Dans « La délicatesse » de David Foenkinos, on trouve ce genre de réplique, « Markus pensa : ‘ C’est le plus beau lavage de mains de ma vie.’ et c’est ce qui fait aimer ses livres. Ce mélange de naïveté et d’humour qui enchante. Il participe à cette surprise permanente sentie à chaque lecture, à cette tendresse éprouvée pour les personnages dès son premier roman. Dans son dernier livre, La délicatesse, encore en lice pour le prix Interallié, on retrouve cette vivacité dans l’écriture, ce côté décalé qui nous fait parfois penser à Boris Vian. On se pose la question suivante : mais où va-t-il chercher tout ça ?… David Foenkinos est bon pour les résumés aux conséquences comiques, pour les mots d’esprits et les clin d’oeils, les sentences à propos de ses personnages à la vie si singulière, au caractère si prosaïque. Ces personnages n’ont en effet rien d’héroïque, ils sont tous de la trempe d’Hector, ratant son suicide dans le métro parisien… (Le potentiel érotique de ma femme : quel incipit !) Et pourtant, quel romanesque ! Quelle maladresse, quel désarroi ! Autant de tentatives pour dire, peut-être, l’atermoiement de nos directions, les nuances de nos vies. L’errance, d’une certaine manière, la quête d’une certitude.
« L’héroïsme est peu de chose, le bonheur est plus difficile« , disait Camus.
J’ai lu tous les romans de David Foenkinos, et je trouvais que le précédent, « Nos séparations », était le plus réussi. Pourquoi, je ne sais pas, si je l’ai su un jour. Il était peut-être plus réel que les autres, moins « loufoque », dans le ton comme dans l’histoire. Plus consistant et plus lisse. La délicatesse prend sa suite avec brio… Et accentue encore la courbe noire que l’auteur semble vouloir donner à son œuvre depuis quelques temps. Je trouve qu’il y est parvenu, alternant efficacement les passages drôles et les passages profonds, sérieux. Graves.
Oui, dans ce roman, plusieurs pages sans sourire, plusieurs pages d’une vraie émotion. A la suite, s’il vous plaît. Que faut-il d’autre pour toucher le vrai qu’insérer la mort et le deuil ? Je ne crois pas que ce thème ait été abordé, auparavant. Pas frontalement, pas violement. Bien sûr, la disparition d’une idée littéraire : mais on lui court après, on souhaite la retrouver (Qui se souvient de David Foenkinos ?) ; et puis on se quitte et on se retrouve, et on se quitte encore pour se retrouver une nouvelle fois (Nos séparations). Tout de même : le virage était pris depuis En cas de bonheur. Avec ce dernier livre, c’est différent. Tout l’enjeu est là. Le thème est bien sûr amoureux, mais le propos est plus grave : Nathalie perd son mari, François.
« Elle passait aussi à l’endroit où son mari avait été renversé. Où, courant en short, avec de la musique dans les oreilles, il avait traversé si maladroitement. Son ultime maladresse. Elle se mettait au bord de la chaussée, et observait le passage des voitures. Pourquoi ne se tuerait-elle pas au même endroit ? Pourquoi ne pas mélanger les traces de leurs sangs dans une union morbide ? Elle restait longtemps, sans savoir quoi faire, des larmes dérapant sur son visage. C’était surtout dans les premiers temps, après l’enterrement, qu’elle revient à cet endroit. Elle ne savait pas pourquoi elle avait besoin de se faire si mal. C’était absurde d’être là, absurde de vouloir rendre ainsi concrète la mort de son mari. Peut-être qu’au fond il s’agissait de la seule solution ? Sait-on comment survivre à un tel drame ? »
L’extrait est un peu long, mais il se termine comme il faut. Par l’inscription de la tragédie et de ses conséquences dans la vie de Nathalie. Toute l’habileté de l’auteur consiste à traiter avec beaucoup de douceur ce deuil, de le laisser exister, et de faire exister encore le disparu, lui conservant sa place, lui laissant sa valeur. Premier signe de cette délicatesse, promise par le titre… Qu’appelle-t-on « le bon moment » ?… Il est toujours difficile de parler d’un livre de manière approfondie sans trop le dévoiler, aussi suis-je bien content de voir sur la quatrième de couverture : « C’est l’histoire d’une femme qui va être surprise par un homme. Réellement surprise. » Et cet homme, c’est Markus, un suédois, tout sauf grossier. Délicat plutôt que vulgaire… En même temps, cette quatrième de couverture nous laisse supposer que la surprise sera bonne et durera jusqu’à la dernière ligne. Non, David Foenkinos est toujours dans le happy end. A quoi vous attendez-vous ? L’essentiel est de surcroît ailleurs, dans le chemin, dans cette maturation, dont l’impalpable à cette grâce et ce charme qui rendent ce roman touchant. Touchant sans effusion. D’un beau mauve.
