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Dans Enterrement de vie de garçon, Christian Authier nous parle de la jeunesse comme d’une zone à part. Beaucoup ont hâte de la quitter quand ils la traversent avant d’en cultiver la nostalgie le restant de leur vie. Tel le ciment, la jeunesse sèche vite et les empreintes accidentelles qu’elle aura reçues deviendront des cicatrices », écrit-il poétiquement. On n’échappe jamais à sa jeunesse. « On ne guérit pas de son passé », nous dit encore ce journaliste et critique toulousain pour le Figaro, auteur de plusieurs essais (dont « Le nouvel ordre sexuel », « Clint Eastwood »…), dans son premier roman paru en 2004, sélectionné pour le Prix Interallié 2004 (finalement attribué à Florian Zeller pour la Fascination du pire). Certains tentent d’avancer vite, de ne pas se retourner et d’autres, comme son narrateur (son double ?), ne parviennent pas à s’en détacher, à « enterrer leur vie de garçon ». Un joli jeu de mot qui préfigure toute la subtilité qui règne dans ses pages. Un livre enfin édité en poche (J’ai lu) en cette rentrée littéraire 2009.
On entre dans le roman de Christian Authier comme on ferait un voyage dans le temps, comme on feuilletterait un album photos un peu suranné, lointain et pourtant si proche. Dans ces années de jeunesse « qui comptent double ou triple ».
Par petites touches, il nous plonge dans ses souvenirs. Une époque : son époque, les années 80/90, « les années Mitterrand ».
Une ville : sa ville, Toulouse dont il connaît et chérit les moindres détails de sa topographie : de la Fnac Saint Georges à la rue des Tourneurs au Café Saint-Sernin où il se plaisait à observer la comédie humaine comme on va au théâtre, avec sa bande de fac… Et surtout ses cinémas et cinémathèques comme le Rex qu’il hante avec son ami Eric.
Eric : L’Ami avec un grand A. Le meilleur, le complice inséparable. Une rencontre comme « une évidence », dit-il, au lycée Toulouse-Lautrec, rentrée de septembre 1984. Il nous entraîne avec eux dans « cette vie par procuration », cette vie rêvée, qui nourrit leur adolescence, blottie dans les salles obscures, dans le tourbillon de leurs références, de leurs découvertes.
Cette jeunesse de cinéphiles passionnés prêt à tout sacrifier pour voir et revoir Kubrick, Mankiewicz, Lubitsch, Fellini jusqu’aux Monthy Python, Visconti, Keaton, Hitchcok…, de lecture acharnée des cahiers du cinéma et de Positif.
Ce partage, cette communion qui les fait vibrer lorsqu’ils visionnent des heures durant, ces images intenses, sans que personne ne puisse comprendre ou s’immiscer. Et lorsqu’on leur reproche de ne pas « être dans la vraie vie ». Il rétorque qu’il « l’abandonne à ceux qui s’en contentent ».
Deux amis épris d’absolu qui tenteront jusqu’au dernier instant de tenir à distance le mal qui ronge Eric, qui creuse sa jambe et dont le cliquetis de ses béquilles rappelle pourtant à chaque instant son sursis. Une lutte désespérée pour retarder, ignorer l’échéance. Une amitié, une fraternité, à la vie… à la mort. A la mort justement qui les conduira jusqu’aux derniers instants d’Eric, décrits avec une pudeur poignante, sans jamais verser dans le pathos. Bien au contraire !
Une perte dont le narrateur ne se remettra pas, quand bien même il en aura l’illusion. « La littérature ne console guère. Elle donne juste la douce illusion de l’amitié ressuscitée.« , réalise-t-il des années après ce deuil. Ou encore « On ne se fait plus d’amis après trente ans. Il manque un socle(…) »
Peut-on faire de la nostalgie un art de vivre ?, est en quelque sorte la question posée en filigrane. L’auteur semble trancher en faveur du non : il faut réussir à enterrer sa jeunesse, ses souvenirs. Combien même cela lui est douloureux et difficile, lui qui ne croit pas au « Avec le temps, avec le temps, tout s’en va ».
Certains ont reproché la brièveté de ce roman. On aurait sans doute en effet pu détailler davantage l’époque du lycée, les rapports entre les deux héros et leur entourage (camarades, parents, professeurs…) et même les premiers amours qui restent étonnamment en arrière-plan. Authier a choisi de resserrer son objectif sur cette bulle qu’ils partageaient, leur univers, en dehors du monde, en dehors du temps, sans respect de la chronologie (nombreux allers-retours dans le temps). Et il a bien fait.
