Choisir comme héros et narrateur un enfant est toujours risqué au regard de la justesse et de la crédibilité. Avec en sus la difficulté d’être toujours comparé aux deux phares littéraires du genre : Salinger avec « L’attrape-cœurs » et Gary avec « La vie devant de soi ». Et lorsqu’on choisit en plus un gamin des cités, l’exercice est encore plus périlleux, en particulier pour des écrivains (devenus) bobos…
Même Calixthe Beyala qui pourtant jusque là avait restitué avec talent la voix des africaines de Belleville aux bidonvilles de Douala, a reçu un accueil mitigé pour son roman de Pauline (l’itinéraire d’une ado métisse de Pantin en errance qui voit sa vie bouleversée par sa rencontre avec une prof de français). Si une Faiza Guene, enfant de banlieue baignant encore dans la culture des cités, a su trouver le ton et les codes de cet univers, ouvrant la voie à la « street littérature » (aux influences de rap et de slam), il est moins évident pour un Samuel Benchetrit « Le cœur en dehors » ou une Saphia Azzedine (« Mon père est femme de ménage »). Parmi les écueils : caricatures, clichés de reportage TV, langage trop cru ou trop apprêté/érudit sonnant faux… Zoom sur le premier, ayant bénéficié « d’une opération « satisfait ou remboursé » » (vendu à 28 000 exemplaires à a ce jour) venant compléter ses chroniques de l’asphalte déjà sur ce thème :
« Tu sais, Charly, il faut aimer dans la vie, beaucoup… Ne jamais avoir peur de trop aimer. C’est ça, le courage. Ne sois jamais égoïste avec ton cœur. S’il est rempli d’amour, alors montre-le. Sors-le de toi et montre-le au monde. Il n’y a pas assez de cœurs courageux. Il n’y a pas assez de cœurs en dehors. »
Samuel Benchetrit, vrai enfant du bitume et aujourd’hui cinéaste germanopratin, nous raconte l’histoire de Charlie Traoré, un gamin de dix ans, black d’origine malienne, adorable et gentil, vivant en banlieue entre la Tour Rimbaud – ce qu’il croit approximativement – et la Tour Simone de Beauvoir – ce qu’il croit toujours approximativement – et dont tout l’univers se résume aux copains, à Mélanie une amoureuse , à son frère drogué – le pauvre – , et à sa mère surtout, qui, on l’apprend au tout début du livre, est appréhendée par la police pour cause de papiers pas en règle – vu le profil du roman, le contraire aurait surpris – . Dans la peau d’un enfant noir relativement assujetti à son environnement, ignorant, sans le vouloir, l’auteur revient une fois de plus sur la cité de son enfance. Celle d’avant les dérapages houleux et incendiaires de ces 6 dernières années -en gros- et avant Saint Ouen il y a quelques semaines… Vu le contexte social, ce roman aurait pu sortir du lot. Or ce n’est pas le cas.
Le récit se déroule sur une longue journée, – les têtes de chapitre indiquent les heures qui tournent. Cela donne un récit assez « mode d’emploi », journal intime nombriliste, facile à comprendre, relativement digeste, pour le moins approximatif, voire insuffisant en termes qualitatifs.
Un jour, Charlie fait l’école buissonnière. Il erre dans la cité, joue au détective, cherche son frère Henry, rend visite à des braves gens, frôle des voyous, joue au foot, sèche l’école, rêve, élabore, cherche à transmettre, s’attarde, digresse sur l’enfant et sur l’adulte, attend sa mère, la consolatrice. Il y a les copains, Yéyé, Freddy ou sa mère Joséphine, Maman avec un M majuscule, portée aux nues, tout va bien, respect total, la maternité est transcendée, O fils chéri, aimable. Mais Joséphine est arrêtée. Ne nous est pas épargné le cliché tape à l‘oeil du sursaut délétère d’Henry, qui traîne à Courchevel, l’endroit où l’on trouve de la poudre…
Récit d’une journée pas comme les autres, Charlie se fait son trip, son Odyssée de l’espèce. Il découvre le monde. L’école de la Vie, entre soupirs angoissés et espoirs vains, le tout servie par une description magnifiée des lieux alternant entre drôlerie et auto-dérision. Comme sortie tout droit d’un film de Spike Lee. Et puis, dans ce microcosme moribond, il y a les Rolland, un vieux couple plein de belle humanité me voilà, et fort accueillant dans son pavillon fleuri, ce qui, on s’en doute, c’est écrit noir sur blanc, est fait pour trancher avec le reste.
Benchetrit, via d’innombrables clichés, appâte le lecteur en tentant l’épate : c’est la vie typique de la banlieue qui nous est racontée en long et en large, – après qu’à l’appellation « banlieue », ne succède cette courte expression éloquente et courue de « zone sensible », – son quotidien gris et ses journées mornes, prêtes à l’emploi, comme si on était tous des couillons, hein, mon vieux, à ne pas savoir que Rimbaud, c’est le nom d’un de nos plus grands poètes ! Benchetrit nous prend pour des idiots. Enfin les gamins des banlieues pour des attardés mentaux, désolée.
J’ai totalement lâché prise devant ce récit plein de sensiblerie et pourquoi le taire, de niaiserie dégoulinante de bons sentiments (comme les poncifs agaçants de la page 195 [extrait : « …Le bonheur non plus des fois on s’en rend pas compte sur le moment, mais ce qui est dur, c’est que ça finit par se transformer en tristesse. »] ,et quelques réflexions tout de même attachantes et justes, [ « les bibliothèques sont comme les églises, il y a un silence à respecter » ] ou le joli passage sur les étoiles vues d’en haut de la p 129).
Dans ce récit à la première personne, les généralités sur la banlieue sont légion. On surfe parfois sur des relents poétiques sympathiques façon Said Bahij par les jeux de mots sur les noms d’artistes, jetés comme des cache-misère dans le monde des plus mal lotis. Certes, ce petit Charlie est attachant, jeune garçonnet dont le savoir s’acquiert à la force de ses petits bras, de ses expériences, on suit ses pérégrinations avec une certaine tendresse, mais ce récit tiède s’essouffle vite. Inégal et peu crédible (raconté par un enfant de soi-disant 10 ans très mature qui parlerait et réfléchirait à la fois comme un adulte mais se laisserait rattraper par des familiarités de bon aloi ou des approximations de son âge), il se répète à l’envi et manque de véritables « saignées ». [Laurence Biava]
1 Commentaire
Je suis pas du tout d’accord. C’est pas niais, c’est tendre. Et à 10 ans, ça dépend ce qu’on a vécu avant… mais on peut déjà être très mature. Bref, moi j’ai bien aimé.