Dans son nouveau roman, « Le roman de l’été » chez P.O.L, Nicolas Fargues, un des auteurs très attendus de la rentrée littéraire de septembre 2009, choisit de mettre en scène un héros quinquagénaire relativement amer et cynique, le temps d’un été avec sa fille dans le Cotentin. A travers cette comédie de mœurs, il dénonce les dérives de notre époque, confirmant quelques-uns de ses chevaux de bataille déjà observés dans ses précédents opus, en particulier « Beau rôle » qui vient de sortir en poche : les préjugés sur l’apparence, l’ego, la représentation publique, la liberté, les petites jalousies province-paris, l’intégration, le racisme à l’envers, la difficulté de vivre ensemble sans se sentir agressé, le spectre de la réalité étendue et encore de nombreuses réflexions socio-politiques… Le tout fermé par un bel épilogue avec une surprise » de taille. Bref un roman riche et dense même s’il n’est peut-être pas son meilleur… On pourra lui reprocher de flirter avec les stéréotypes et la caricature à tel point qu’on ne sait plus si l’on est dans la dénonciation du cliché ou le cliché lui-même. Le roman d’un anti-snob qui pourrait bien agacer…
En avant-première, découvrez ce petit extrait sur Facebook qui vient compléter les opinions d’autres écrivains comme Frédéric Beigbeder ou Luis de Miranda
« – T’es sur Facebook , toi ?
Bénédicte venait de poser la question ex-nihilo, en tentant de paraître le plus dégagée possible, sans se laisser impressionner par ce mot Facebook qui semblait pourtant la dépasser.
– Facebook ? répéta John avec cet accent américain naturel qui déconcertait toujours ses interlocuteurs français, tant son français était tout aussi pur et désaccentué.
– Ouais. Tu connais ça, quand même !
– Je vois très bien ce que c’est, Mary n’ arrête pas d’essayer de me convaincre qu’il faut absooolument> que je sois sur Facebook. Mais c’est pas pour moi, ce genre de trucs. C’est plus de mon âge.
– Comment ça, plus de ton âge ? s’offusqua Bénédicte, qui se sentait également visée. Parce qu’il y a un âge, maintenant, pour avoir des amis ?
– Amis mon cul, maugréa froidement John. Vertige existentialo-narcissique, oui. Tu sais comme moi que c’est pour baiser qu’on s’inscrit sur Facebook. C’est un Meetic qui dit pas son nom, point. Un Meetic pudique et faux cul. Et puis, la culture Regardez comme je suis sociable : j’ai 357 amis, cette indécence à se mettre en scène, à prendre des poses de magazine de mode sur les photos de soi, à tenir au courant le monde entier qu’on vient d’aller pisser, à étaler des goûts artistiques faussement audacieux, à pointer sur une carte du monde tous les lieux qu’on a visités, toute cette niaise dictature du parfait citadin-citoyen du monde, je suis peut-être vieux jeu, mais non merci, quelle comédie. Rien à foutre, des amis. Ma solitude, moi, je préfère l’assumer seul. Tu connais la chanson, hein ? « On vit les uns avec les autres / On se caresse / On se cajole / On se comprend / On se console / Mais au bout du compte / On se rend compte / Qu’on est toujours tout seul au monde.«
– Tout le monde n’est pas tout seul, je te signale. Faut pas prendre ton cas pour une généralité. Alors, comme ça, même les amis, maintenant, ça t’intéresse plus ? – Rien à foutre, je te dis, insistait John avec hargne. Les autres, non seulement j’ai plus rien à leur dire, mais leur simple présence m’emmerde. L’enfer, c’est les autres, souviens toi aussi. Moi, à cinquante-cinq balais, je veux juste qu’on me foute la paix. Les autres, ça m’encombre, ça m’intéresse plus.
– Charmant, ironisa Bénédicte. Et grossier, en plus.
On la sentait habituée aux provocations de son ancien compagnon.
– Et puis d’abord, reprit-elle après un bref silence, je ne suis pas d’accord, Facebook, c’est pas comme Meetic. ça n’a rien à voir.
John, apaisé, lui fit un clin d’oeil en coin :
– Pourquoi ? T’as déjà essayé Meetic ?
– Euh, oui, comme ça, une fois ou deux, hésita Bénédicte sur un ton « je vois pas pourquoi j’aurais honte de le dire « .
– C’est drôle, s’égaya John, comme on avoue sans aucun complexe ce genre de trucs, aujourd’hui.
– Je vois pas pourquoi j’aurais honte de le dire, dit Bénédicte.
– C’est dingue, poursuivit John, que le sujet semblait passionner, c’est dingue comme il y a encore dix, quinze ans, c’était très connoté, les petites annonces. Comme on imaginait, derrière, des gens forcément laids, frustrés, asociaux, douteux, dépressifs, dangereux. Aujourd’hui, c’est devenu carrément branché. »
[Extrait choisi par Laurence Biava]
8 Commentaires
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Précisions importantes :
"le Roman de l’été" est un très grand roman d’aujourd’hui sur le miroir que nous tend notre société contemporaine, et j’espère qu’il sera récompensé par un prix à l’automne.
Chaque nouvel opus vient véritablement confirmer que Nicolas Fargues écrit de mieux en mieux. C’est incontestable.
