. Le shopping apparaît comme un refuge facile et confortable pour « se remonter le moral » ou encore un acte presque théâtral : (…) je ressens un frisson d’excitation en me retrouvant dans la boutique. Les spots brillent de mille feux, le parquet ciré étincelle, de la musique joue en sourdine et un sentiment d’attente flotte dans l’air. Un artiste avant la représentation doit éprouver la même sensation. »
Voire même un « sport de compétition » : « Je pense que le shopping devrait figurer dans les risques cardio-vasculaires. Mon coeur ne bat jamais aussi fort que lorsque je vois un panneau « soldé à 50% » ou encore un cycle agricole… « Le shopping ressemble beaucoup à l’exploitation d’un champ. Il est indispensable de varier ses achats, sinon l’ennui vous gagne et le plaisir n’est plus au rendez-vous.«
Elle décrit ses relevés de banque en ses termes : « La feuille est noire d’écritures. une série de noms familiers se bousculent sous mes yeux, j’ai l’impression de traverser un centre commercial en miniature.«
Mais elle pointe aussi le vertige qu’occasionne cette fièvre consommatrice : « Les deux monstres inséparables, la honte et la panique, tambourinent dans ma tête. (…) je condamne une partie de mon esprit et plus rien ne m’inquiète. c’est de la légitime défense. »
Sans verser dans le plaidoyer pour le tout matérialisme, elle défend une certaine philosophie de vie basée sur l’hédonisme. Une sorte de fable inversée de la cigale et de la fourmi… On apprécie à ce sujet sa satire plutôt savoureuse des manuels pratiques visant à « contrôler ses dépenses » : toutes ses économies de bout de chandelle et cette « austérité » qui vous ruinent l’existence. Et Becky qui tente de résister à l’appel des boutiques d’Oxfort street : « J’ai si désespérément envie de sortir que je me penche en avant comme une plante se tourne vers la lumière. Je n’aspire qu’à retrouver les éclairages brillants, l’air chaud, les rayonnages de marchandises et le tintement des caisses enregistreuses.«
Ces privations auront d’ailleurs l’effet contraire : elle dépensera plus pour économiser (par exemple pour éviter l’achat d’unn cappuccino ou d’un curry à emporter, elle doit s’équiper d’une batterie d’appareils ménager…). La scène du musée où elle se rend pour « se cultiver » et où elle finit par rechercher frénétiquement l’étiquette du prix des objets d’art exposés, est à ce titre assez jubilatoire. Sans oublier de brocarder au passage le snobisme de ceux qui « font des expos »…
On sourit voire rit souvent devant les airs consternés ou embarrassés de l’héroïne, véritable miss catastrophe ambulante. Des défauts qui font tout son charme et nous la rendent attachante. Elle est aussi émouvante avec ses rêves à la Perrette au petit pot de lait, comme quand elle s’imagine déjà gagnante de la loterie et qu’elle réfléchit déjà à tout ce qu’elle pourrait s’acheter avant de tomber sur une publicité au-dessus de ses moyens de future gagnante à la loterie : « Les gagnants de la loterie sont censés s’offrir tout ce qu’ils désirent et j’ai déjà le sentiment d’être pauvre et à côté de la plaque ».
Elle décline son sujet sur toutes les variations, avec une belle inventivité, et réussit à se renouveler à chaque chapitre, à étonner et à maintenir l’intérêt du lecteur (enfin de la lectrice surtout !) alors qu’on pensait en avoir fait le tour (il faut saluer la prouesse d’avoir réussi à l’exploiter sur 4 tomes supplémentaires : « L’accro du shopping à Manhattan », « L’accro du shopping dit oui », « L’accro du shopping a une soeur » et « L’accro du shopping attend un bébé »).
On se régale aussi de sa satire du monde journalistique : les conférences de presse où l’on passe plus de temps à boire du champagne, « hocher la tête d’un air inspiré », feindre de prendre des notes avant de recopier les dossiers de presse ou encore placer le FT (Financial Times ») sous le bras pour se donner l’apparence du sérieux alors qu’on ne l’ouvre jamais… Beaucoup de scènes où Becky est prise en flagrant délit d’imposture sont très réussies.