C’est un roman très fort, qu’on lit vite, avec plaisir et d’émotion. De nombreuses phrases (peut-être un brin trop définitives) sont à retenir et donnent à réfléchir sur le sens de nos vies, nos trajectoires personnelles, nos actes et leurs conséquences, l’importance accordée à tel ou tel évènement.
Ses passions et sa maniaquerie pour tout collectionner et retenir, font habilement écho à sa difficulté de rompre avec le passé : « Ceux qui ont la mémoire longue aiment autant le cinéma, les livres ou la musique car en dépit des époques et des supports, ils restent pareils à eux-mêmes, prêts à nous ouvrir les bras en chuchotant « Tu vois, nous sommes toujours là, nous t’attendions…«
Avec une voix tranquille, sans fioriture, et une grâce permanente, ce « petit » roman s’avère beaucoup plus profond, plus foisonnant, que l’on ne pourrait s’y attendre. Sa résonance et sa richesse s’impriment durablement en nous. Et ne manquera pas de toucher plus particulièrement les trentenaires (mais aussi les autres générations !) qui ont cultivé (ou cultivent encore) une certaine marginalité ou « fétichisme » artistique ou culturelle.
A LIRE AUSSI :
Depuis 2004, Christian Authier n’a pas chomé, avec à son actif déjà deux autres romans, tous deux publiés aux éditions Stock. Dans la droite lignée de son premier roman « Enterrement de vie de garçon, il reste fidèle à ses thèmes de prédilection : la nostalgie, le souvenir de jeunesse omniprésent, la force des sentiments, de l’amitié mais aussi de l’amour (dans son dernier roman « Une si douce fureur » notamment) ou la décrépitude… et à son ton tendre et désenchanté pour dépeindre sa génération.
Les liens défaits, 2005 (une sorte de suite d’Enterrement de vie de garçon), Prix Roger Nimier
Présentation de l’éditeur : « Si je recompose aujourd’hui le cours des événements, si j’épingle ces épisodes anodins en essayant d’en dégager une clé, un début d’explication, c’est sans aucune certitude sur la validité de ma démarche. Je tente de comprendre a posteriori, de rassembler les indices, de savoir d’où était venu le vice de procédure, de rétablir les étapes de ce déracinement précurseur des pires abandons. Pourquoi Christophe avait basculé puis dérivé pour ne plus retenir entre ses mains que des sentiments tranchants, de l’eau brûlante, toujours plus brûlante ? Que s’était-il passé ? » Christophe avait tout pour réussir : amis, famille, travail… Mais l’époque l’a miné : des nnées Mitterrand cyniques aux années Chirac cyniques, les guerres d’Irak… Des désillusions qui vous dégoutent de l’existence. Dans ce livre, Authier poursuit l’écriture de sa romance triste qui regrette une époque perdue et chante la grâce de l’amitié et de la fidélité à ses amis.
Dans la ligne d’Enterrement de vie de garçon (2004), où le héros mourait d’un cancer à 25 ans, ce roman décrit l’ami survivant en proie à un dégoût de la vie.
Pour ceux, à commencer par les trentenaires, qui ont (re)trouvé dans le premier roman (Enterrement de vie de garçon) de ce journaliste toulousain des extraits de leur propre adolescence, ces Liens défaits pourraient être décrits comme un prolongement pessimiste. Soit un récit circonstancié de la perte des illusions estudiantines sur l’autel des réalités tristement économiques, politiques et sociales. On délaissera la question un peu vaine, sous-tendue par des sentiments forts d’impuissance et de culpabilité, de savoir qui de Christophe, celui qui lâche prise, ou du narrateur, qui commente la chute dudit Christophe, son meilleur ami, a raison pour ne garder de ce livre que le goût amer, et souvent bien rendu, d’une fraternité avortée.
