Fiction ou réalité : Les écrivains doivent-ils se justifier (et s’excuser) ?

S’il y a bien une question qui m’agace plus que tout lorsque je lis l’interview d’un(e) écrivain c’est le fameux et incontournable interrogatoire sur « la part de vécu » dans l’œuvre, autre variante « la part de ressemblance entre le narrateur/héros et l’auteur » ou plus directement « la part autobiographique ». Questions qui peuvent parfois se cumuler/chevaucher afin de débusquer, dépouiller, départager, avec un voyeurisme obscène et quasi-policier, le vrai du faux. Traquenard duquel le malheureux essaie de se sortir en général par une pirouette citant alternativement le « Madame Bovary c’est moi » de Flaubert ou encore le « mentir vrai » d’Aragon.

Oui, on veut connaître le degré, le pourcentage même, si possible exact ou à défaut approximatif de faits réels, de faits inspirés de la vraie vie de l’auteur, contenus dans le texte.
« La véracité » de la fiction.
Une préoccupation qui permet de reléguer le texte en deuxième position voire même complètement à l’arrière plan quand il n’est pas carrément occulté.

L’écrivain est sommé de répondre avec précision à cette question apparemment cruciale pour juger de son œuvre. L’écrivain est sommé de rendre des comptes sur sa vie privée, sa sphère personnelle qui ne devrait pourtant pas interférer avec son travail d’écriture. Et s’il ne le fait pas, quelques âmes charitables se chargeront pour lui d’aller inspecter son passé pour lui faire son procès le cas échéant.

J’ai la conviction que dés que l’on commence à s’intéresser de trop près à l’homme, on s’éloigne complètement de l’écrivain et on perd l’essence de son œuvre ainsi parasitée (aussi autobiographique ou « autofictionnelle » soit-elle). (voir billet « Les écrivains ont un visage »)

La valeur d’un texte semble étrangement directement corrélée (réduite) à cette dimension. Pourquoi les journalistes et les lecteurs lui accordent-ils tellement d’importance au point de s’y focaliser ? J’avoue que cela me dépasse. Je n’arrive pas à le comprendre. C’est tellement ridicule et accessoire…
Qu’est ce que cela change à la lecture du livre de savoir si l’histoire, les faits qui nous sont racontés ont vraiment eu lieu, si les personnages ont vraiment existé ?
Je veux dire, dans tous les cas on ne connaît pas personnellement ni les uns ni les autres… Et même s’il s’agit de célébrités (pour l’époque par exemple), dans quelques décennies on les aura probablement oubliés… Ne restera alors que le texte qui devra se suffire à lui-même pour durer et intéresser les générations suivantes.

Ce qui compte dans un texte c’est la justesse et non pas l’authenticité (l’un n’induisant pas forcément l’autre).
Est-ce que l’on croit à ce que l’auteur nous raconte ? Est-ce que la voix de l’auteur est suffisamment puissante, singulière pour capter l’attention et emporter le lecteur ?
Est-ce que l’émotion passe, est-ce que le texte a une âme en somme.
Qu’importe la source d’inspiration pourvu qu’on ait l’ivresse… La littérature n’est pas un fait divers ou une enquête journalistique (même lorsqu’elle s’en inspire, i.e le « non fiction novel »).

Paradoxalement ce critère s’avère à double tranchant, parfois source d’engouement et de succès ou au contraire défaut sur lequel on s’acharne pour dévaluer voire assassiner le travail de l’auteur (les fameuses accusations de « nombrilisme » ou « narcissisme », je reviendrai sur ces deux (faux) « arguments » qui ne veulent strictement rien dire et son corollaire de glorification toute aussi bête des œuvres de pure imagination et autre « roman monde »). Aussi stupide l’un que l’autre. Pour ne citer que deux exemples récents de retournement d’opinion, les cas américains de J.T Leroy (Sarah, Le livre de Jérémie) et de James Frey (Mille morceaux, qui publie en cette rentrée littéraire « L.A Story »). Deux phénomènes effarants.
Alors que leur œuvre était respectivement portée aux nues, ils sont subitement devenus des pestiférés et accusés comme s’ils avaient commis le pire crime (on a alors parlé « d’imposture », encore ce problème de juger la littérature, l’art comme la société civile), parce que leur histoire n’était pas rigoureusement identique à leur vécu.
Les lecteurs se sont sentis « trahis », « trompés ». Quelle belle sottise !
Un écrivain qui donne du plaisir à son lecteur ne le trompe jamais. Et le débat ne devrait jamais dépasser ce cadre. [Alexandra pour Café livres/L’Express.fr]

8 Commentaires

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  1. Oui!!
    "Quelle est la part de vécu?" est presque toujours la 1re question qui vient quand un "public" rencontre un auteur (ou sur la table d’un salon du livre).
    Pourtant, je ne pense pas que ça importe tant que ça aux lecteurs. Simplement, il faut se représenter la scène : d’un côté, un (des) auteur(s) rarement à l’aise pour parler de son(leur) livre(s) ; de l’autre, des lecteurs qui ont peut-être aimé le livre (ou qui seraient tenté de le lire) mais qui ne voient pas trop quelle question poser (on a tous été dans cette situation). Et comme les gens qui sont là sont de bonne volonté, ils se forcent un peu à poser des questions. Alors, comme des bons élèves, ils posent les questions-bateau que tout journaliste-animateur littéraire pose lui aussi quand il n’a pas vraiment préparé la rencontre. Et ce qui vient TOUJOURS en n°1, c’est le fameux "et c’est autobiographique?"

