Après Nicolas Gary, fondateur d’Actualitté.com, la blogueuse Dahlia m’a contactée afin de présenter, à son tour, sa bibliothèque personnelle, m’informant au passage de la sortie de son premier roman « Adore », « un huis clos violent et sensuel » selon la 4e de couv’. Vous avez déjà certainement lu quelques uns de ses commentaires ici, rarement tendres (!) mais souvent pointus ou découvert son site/blog « Ohmydahlia » où elle partage son univers littéraire « gothico-pop-rock » avec beaucoup de passion. Récemment cette toulousaine de 28 ans, ancienne étudiante en sociologie et cinéma, qui joue aussi les modèles façon Dita von Teese, s’est vue publier dans la collection « M@nuscrits » de Leo Scheer qui oscille entre publication numérique et papier. Une collection assez controversée : Gilles Cohen Solal (éditions Héloïse d’Ormesson) la taxait de « collection poubelle » tandis que la blogosphère fustige la récup’ de blogueurs connus à des fins plus marketing que littéraire… Cela n’empêche pas Dahlia de savourer son bonheur et de partager avec enthousiasme ses références variées. Entre classiques, pop-culture et quelques perles underground à découvrir… :
Quel est le livre qui t’a marqué enfant et/ou ado et qui t’a donné le goût de la lecture ?
En fait c’est tout un contexte. Je fais partie de ces gamins à qui les parents lisaient une histoire tous les soirs. Et par-dessus le marché, on m’offrait beaucoup de disques-longue-durée-tiré-d’un-film-de-Walt-Disney. Et tu te souviens des magazines Raconte-moi des histoires ?. Ben pareil, je les ai usées jusqu’à la bande sur mon petit magnéto à cassettes à force de les écouter. Il arrive forcément un moment où tu n’as qu’une envie, c’est de te plonger dans les bouquins sans intermédiaire… Donc je ne saurai pas te dire si un livre a déclenché le processus plus qu’un autre. Ah si, peut-être Charlie et la chocolaterie… Même maintenant je peux t’en citer des passages entiers (avec le ton approprié en prime).
Le livre qui t’a fait comprendre ce que le mot « littérature » veut dire (claque littéraire)…
Ce n’est pas très original, mais ce sont les contes et nouvelles de Maupassant. Ce qui en soi est amusant puisqu’il me semble qu’à l’époque où il les a publiés, beaucoup le considéraient comme un auteur médiocre et pas très sérieux parce qu’il travaillait pour des journaux et faisait beaucoup de feuilletons… Le fait est que ses écrits ne vieillissent absolument pas, ni dans les thèmes ni dans la forme. Il décrit la nature humaine dans sa cruauté, ses moments de faiblesses et de grâce avec une incroyable acuité, dans une langue à la fois très classique, tout en étant simple mais surtout juste. Aujourd’hui encore, aucun auteur classique ne remplace Maupassant à mes yeux.
Le livre que tu aimes lire et relire, sans jamais t’en lasser…
Ah il y en a un paquet! Vraiment! Ce sont d’ailleurs les seuls que je ne revends pas une fois que je les ai finis ! 😀 Bon je vais donc faire une entorse à la question en citant deux. « Le maitre des illusions » de Donna Tartt que j’ai l’impression de redécouvrir à chaque lecture. C’est non seulement le chef-d’œuvre absolu du campus-novel, mais un roman hallucinant sur la culpabilité, la responsabilité… Et surtout ces liens d’admiration violente que l’on peut ressentir envers certaines personnes charismatiques et cultivées. En somme, sur les amitiés dont on ne revient pas… Et le second, c’est « Daddy’s girl » de Janet Inglis. Là c’est plus tortueux, car très personnel, presque intime. Au jeu du portrait chinois, je dis toujours que ce livre, c’est moi. L’histoire d’Olivia, une gamine de 14 ans, presque 15, qui malgré son corps de femme est une pauvre gosse aux parents divorcés qui ne s’occupent pas d’elle. La seule personne, qui enfin de l’attention pour elle est sans doute l’être le plus amoral de la terre puisque c’est l’amant de sa mère, un photographe dur, froid… Ils deviennent amants et Olivia se débat entre sa honte, son désir violent pour cet homme et une perte de repères progressive… Raconté comme ça, ça ressemble à une quelconque histoire de Lolita exploitée par un vicieux alors que c’est peut-être l’un des romans les plus tristes, émouvants, érotiques et violents que j’ai pu lire dans mon existence. L’auteur a écrit une suite – Father of lies – qui n’a malheureusement jamais été traduite en français, au contraire de Daddy’s girl… J’avais même supplié Le Seuil de le traduire aussi, je n’ai jamais eu de réponse!