Ce qui nous touche, c’est l’apparition des sentiments, leurs circonvolutions. On glisse d’un personnage à un autre, on accède à leurs pensées, on suit leur immersion. On assiste à l’éclosion du désir, soumise parfois à l’illusion, aux nécessaires et laborieuses actions de la conquête. Si David Foenkinos met en avant la surprise, il lui laisse le temps de se déployer, de rosir sa corolle. L’éloge du temps, peut-être. C’est ça, une certaine mélancolie, un ralentissement. Prendre du temps, son temps, le temps qu’il faut. Acquérir de l’épaisseur, de la consistance après le drame. Ne pas mettre une main trop rapidement sur un genou, en somme.
Et je me souviens de l’épigraphe du roman : « Je ne saurais me réconcilier avec les choses, chaque instant dût-il s’arracher au temps pour me donner un baiser. » Et je pense encore à Camus, dans Lettres à un ami allemand : « Le bonheur est la plus grande des conquêtes, celle qu’on fait contre le destin qui nous est imposé. » La vie, en dépit de ses arrêts ou de ses errances, n’a qu’une seule direction. Il faut se faire philosophe.
A chaque roman, on avait l’habitude d’avoir des clins d’oeil aux romans antérieurs. Ici, à côté de ces listes qui cassent et complètent la narration de manière rafraîchissante (« Distance entre Paris et Moscou », « Exemples de dictons ridicules que les gens adorent répéter », « Extrait de la posologie du Guronsan »…), on retrouve Genève, les pieds, la mollesse, les deux Polonais… Mais nos Polonais sont, soulignons-le, deux philosophes et l’attrait de la Suisse est remplacé par la Suède. Est-ce à dire que la neutralité disparaît au profit d’une certaine rudesse, contre laquelle la délicatesse s’essayera ? Rudesse du climat, absurdité de la mort… l’histoire de ces vies n’apparaît-elle pas aussi concrètement que nous sont contemporaines les références aux atermoiements du PS en 2008, par exemple ?…
Il y aurait beaucoup à dire, sans doute, sur cet ouvrage, mais je n’ai que trop glosé. Je ne souhaite garder que cette couleur et ce titre. Et la chaleur de l’histoire de Nathalie et Markus… Pour toutes ces raisons, je ne vois aucune objection à ce que ce livre obtienne le prix Interallié. Et puis, comme un livre sur deux (publiés chez Gallimard) voit David Foenkinos primé et que celui-ci est son sixième, l’affaire semble donc arithmétiquement entendue. Une bonne chose de réglée. [Gwenaël Jeannin]
Interview de David Foenkinos, oct.2009 :
Avec le personnage de Nathalie, il me semble qu’il y a une grande nouveauté dans votre parcours. C’est le personnage clef du roman et il apporte une tonalité plus rude à votre enjouement habituel. Pourquoi avoir justement pris une femme pour dire cette reconstruction douloureuse et calme ?
C’est un livre plus grave que les autres oui. Je voulais depuis longtemps équilibrer entre l’humour et un fond plus réaliste, plus sérieux. J’avais envie de suivre le parcours sentimental d’une femme. Mais en même temps le livre parle aussi des hommes qui jalonnent sa vie.
Y a-t-il eu un élément déclencheur particulier pour ce roman ? Le quiproquo du baiser ? La disparition soudaine et absurde de François ?…
C’est la pulsion du baiser. Subitement, Nathalie embrasse… un Suédois !… C’était le point de départ. L’idée qu’en matière amoureuse, c’est le corps qui décide. Que Nathalie soit soumise à cette étrange pulsion sensuelle.
Vous sentez-vous plus capable d’écrire sur des sujets douloureux ? Est-ce un livre comme un autre ou sentez-vous que vous avez changé, que vous ne pourrez plus écrire Inversion de l’idiotie ou Entre les oreilles ?
Je ne pourrais plus écrire mes premiers livres c’est sûr !… Je crois qu’on évolue forcément. Et mon évolution me pousse vers moins de folie, plus de réalisme. Et plus de simplicité aussi.
