Dans la famille des (nombreux) sujets du moment qui fâchent, demandons l’identité nationale. « Le débat sur l’identité nationale ». Oui, le fameux. Chacun n’hésite pas à prendre la parole pour réagir et tenter de donner sa définition de ce concept périlleux, sujet aux amalgames. Si Romain Gary disait à l’époque « Pas une seule goutte de sang français ne coule dans mes veines, seule la France coule en moi », le discours est un peu différent lorsqu’on parcourt les blogs des écrivains ou journaliste littéraire… Mais l’inspiration ne manque pas ! Après tout, la littérature est en quelque sorte « le visage d’un pays » disait Louis Aragon. Florilège :
Très impliqué, l’écrivain Mabrouck Rachedi a consacré de nombreux billets au sujet sur son blog « La nouvelle racaille française » hébergé par le journal Métro. Il a même écrit une petite nouvelle d’anticipation humoristique publiée dans le Courrier de l’Atlas où il imagine un training musclé pour les immigrés : « On leur impose des devoirs supplémentaires pour prouver leur attachement aux valeurs de la République. En plus du port obligatoire de l’indispensable béret basque, ils doivent apprendre par cœur l’intégrale de l’histoire de France par Alain Decaux, les dizaines de patois régionaux, les centaines de chants paillards bien de chez nous, les milliers de fromages et de vins, les centaines de milliers d’articles des Codes civil et pénal. A ceux qui s’accrochent malgré tout, on impose le visionnage en boucle des films de Christian Clavier, les sketchs de Michel Leeb, les chansons de Mireille Mathieu, la marche à cloche pied, le grand écart facial… Et puisque ça ne suffit pas, au bout de l’humiliation, on inflige la bourrée auvergnate sous les protestations de la ligue des droits de l’homme, impuissante. »
Il raconte aussi les ateliers d’écriture (« des armes de transmission massive ») qu’il donne dans les collèges et lycées des quartiers sensibles, avec des jeunes qui « vivent avec 400 mots » ou encore dans un billet assez poignant (« Nous sommes tous des Mustapha »), le racisme ordinaire en France, entre moqueries et contrôle d’identité musclés : « Je me prénomme Mabrouck, homonyme du chien de « 30 millions d’amis ». Je suis la cible des quolibets de mes camarades de classe mais ce n’est pas du racisme, juste des gamineries. En revanche, la maîtresse qui m’appelle Rachid « parce que c’est plus facile que mon drôle de nom » n’a pas 10 ans. Et quand l’année d’après un Rachid squatte les bancs de ma classe, elle me rebaptise Marc…« . En contrepoids, il rend aussi dans un billet « Enfant de France » un hommage à ceux et celles qui l’ont aidé de l’école à la bibliothèque en passant par un recruteur ou son éditeur… : « Quelques années plus tard, ma prof de français me glisse entre les mains « Le Père Goriot » de Balzac. Il n’est pas au programme. Vu mon intérêt croissant pour la lecture, elle suppose que l’histoire de ce Rastignac pourrait me plaire. J’ai dévoré le livre en un jour. J’ai écrit ma première fiction le lendemain. Cela s’appelait « Mektoub, le destin » qui deviendrait « Le Poids d’une âme » mon premier roman. Madame, vous avez su voir en un gamin de 15 ans une passion qu’il ne soupçonnait pas. C’est aussi à l’Ecole Républicaine que j’ai appris que Mabrouck Rachedi était l’égal de n’importe qui avec un stylo à la main. L’école française et ses professeurs ont contribué à m’élever et je les remercie. »
De son côté, le journaliste Frédéric Ferney (l’ancien présentateur de l’émission littéraire « Le bateau livre » sur France 5) et actuellement critique pour Le Point, se fend d’une « petite contribution un peu décousue au débat sur l’identité nationale« . Il considère que « la culture, en France, forme un lien plus solide que la religion, la peau ou le sang. Et d’ajouter : « Rien n’est plus éloigné de la tradition française que ce que les Américains appellent « l’ethnicité ». On peut devenir français si on le veut, d’où qu’on vienne.«
Pour lui c’est l’esprit de dissension et la vanité qui font le français. « (…) la vanité. Vous me direz: c’est humain. Vous me citerez Pascal: « La vanité est si ancrée dans le coeur de l’homme qu’un soldat, un goujat, un cuisinier un crocheteur se vante et veut avoir ses admirateurs, et les philosophes mêmes en veulent, et ceux qui écrivent contre veulent avoir la gloire d’avoir bien écrit, et ceux qui les lisent veulent avoir la gloire de les avoir lus, et moi qui écris ceci ai peut-être cette envie, et peut-être que ceux qui le liront… » (« Pensées », 627-150). Non, ce n’est pas humain, c’est français, la vanité – c’est une singularité nationale, comme le camembert ou le Gevrey-Chambertin.«
Avant de conclure en citant Bardamu: « La race, ce que t’appelles comme ça, c’est seulement ce grand ramassis de miteux dans mon genre, chassieux, puceux, transis, qui ont échoué ici poursuivis par la faim, la peste, les tumeurs et le froid, venus vaincus des quatre coins du monde. Ils ne pouvaient pas aller plus loin à cause de la mer. C’est ça, la France, et pis c’est ça, les Français« .