    (Bon, reconnaissons quand même que le public préfère quand la réponse est oui – peut-être avons-nous l’impression d’une sorte de privilège d’avoir rencontré l’auteur-personnage, peut-être cela donne-t-il vraiment pour certains une dimension supplémentaire à la lecture)

    NB – Dans le cas des livres dont tu as parlé dans les posts précédents, les lecteurs se sont-ils sentis "trahis" par le livre ou par la promotion ? Parce que si j’ai bien compris, ces romans ont fait l’objet de campagnes promo importantes, qui sciemment jouaient sur le côté "vrai"… Ils avaient acheté un bout du type vu-à-la-tv, pas vraiment un roman.

    Bref – pardon je suis long, en résumé on peut rêver d’émissions / rencontres littéraires où la question serait interdite. Ca créerait des blancs au début, mais le schmilblick irait sans doute plus loin ensuite.

    • yann frat sur 1 octobre 2009 à 9 h 21 min
    • Répondre

    Pour moi, quand on me pose la fameuse question j’ai trouvé ma réplique fétiche (attention déposé!!;) ):
    "ce que j’écris me ressemble mais je ne ressemble pas à ce que j’écris"…

    Car cette question est forcement embarrassante puisque évidemment personne n’écrit sur un sujet qui ne l’intéresse et ne le touche pas… (ou alors présentez le moi)…
    Cependant même en écrivant sur un sujet qui nous touche on n’est pas forcement dans l’autobiographie et quand bien même on y serait on n’a pas forcement envie d’en parler… (demande t on à un médecin, a un avocat pourquoi ils font ce métier, pourquoi ils soignent cette maladie, ce client?)…A qui DOIT on la vérité sur sa vie?

    En fait et pour conclure (oui je suis long moi aussi, coucou second flore!) j’appelle ça le "syndrome du magicien"… Même s’ils ont aimé un tour le public ne peut parfois s’empêcher de demander "c’est quoi le truc???" comme si la simple jouissance naïve d’une féérie leur était impossible… Un vrai adulte ne se fait pas "embarquer", un vrai adulte reste "ratio"nel et cherche le vrai, un vrai adulte est parfaitement assommant…

    😉

    yann

  2. Je pense que c’est la faute d’internet!
    Sur le net, n’importe qui peut écrire n’importe quoi et l’information se diffuse à une vitesse inouïe. "On Internet, no one knows you’re a dog."
    Cela implique un certain degré de confiance et lorsqu’une imposture est démasquée, les gens se sentent trahis.

    Je pense qu’en réaction, les gens deviennent de plus en plus méfiants: "Quelle est votre source?", "Vous avez des preuves de ce que vous dites?", "J’ai lu sur [lien] que…"
    Je pense aussi qu’il y a une quête effrénée de récits autobiographiques. J’ai même vu un film où le bandeau disait: "inspiré de deux histoires vraies."

  3. oui mais c’est ça qui est fou (et dangereux) c’est que les gens ont pour motivation littéraire de lire "une histoire vraie" !

    Motivation ou grief du reste (car à l’inverse on trouve aussi des gens (critiques littéraires compris) capables de vous dire avec le plus grand sérieux qu’un livre est nul parce que trop autobiographique i.e "nombriliste").
    Ca ne devrait pas être un critère tout simplement…

  4. J’aime bien l’idée de "l’adulte" chez Yann. C’est l’adulte qui pose ces questions à la con (et qui choisit les livres) ; heureusement, une fois le livre ouvert (s’il est bon) c’est l’enfant en nous qui lit et se laisse embarquer.

    • yann frat sur 4 octobre 2009 à 15 h 49 min
    • Répondre

    En fait alexandra, mine de rien, tu poses une question à peine fondamentale : Qu’est ce que le vrai en littérature?
    Ou dis autrement:
    La fiction est elle par essence l’antithèse du vrai?
    Ou encore
    Un récit non fictionnel raconte-t-il forcement le réel et si oui, de quel réel parle t on alors?

    Bon, vous avez deux heures!

    ;)))

    a+

    yann

  5. exactement, tu as tt à fait raison.
    je m’amusais avec une amie à imaginer les étiquettes à apposer sur un livre pour éviter tout "procès", au moins d’intention : "Récit d’inspiration autobiographique avec transposition romancée", "Roman d’inspiration réelle et réinterprétée", "Autofiction réinventée"…
    La notion de vrai au sens de l’écriture littéraire ne peut bien sur pas être comparée à celle photographique et objective (qui n’existe jamais complètement d’ailleurs, car il n’y a pas de faits mais uniquement des interprétations…)
    on tombe bientôt dans le n’importe quoi au prétexte de ne pas "tromper" le lecteur….

    • yann frat sur 5 octobre 2009 à 23 h 55 min
    • Répondre

    Cependant ce qui me semble le plus étrange (et où je te rejoins au fond) c’est d’être un lecteur suffisamment naïf pour refuser ce "contrat moral fictionnel" avec "l’artiste" qui vous raconte un histoire…
    Après tout les écrits "sérieux" croisent leurs sources pour s’approcher vaguement de la "vérité" et il ne faut pas être grand clerc pour savoir que même l’histoire de France de michelet n’est pas tout à fait la même que celle de galot, par exemple…

    Donc le problème pour moi n’est pas le loup, mais bien ceux qui crient à son nom pour un rien… et sans raison logique…

    Enfin et comme je suis très en forme (et très en vacances ;))) ) je ne peux m’empêcher de repenser à céline quand il disait que ce n’est pas l’histoire qui fait la littérature "les histoires il y en a plein les journaux, plein les commissariats, des style par contre c’est rare…"

    a+

    yann

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