A vous lire, on a parfois l’impression que votre écriture est primesautière, que vous saisissez ce qui vous saute à l’esprit… Comment écrivez-vous ? Et seconde question, avez-vous des rituels particuliers quand vous écrivez ?
Le premier jet, oui. C’est vif, je suis mes idées. Mais après je retravaille beaucoup. Je coupe, je simplifie. J’écris le matin, avec des chaussons. Comme si j’étais en Suisse.
D’où vous viennent ces références aux pays, aux nationalités ?
J’aime bien m’amuser avec ça. Il y a toujours deux polonais dans mes livres. Mais là, c’est un livre complètement suédois. Une nation mi Bergman mi Ikéa, et je trouve que ça donne aussitôt une tonalité dépressive à cette sociéte.
Vous êtes encore en course pour le prix Interallié 2009. Vous avez déjà eu trois prix : prix François Mauriac, prix Roger Nimier, Prix Jean Giono. Quels ouvrages de ces auteurs appréciez-vous ?
Ce sont des auteurs que j’ai peu lus. Que je connais peu.
Etes-vous déjà sur un nouveau roman ? Sur une nouvelle pièce de théâtre ?
J’écris le scénario de la Délicatesse. Je publie en janvier une petite nouvelle intitulée « Bernard », l’histoire d’un homme de 50 ans qui retourne vivre chez ses parents. Ca sera publié dans une maison d’édition les Editions du Moteur. Une maison qui ne va publier que de courts textes destinés à être adaptés au cinéma. Et puis en janvier il y aussi la sortie de Nos séparations en Folio.
Pouvez-vous nous parler de l’adaptation du Potentiel érotique de ma femme ?
Elle est arrêtée. Celle de Nos séparations avance. Normalement ( je l’espère !) c’est Yan Samuel qui fera le film. Le réalisateur de Jeux d’enfants. Et puis j’aimerais réaliser avec mon frère La délicatesse.
Quels sont les livres qui vous ont vraiment marqués depuis deux ans ?
Un homme de Philippe Roth.
Et pour terminer, aimez-vous les krisprolls ?
Non, même pas !… Mais j’espère que le livre sera traduit en Suédois, alors il faudra que je m’y mette.
[Propos recueillis par Gwenaël Jeannin]
Mise à jour (déc 2011), à propos de l’adaptation de « La délicatesse » par David Foenkinos et son frère:
Un film « driste »
Plus qu’une comédie dramatique, David Foenkinos et Stéphane Foenkinos cherchaient à faire avec La Délicatesse une « dramédie », néologisme emprunté à l’anglais, qui implique non seulement le cumul des deux genres, mais également le passage graduel de l’un à l’autre. Ils parlent aussi d’un film « driste », c’est-à-dire, drôle et triste à la fois, parsemé de « météorites de fantaisie ».
Un baiser (vraiment) inattendu
Pour la très importante scène du baiser volé, les réalisateurs cherchaient à obtenir la réaction la plus spontanée possible de l’acteur François Damiens. Ainsi, le jour venu, les cinéastes ont décidé de changer l’ordre du tournage et de filmer plusieurs autres plans annexes, tout en laissant le comédien dans l’attente… Quand l’acteur n’avait même plus la certitude de tourner la scène à ce moment-là, Audrey Tautou l’a embrassé d’un coup !
3 Commentaires
Foeonkinos, Levy, Beigbeder, Jardin… Voilà des gens qui ont grandement besoin de buzz… littéraire ;-))
On vous a connus plus underground, disons. Les temps changent n’est-ce pas…
Me suis senti floué par cette délicatesse. Le style est trop léger, passe trop de temps a chercher les bons mots. Les personnages en souffrent, ne s’incarnant pas tout à fait, manquant d’épaisseur.
Puis quand un auteur se sent obligé d’expliquer ses blagues dans la phrase suivante à plusieurs reprises on se demande s’il est juste trop fier de lui ou trop peu certain de lui.
Déçu, autant par le livre que par le buzz qui le suit.
"Le Monde des livres"
>>> c’est encore la cas ici, même s’il touche, décidément, de plus en plus juste."
"Lire"
>>> "Une romance qui finit pourtant pas prendre corps, et âme ; qui finit par convaincre ses acteurs autant que le lecteur. Peut-être parce que l’auteur réussit là comme jamais l’alchimie du grave et du léger, du drame et de l’espérance."
(c’est bien ce que je me disais…)