Et j’admire réellement cette maîtrise romanesque, cette densité, cette consistance qu’il reste difficile d’égaler. Fargues a un sens inné de l’entendement morphopsychologique et de ses dérivés. A croire qu’il travaille dans un cabinet de neuropsychiatrie. On n’a pas le droit de dire le contraire ou de minimiser le panache de son style sans prendre le risque de se montrer très injuste à son endroit. C’est un premier constat.
Ce roman m’a donc plu. Beaucoup plu. Et l’épilogue est réussie, démontrant que l’auteur a progressé par rapport aux deux derniers romans dont il s’était lui-même plaint d’avoir bâclé la fin. Avec le recul, son autocritique (qui date du salon du livre 2008) s’ avère plus exacte encore, une fois la lecture de sa dernière production achevée.
Mais "le Roman de l’été" m’a aussi agacée, voire exaspérée par endroits. Ce roman ne peut être mon préféré de cet auteur en raison des exaspérations qu’il a suscitées. C’est un second constat.
Je ne vais pas me répandre ici et maintenant. (la chronique est pour bientôt)
Je vais prendre le temps de le relire pour affiner mon jugement, explorer des passages plus vite ou plus mal lus, et préciser mes impressions premières : je veux faire une critique discernée, et concise qui vous expliquera précisément "mes désaccords" ou ce qui, à mon avis, par endroits, dans le fond, pèche. (pas dans la forme, puisque la forme est irréprochable, à un petit détail près : un nombre immodéré de pronoms relatifs "lequel", "laquelle" que l’auteur utilise pour décliner et nuancer son propos, auxquels on substituerait parfois des "qui" ou "que").
Néanmoins, les diverses pensées qui se bousculent en moi depuis que j’ai refermé le roman me font dire que je vais certainement orienter ma critique globale vers l’apparence et ses corollaires (l’apparence vue par Nietzsche = "l’apparence, c’est la vérité"), vers effectivement la liberté, la fonction de l’écrivain, le langage et sa traçabilité, le spectre de la réalité étendue, – d’où l’extrait choisi – les environnements socio-politiques et leurs déclinaisons. A bientôt.
ps : A propos de l’extrait recopié : il s’agit de la fin de la page 134, des pages 135 et 136 et du premier paragraphe de la page 137. La retranscription de l’extrait sur Buzz est en italique, il n’est pas possible de faire autrement. Dans le roman, seuls, parmi l’extrait cité, le deuxième mot "Facebook" est en italique, l’extrait de la chanson et le mot "absooolument" – de mémoire-(je n’ai pas le roman sous les yeux).
Afin de faire valoir ce que de droit. Merci.
David Fincher est surtout le réalisateur de l’excellente adaptation du non moins excellent "Fight club" de Chuck Palahniuk.
Je dis ça juste pour causer, hein.
C’est encore moi : Encore une précision importante et non des moindres.
LE TITRE : le titre exact est
"le Roman de l’été". Il y a un "R" majuscule au mot roman. Cela change tout.
C’est, à mon sens, un titre à clef. Là aussi, je développerais. Est-il possible de corriger tout en haut de l’annonce du sujet du jour à côté de la date ? Merci.
Nicolas Fargues n’est ni sur Facebook (ça ferait bizarre, sûr), et encore moins sur myspace. Les pages Fargues ne sont pas lui, c’est absolument certain. Et la page plus ou moins « cinéma » concernant « J’étais derrière toi » associée à son nom n’est pas tenue par lui mais par une groupie folle de ciné qui a d’ailleurs cessé de se connecter depuis la fin janvier 2009.
Autres rectifs ou précisions par rapport à l’extrait cité :
dans le roman, c’est "Regardez comme je suis sociable : j’ai 357 amis" et "l’enfer, c’est les autres" qui sont en italique avec le deuxième "Facebook" et l’extrait de la chanson, déjà cités et précisés dans mon premier commentaire. Le mot "absooolument" n’est pas en italique. Voilà, cette fois-ci, c’est bon. (on ne pourra pas me reprocher une mauvaise lecture)
Juste une question : c’est quoi "les petites jalousies province-paris" ?
Attendez la chronique. Merci
bon dieu c’est quoi cette collection de truismes en italiques, du second degré ? C’est quoi l’intérêt d’arracher des personnages au néant pour leur faire tenir les propos que tout le monde tient partout dans la réalité ?
Merci d’avoir rectifié avec célérité. Honnêtement, c’est normal qu’un auteur soit pointilleux. C’est SON TEXTE. L’usage d’une minuscule et d’une majuscule, aussi fou que cela puisse (vous) apparaître, peut changer le sens d’une phrase. (euh, sans vouloir la jouer enquiquineuse et sans exagérer non plus, le bout de phrase "regardez comme je suis sociable" est aussi en italique).
Folantin, cette mise en relief voulue par l’auteur est précisément une des grandes qualités du roman. Cela fait partie des -soi disant- détails qui donnent couleur et ton au texte. Ce qui peut vous apparaître comme un détail ridicule n’en est pas un.
Derniers points : le roman paraît le 27 août.
Et il n’est peut-être pas inutile de préciser que si c’est cet extrait qui a été choisi, ce n’est pas que pour coller à l’actu. C’est aussi pour ‘anticiper sur l’enquête relative aux groupes littéraires présent sur Facebook et Twitter où des impressions d’auteurs au sujet des réseaux sociaux seront cités.
A plus