Elle s’amuse aussi à tourner en ridicule tous ces soi-disant experts qui sont en fait des journalistes atterris là par dépit : « On ne me fera jamais croire que l’on est conseiller financier par vocation. (…) Ce qu’ils veulent dire c’est qu’ils n’ont pas trouvé de boulot de journaliste plus intéressant. (…) Alors ils ont commencé à solliciter un emploi au Mensuel de la métallurgie, à la Gazette des fromagers et à Comment placer votre argent ? »
Elle révèle aussi, au passage, le malaise générationnel des jeunes déçus par le monde du travail, qui cherchent leur voie et hésitent (un thème particulièrement bien décrit aussi dans Le Diable s’habille en Prada ») ; le déchirement entre l’appât du gain et s’épanouir dans son travail. « Je n’ai aucune stratégie ni perspective d’avenir… (…) Ne devrais-je pas repenser ma carrière ?« , se désole Becky qui tarde à devenir mature : « Il me manque le gêne qui rend adulte, celui qui vous pousse à acheter un logement à Streatham et vous entraîne les week-ends dans les magasins de bricolage. Tous les gens souscrivent à un monde qui m’est étranger. »
Le roman prend une tournure de formation puisqu’on suit son évolution notamment professionnelle alors qu’elle se livre à une remise en question : »Je mérite mieux que ce bureau merdique et ce boulot qui consiste à transformer un prospectus en article crédible.«
Enfin, la série de jobs d’appoints qu’elle enchaîne pour arrondir ses fins de mois comme celui de vendeuse, est l’occasion d’une plongée plutôt bien vue dans les coulisses des boutiques de mode. C’est l’autre facette du shopping, celle des petites mains au travail plutôt ingrat : « Plier des pulls. Plier ces foutus pulls. je suis ici pour ça. (…) Quand vous êtes vendeuse c’est comme si vous étiez transparente. Personne ne me pose une seule question intéressante comme : « Est-ce que ce chemisier va avec ces chaussures ? » (…) jusqu’à présent on m’a demandé : « Y a t-il des toilettes ? » (…). »
Entre Absolutely fabulous pour son ironie, la revanche d’une blonde pour le côté pas si écervelée qu’elle en a l’air et Bridget Jones pour le côté célibataire gaffeuse, « Confessions d’une accro du shopping » réunit tous les ingrédients d’une comédie de mœurs très réussie, la romance sentimentale est en revanche plus mièvre et convenue mais se laisse apprécier en bonus. Le tout servi par style vivant et alerte, un talent de dialoguiste burlesque et une brochette de personnages secondaires truculents, entre ses collègues et les voisins de ses parents… Bref une intrigue à rebondissements efficaces même si sur la longueur, on peut se lasser, le dernier tiers du livre est à ce titre moins dynamique que la première partie.
A noter : Surfant sur le succès de cette romancière prolixe, les éditions Belfond publient actuellement différents ouvrages de l’auteur, sous son vrai nom Madeleine Wickham (« Un week-end entre amis », « Une maison de rêve »)
A propos de l’adaptation au cinéma par P.J. Hogan (« Muriel, « Le Mariage de mon meilleur ami »…) :
L’adaptation correspond aux deux premiers tomes : « Confessions d’une accro du shopping » et « L’accro du shopping à Manhattan ». Sophie Kinsella y a participé en qualité de productrice associée et de consultante, dans le but de rester le plus fidèle possible à l’esprit du roman. Elle indique que beaucoup de ses scènes favorites se retrouvent dans le film. Pour le film, le cadre de l’action qui à l’origine se situait en Grande-Bretagne (et qui donne lieu à un sympathique tour dans le Londres branché comme le quartier de « Fulham » où réside Becky qui se fait chambrer par son patron à ce sujet du reste) a été transposé outre-Atlantique. « Bien sûr, dans mon esprit et dans les livres, Becky sera toujours britannique. Mais j’ai rencontrés des « Becky Bloomwood » dans le monde entie, et de toutes les nationalités. L’essentiel est d’avoir su préserver sa gentillesse, ses défauts et son humour » raconte Sophie Kinsella. Le récit a donc été transposé de Londres à New-York. Le producteur Jerry Bruckheimer explique ce choix: « La ville de New-York est un personnage à elle seule. Elle est un peu l’emblème de toutes les villes et c’est également une des capitales mondiales de la mode. »
Dans cette adaptation fraîche et divertissante, on appréciera plus particulièrement l’idée de mise en scène consistant à faire s’animer les mannequins d’exposition dans les boutiques qui tentent Becky, par tous les moyens.
Paroles de l’auteur, Sophie Kinsella :
« Je suis toujours à la recherche de la comédie, j’écris autour de cette thématique mais je n’ai pas envie de trop détailler les choses à ce sujet. J’essaye juste de mettre le doigt sur ce qui me paraît significatif, comique et je l’utilise. Pour moi, c’est l’histoire qui est la plus importante. Une bonne histoire, c’est ma priorité principale. »
Sa source d’inspiration : « À une époque, je dépensais de l’argent et j’étais frappée d’amnésie chaque mois, à l’arrivée de ma facture VISA. C’est ce qui m’a inspiré ce personnage. Je disais « Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Qu’est-ce que je vois là ? Je ne me rappelle pas être allée dans ce magasin et avoir acheté ça ! ». C’est cette espèce de déni total que nous vivons toutes. Je disais à mon mari que je n’avais jamais mis les pieds dans ce magasin et que c’était n’importe quoi. C’est lui qui me rafraîchissait la mémoire et là, j’étais soudain prise d’angoisse. Je m’en suis servie comme point de départ pour Becky, cette fille un peu farfelue qui adore faire les magasins. L’élément comique était clair à mes yeux. Je me suis beaucoup inspirée de mon attitude vis-à-vis du shopping et des frissons de bonheur qu’il me procure. »
A propos du shopping : « Lorsque l’on voit quelque chose et que l’on a soudain une nouvelle image de soi, on se laisse très facilement emporter. Je m’étais dit que je ressemblerais à une princesse bédouine avec mes ravissants châles en cachemire… Pas vraiment ! »
« Il n’y a rien de pire dans un magasin que le spectacle de cinq ou six hommes à l’air martyrisé au milieu de toutes les femmes.«
1 Commentaire
J’avais peur que tout ça soit très systématique. Mais si je lis bien, ce n’est pas le cas.