Enfin Gabriel Matzneff qui se surnomme « le métèque » du fait de ses origines russes, a aussi consacré une chronique un peu polémique sur son site avant que le sujet n’éclate officiellement à l’occasion des émeutes en banlieue de 2005. Il compare notamment la situation des émigrés russes, italiens… dans les années 20 avec l’immigration maghrébine et africaine et les difficultés d’intégration : « (…) Entre les deux guerres, c’est-à-dire dans les années 20 et 30, les étrangers qui émigrèrent en France, qu’ils fussent russes, ou italiens, ou arméniens, ou grecs, connurent, eux aussi, la misère, les logements insalubres, la xénophobie. A l’époque, il n’y avait ni les allocations familiales, ni la sécurité sociale, ni le RMI, ni le SMIG, et les conditions de vie étaient beaucoup plus difficiles qu’elles ne le sont aujourd’hui. »
« La question que je me pose est : pourquoi, contrairement aux adolescents d’origine italienne, ou russe, ou arménienne, ou grecque (pour ne rien dire des émigrations plus récentes, l’espagnole, la portugaise, l’asiatique), ces garçons d’origine africaine traînent-ils toute la journée, ne s’intéressent-ils à rien, s’ennuient, semblent n’avoir aucune curiosité intellectuelle, aucune soif d’apprendre, de s’instruire, de lire de beaux livres ? Mystère et boule de gomme.«
Il avance un début d’explication néanmoins : « (…) Lorsque j’étais enfant et adolescent, personne ne me parlait de la République, des valeurs républicaines, de l’engagement « citoyen ». Personne ne me parlait cet abstrait et ridicule charabia. On se bornait à me parler de la France et de l’amour de la France, c’était suffisant. Le baragouin idéologique et politiquement correct à la mode est si répugnant qu’il peut en effet donner aux plus pacifiques d’entre nous la soudaine envie de brûler des voitures. »
(On pense aussi à ce sujet au Arturo Bandini de John Fante, l’américain d’origine italienne qui tombe amoureux d’une américaine d’origine mexicaine (Demande à la poussière) : « Mais je suis pauvre et mon nom se termine par une voyelle, alors ils me haïssent, moi et mon père et le père de mon père, et ils n’aimeraient rien tant que de me faire la peau et m’humilier encore (…) ; alors quand je te traite de métèque ce n’est pas mon cœur qui parle mais cette vieille blessure qui m’élance encore, et j’ai honte de cette chose terrible que je t’ai faite, tu peux pas savoir. »)
Précédents buzz des blogs :
Colum McCann et National Book Award, fin de l’âge d’or de la littérature américaine, Cormac McCarthy au ciné, écrivains sponsorisés par Disney…
La nouvelle génération doit-elle écrire des livres écolo ?