L’auteur dont tu liras toujours tous les livres quoiqu’il advienne…
C’est quelque chose que je ne fais jamais, mais de manière générale. Comme pour des groupes de musique ou des réalisateurs. Je ne fais pas partie des fans inconditionnels qui défendent bec et ongles toute l’œuvre d’un artiste qu’ils aiment. Quelqu’un qui n’a jamais fait de choses moyennes, mineures, voire casseroles, ça n’existe pas. Ceci dit, pendant longtemps je pensais que Jean-Paul Dubois échappait à la règle (j’ai presque tout lu de sa bibliographie, y a quoi, trois livres qui ne m’ont jamais tentés), mais Les accommodements raisonnables était une amère déception… En fait, si le sujet d’un auteur ne m’intéresse pas, je ne le lirai pas, même si je l’adore.
Le livre que tu n’as jamais pu finir…
Humpf, y en a tellement… Le plus chiant, c’est quand tu essaies de lire des auteurs/bouquins que tout le monde t’a recommandés sous couvert de « classiques », « cultes », « incontournables »… Et toi, tu t’ennuies tellement que tu sautes des pages pour aller plus vite, pire tu relis dix fois la même page sans accrocher… L’été dernier, ça m’a fait ça avec Belle du seigneur, j’en étais malade, l’histoire qu’on m’avait décrite me faisait tellement envie! Mais impossible d’entrer dans le texte, j’ai abandonné… Lovecraft aussi, au grand dam de tous mes potes geek… Je vais pas te faire toute la liste mais y en a beaucoup.
Le livre que tu n’as pas encore lu et que tu veux absolument découvrir…
Ce sont plus des auteurs que des livres ! Je me rends compte que j’ai d’énormes lacunes dans les classiques par exemple, tant français qu’étrangers. Italo Calvino par exemple, c’est un auteur que je me promets de lire depuis un bail, j’ai un Chateaubriand qu’un ami proche m’a offert pour mon anniv’ l’an dernier et dans lequel je ne me suis toujours pas plongée… Ce même ami est d’ailleurs mon meilleur conseil en matière de classiques, là il vient de m’offrir Le moine de Matthew Gregory Lewis en me disant que c’était un grand texte fantastique et mystique avec lequel l’auteur aurait eu un paquet de problèmes (sorti en Angleterre fin 18ème pour situer)… Je pense que c’est le prochain que je vais lire (là je dois terminer le dernier Patrick Eudeline pour Discordance.fr – site culturel pour qui elle chronique ndlr).
Le livre que tu recommandes le plus de bouche à oreille…
C’est par périodes, selon les derniers gros coups de cœur… En ce moment, c’est Principe de précaution de Matthieu Jung qui est sorti en début d’année. Lui, c’est vraiment la réponse à opposer à tous ceux qui prétendent que les romanciers français n’osent plus se colleter avec le réel. Son livre n’est que ça, 400 pages en plongée directe dans la France des années 2004-2005 et on se les reprend dans la tronche de plein fouet. Une spirale progressive et très lente dans une folie qui vient justement de l’étouffement des consignes de sécurité. C’est fou parce que ce livre c’est 400 pages de la vie d’un quadra lambda de la région parisienne (marié, deux enfants ado, un boulot à la con dans une société de crédit) et pourtant on ne décroche pas. Tu commences, tu t’arrêtes plus. Et à la fin tu te sens très, mais alors très mal… Non vraiment, je recommande Principe de précaution chaudement.
Le jeune auteur contemporain qui te semble incarner la nouvelle génération littéraire en France (et/ou à l’étranger)…
Aïe, je n’aime pas beaucoup ce type de classification… J’ai l’impression que ça fait partie de ces termes commodes et fourre-tout qui ne veulent pas dire grand-chose au final. D’autant que moi, j’ai l’impression d’être mortellement classique dans mes goûts tant sur le fond que la forme, pourtant je lis beaucoup de choses récentes… Par contre, s’il y a quelque chose qui me semble caractériser beaucoup de jeunes auteurs, c’est la réappropriation de tout un pan de pop-culture qui n’avait pas forcément bonne presse avant. Tu prends quelqu’un comme Neil Gaiman qui écrit American Gods, un hommage total à la mythologie des super-héros (un peu comme Watchmen), il se met non seulement le public, mais la critique dans la poche… Le Torturez l’artiste ! de Joey Goebel est un bon exemple aussi même s’il s’attaque plutôt au monde du spectacle. Ce qui est représentatif je crois, c’est cette envie de beaucoup d’auteurs de faire des « œuvres globales » en mélangeant parfois littérature, images et musique avec plusieurs supports qui se répondent et s’interpénètrent… Moi la première d’ailleurs. Quand Adore est sorti, j’ai de suite créé une playlist sur Deezer avec non seulement les deux chansons citées en exergue du texte mais aussi toutes celles que j’écoutais en boucle durant l’écriture du livre et qui m’aidaient pour maintenir certaines émotions. C’est certes beaucoup moins élaboré que d’autres, mais cette tentation de créer des chemins autour du livre lui-même est je crois quelque chose qui fonctionne non seulement pour les jeunes auteurs mais aussi les lecteurs…
Le livre que tu n’aurais jamais cru aimer / livre que tu ne voulais pas lire et pourtant…
American psycho. J’avais une réaction de rejet, non pas à cause du sujet mais parce que tout le monde me gonflait avec ce livre, genre il est trop cuuulte tchu vois. Du coup, par pur esprit de contradiction, je disais « Ah ouais ? Hé ben je le lirai pas ! ». C’est ce genre de raisonnement qui m’a également fait découvrir Fight club – le film – genre huit ans après sa sortie, pour me rendre compte que c’était un film qui justement n’avait absolument pas vieilli et qui mérite toujours le culte dont il fait l’objet. Pour en revenir à American psycho, d’après ce que je connaissais, je ne pouvais même pas concevoir de lire un livre où y a genre trois pages de descriptions d’une bouteille d’huile de massage dont on va oindre deux prostituées ! Je suis passée à côté très longtemps, plus ou moins volontairement… Et l’an dernier, voilà, la claque, comme des milliers d’autres avant moi. Tiens celui-ci rien que d’en parler, j’ai envie de le relire.