Découvrez Les liens défaits
Une si douce fureur, 2006 (nouveau roman, rentrée littéraire 2006)
Présentation de l’éditeur : Valentine est de celles qu’on n’oublie pas, un ange blond qui fend le corps et l’âme. Six ans auparavant elle traversa fugacement la vie du narrateur. Et le marqua durablement. Il eut le sentiment d’avoir raté la femme de sa vie. Au moment où il apprend que Valentine s’est reconnue dans un roman où il solde ses amours et amitiés de jeunesse, le hasard les remet face à face. Cette fois, il décide de ne pas la lâcher. Elle est sa dernière chance. Des messages sans réponse aux rendez-vous manqués, Valentine se dérobe. Elle est de celles qu’on n’attrape pas, c’est un animal indomptable. Quand enfin le narrateur la tient contre son coeur, il croit tenir sa vie entre ses mains. Mais, après les premiers rendez-vous, les baisers, la grâce, viennent la lassitude, les silences, les signes de défaite. Une douce fureur. D’humeur changeante, Valentine cache un profond mal-être qu’aucune preuve d’amour ne comble. Comme si tout l’encombrait et qu’il fallait fuir… Fuir le bonheur avant qu’il ne s’échappe. L’amour est une fumée aux contours effacés. Une promesse de bonheur non tenue qui laisse au narrateur un goût amer. Valentine cette fille insaisissable dont Authier a visiblement été fou brosse son portrait sans fausse note : une toulousaine, fantasque, horripilante, menteuse, farfelue, qui ne répondait pas toujours au téléphone. D’après Eric Neuhoff dans le Madame Figaro, « Authier appartient à cette génération qui drague par texto, « la Princesse de Clèves » en SMS. Il est journaliste ; elle lit ses articles. Les chapitres sont autant de polaroïds avec pour sujet cette demoiselle qui traîne tous les coeurs après elle. C’est un vrai personnage de roman : elle est contente quand on lui offre des livres. Essayez, dans la réalité, ça ne marche jamais. Authier a du talent, il publie peut-être trop, mais on ne va pas reprocher à un écrivain d’écrire, même si personnellement on aurait coupé les premières pages. Allons, un garçon qui ouvre un château-yvonne 1995 pour le réveillon ne peut pas être mauvais. »
Après Enterrement de vie de garçon et Les Liens défaits, Christian Authier poursuit dans « Une si douce fureur », son exploration d’un désenchantement moderne sur un mode plus intimiste. En nous chuchotant avec fureur et mélancolie une histoire d’amour sans issue, où chacun tour à tour semble fuir un insaisissable bonheur, il analyse très finement les rapports actuels entre les hommes et les femmes.
Découvrez Une si douce fureur
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Christian Authier est également l’auteur de plusieurs essais dont :
« Clint Eastwood « , aux éditions Fitway, 2005
Faisant écho à sa passion du cinéma décrite dans Enterrement de vie de garçon », Christian Authier raconte comment il a découvert Clint Eastwood, à 17 ans, dans « Honkytonk Man » et adoré « cette vision très désenchantée des Etats-Unis, ce mélange de comédie et de mélodrame ». S’il a écrit sa biographie, c’est parce qu’il est « le seul acteur classique, non comique, qui ait accompli une réelle carrière de réalisateur ».
« Le nouvel ordre sexuel », aux éditions Bartillat, 2002
Dans cet essai, Authier dresse un état des lieux du paysage « sexuel » en France qui prend des allures très libertaires avec dans les librairies des titres tels que « Jouir », « Baise-moi », « Viande », « Pornocratie », « Putain », où subversion rime avec marchandisation du corps.
5 Commentaires
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J’ai lu les trois romans de Christian Authier. Ce qu’il y bien c’est la rapidité de lecture : 1 h par roman. Ce qu’il y de moins bien c’est le personnage principal. Il sonne faux. Quelque chose de joué. Et mal joué. Cette pose de l’écrivain désabusé, nostalgique, qui semble revenu de tout, mais qui manifestement ne connais rien à rien.
Merci de ton avis même s’il est… assez cinglant ! A priori son premier roman « Enterrement de vie de garçon » est le plus essentiel. On ne peut pas lui retirer une certaine poésie et un style bien à lui. Simple question : pourquoi avoir lu les trois si tu n’aimais pas… ? (bravo pour ta persévérance en tout cas !)
Je dois être maso.
Cet article m’incite à me procurer les ouvrages de Christian Authier… Intéressant je trouve.
Articles intéressants. J’ai lu deux romans de cet auteur qui m’ont plu, mais je trouve curieuse la réaction de "Doctor". Cela sonne faux.