« J’irai cracher sur vos blogs » : Quand les blogs fustigent les blogs…
6 Commentaires
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Bizarre Matzneff. Les jeunes africains ont subi la colonisation ou leurs parents, qui avaient dû apprendre Nos ancêtres les gaulois. Rien à voir avec les russes, dont les grandes familles parlaient toujours le français à la maison avec des nounous françaises et passaient leur vacances sur la côte d’azur. De plus, la plupart des russes qui venaient en France étaient des russes blancs. Ces deux groupes, africains et russes parlaient le français mais l’origine de cette culture française n’avait rien à voir, l’une avec l’autre. Quant aux portugais, italients, grecs, l’agressivité venait du fait qu’ils pouvaient prendre les emplois dans le bâtiment ou ailleurs des français de souche. Je ne pense pas que ces nationalités subissaient la xénophobie si les familles étaient fortunées, elles subissaient une forme de rejet car dans les années 30, on crevait de faim dans toute l’Europe, que les places étaient rares, que l’on se battait pour travailler, sans chômage, sans assurance. C’était une question de survie, et non pas de xénophobie. Après la guerre, n’oublions pas que l’Espagne était franquiste, que l’Italie sortait du faschisme, tout cela ne facilitait pas toujours l’intégration non plus, suivant les opinions des uns et des autres sur des questions politiques.
oui… le sujet est délicat, on va essayer de rester sur l’angle littéraire ici. Matzneff verse un peu ds les amalgames et les généralités mais il y a manifestement des différences d’intégration selon les origines, des différences d’histoire, de culture, l’héritage de la colonisation est-il l’explication ? Dans tous les cas, je pense qu’il faut chercher ce qui nous fédère plus que ce qui nous divise, et avancer.
Je complète le billet avec un article paru sur L’Express qui interroge Mabanckou et Miano :
Léonora Miano dit notamment au sujet de l’identité nationale :
"Il me dérange, comme d’ailleurs, le concept de nation, avec lequel je compose parce que je n’ai pas vraiment le choix. Je ne crois pas aux identités nationales. L’identité n’est pas un domaine administrable comme la santé ou l’éducation, qui peuvent, elles, être régies par des ministères.
Les individus sont le fruit d’éléments divers, n’ayant pas nécessairement à voir avec l’histoire d’un seul territoire. Ils sont, surtout à notre époque, attachés à des cultures et à des lieux différents. Je parle de mon identité comme frontalière, et définis la frontière comme le lieu où les mondes se touchent sans cesse."
http://www.lexpress.fr/culture/l...
Le problème, c’est que pour beaucoup, ce n’est pas la réponse qui pose problème, au fond. C’est la question. C’est la notion de "nation". Comme le mot "fraternité " raillé par les opposants à Ségolène Royal. Tout ce qui avait une valeur n’en a plus. Et toute récupération (voire réflexion) est dédiée à l’échec, aux railleries, aux parodies. Plus qu’avant, le "sérieux" d’une question est envisageable.
Pour revenir au mot "nation", Miano (et Mambouckou) ont un point de vue partial et individualiste sur la question, cette vision est relative, dans le temps, l’espace et la personne, et ne peut, en pratique (et en société, on n’est pas dans la théorie), être valable pour le collectif, envisagée par le mot. La "nation" pose problème parce que la volonté de vivre ensemble pose problème.
des nouvelles Nicolas rey http://www.youtube.com/Montanaan...
Modération : Merci d’éviter les hors sujets et de spammer des liens sans rapport avec l’article présenté.
Je réagissais à la phrase sur les garçons africains qui ne s’intéressent SOI-DISANT à rien, ne lisent pas. J’ai remarqué que les sénégalais par exemple ont un excellent français et une culture livresque assez remarquable. On lit si nos parent lisent, le plus souvent. Dans une maison sans livre, il est difficile de se mettre à lire. Les russes émigrés surtout les fils et filles de russes blancs ont pour la plupart des parents très cultivés. Je dirais même topo pour les tutsis, qui viennent d’une caste sociale haute au Rwanda. Donc parler des africains, qui ne lisent pas, c’est un peu rapide, surtout lorsque l’on voit la qualité de la collection Continents noirs chez Gallimard. Et je reste donc sous l’angle littéraire, il me semble! En Afrique du Nord, beaucoup de gens sont très érudits également et lisent énormément. Mais là encore, on remarque que c’est tout de même une question de classe sociale avant tout. Car il faut encore pouvoir avoir accès à la culture.
duel au sommet finki’/badi’…
bibliobs.nouvelobs.com/20…