Ton livre page-turner : le livre que tu as lu en une nuit, sans pouvoir décrocher…
On va m’accuser d’entrisme, mais tant pis (le premier qui le fait, j’y pète les dents toutes façons :p). Confidences à Allah de Saphia Azzeddine. Là c’était une vraie surprise, parce qu’en général tous ces livres sur l’Afrique du nord avec les femmes arabes qui en chient grave, ça m’emmerde dès les premières pages. Mais Saphia, elle a un humour vachard qui désamorce hyper intelligemment même les moments les plus durs que vit Jbara – son héroïne. Celui-ci je l’ai commencé un soir vers minuit, à quatre heures du mat’ il était terminé et j’en voulais même à l’auteur que ça soit fini, j’avais envie de l’engueuler pour qu’elle écrive la suite !
Le livre qui t’as fait pleurer…
Une bande dessinée très exactement. Silence de Comès. Je l’ai lue quand j’avais 15 ans, à une période où je fouillais toute la bibliothèque familiale. Silence, c’est une histoire terrible, dans les Ardennes des années 70… C’est le prénom du personnage principal, un muet simple d’esprit, qui ignore l’idée même du mal et de la haine. C’est tout le nœud de cette histoire déchirante. Comès a un dessin qui rebute la quasi-totalité des personnes qui ne jugent la qualité d’une bédé au seul mot d’ordre qu’un dessin doit être beau ou mignon. Le sien ne l’est pas, et il sort des émotions qui t’arrachent les tripes avec trois fois rien. C’est ce livre qui m’a fait pleurer au sens littéral du terme: de grosses larmes, à la limite des hoquets.
Le livre qui t’as fait rire/redonné le moral (sorti d’une situation difficile)
Redonné le moral, c’est un peu fort, mais des livres qui m’ont fait éclater de rire au sens littéral du terme y en a quelques-uns… C’est ceux que je préfère lire dans le métro, ça met souvent les gens qui sont à côté d’excellente humeur ! Sexe, drogues et pop-corn de Chuck Klosterman, un recueil de chroniques sur la façon dont la pop-culture imprègne le quotidien, ça c’est très marrant. Aucun intérêt à les décrire, il FAUT le lire pour prendre la mesure du truc. Sinon redonné le moral… Oh si, allez y a Je gagne toujours à la fin de Tristan-Edern Vaquette. Même si là, ça tient vachement à l’auteur en lui-même. C’est un bouquin tellement dingue, mégalo et libertaire (à l’image de Vaquette quoi) que ça te booste vachement. C’est toujours bénéfique de se frotter à Vaquette, même si c’est quelqu’un d’exigeant et souvent excessif. Justement parce que c’est quelqu’un d’exigeant et excessif. Le genre d’auteur qui te grandit à sa manière.
Merci Dahlia du temps accordé ![Alexandra pour Café livres/L’Express.fr]
Photos d’Anne-Sophie Ramm et Dahlia
3 Commentaires
Mathieu Gregory Lewis, Chateaubriand, Maupassant, Azzedine, Jung, complètement okay, cela en étonnera plus d’un, masi j’ai les mêmes gouts littéraires que Dahlia. Je n’ai aps non plus lu Calvino.
Bravo à toi pour ton roman et ton éclectisme Dahlia. Tous mes encouragements. A bientôt.
De la haine à l’amour : ou comment se réconcilier autour d’une bibliothèque ! (sourire)
PS : cet entretien sera publié sur Café livres/L’Express.fr la semaine prochaine.
Je n’ai jamais dit que je n’aimais pas Dahlia ! J’ai toujours pensé que nous n’étions pas d’accord, dans la façon d’aborder certains auteurs !
Dahlia a parfois des réactiosn récalcitrantes, elle ne peut le nier. Voire des aversions. Elle les exprime clairement. Mieux que moi qui suis par nature plus policée, plus consensuelle. Mais cela ne veut pas dire que nous ne partageons rien en commun.!!
La preuve, honnêtement.
ps : maintenant, si les gens peuvent pas me blairer, c’est tant pis pour moi. Le fait est que je ne peux rien faire pour eux, dans la mesure où j’estime important de ne pas chercher à plaire à tout le monde.
CQFD
bisous.
lo