Les journaux (et quelques blogs) ont déposé leurs fleurs pour Salinger, mort à l’âge de 91 ans ce 27 janvier 2010 dernier*.
Salinger, l’écrivain d’un seul roman, L’attrape-cœurs, The catcher in the rye en VO (le reste de son œuvre, recueil de nouvelles, Franny and Zooey en 1961, et Dressez haut la poutre maîtresse, charpentiers en 1963, restant relativement dans l’ombre, ainsi éclipsés) et surtout l’écrivain qui refusait toute médiatisation. L’écrivain, surnommé «le bernard-l’hermite de la littérature américaine», qui avait choisi, après quelques années de mondanité, de vivre en reclus dans le New Hampshire, alimentait tous les fantasmes auprès du lectorat et des journaliste, construisant ainsi « sa légende », « son mythe ».
L’écrivain qui refusait les interviews, les photos, les adaptations ciné de son œuvre, et pour finir même toute publication, préférant écrire pour lui-même, pour le pur plaisir d’écrire. « Il y a une tranquillité merveilleuse dans le fait de ne pas publier. (…) La publication est une terrifiante invasion de ma vie privée. J’aime écrire. J’adore écrire. Mais je n’écris que pour moi et mon bon plaisir. » (New-York Times, 1974)
Le refus de l’image par l’homme de mots, une grande sagesse probablement…
« Le seul souci d’un artiste doit être de tendre à la perfection selon l’idée qu’il s’en fait lui-même, et non selon l’idée que s’en font les autres. »
Une conception qui me rappelle celle du héros de « Tous les matins du monde » (de Pascal Quignard), le musicien Sainte Colombe qui préfère refuser les honneurs de la cour et jouer de sa viole seul, enfermé dans sa cabane, pour le seul plaisir de son art.
Aurait-il fait l’objet du même culte intergénérationnel s’il était resté sur le devant de la scène médiatique comme dans sa jeunesse ? Oui probablement mais son rejet de la société, inédit, aura sans doute encore ajouté à sa notoriété. Paradoxalement !
Dans la société du spectacle, c’est finalement le silence qui fait le plus parler… Salinger ne voulait pas avoir de visage autre que celui d’Holden ou de ses autres personnages. Et il avait bien raison !
Récemment, un autre auteur s’est fait également remarquer par son refus des photos ou des caméras : Antoni Casas Ros, surnommé « l’écrivain sans visage ». Un jeune écrivain d’origine hispanique (écrivant en français), défiguré par un accident de voiture (le thème de son premier roman : Le théorème d’Almodovar). Aussitôt les rumeurs les plus folles ont couru sur sa véritable identité. Des soupçons ont notamment pesé sur l’écrivain Enrique Vila Matas qui est allé jusqu’à publier une tribune dans El pais pour démentir et avouer au passage qu’il enviait l’anonymat physique de Ros : « En le lisant, je vois que je partage beaucoup de ses points de vue littéraires et que, surtout, je ne peux que l’envier, car Casas Ros est au fond ce que j’aurais aimé être : un écrivain français, sans image, et un amoureux, à distance, du «facteur» catalan. » puis il ajoute « (…) toujours rester caché, ce qui d’une certaine manière me semble enviable, car j’aimerais tant pouvoir cultiver la présence de mon absence pour, de la table rase, du degré zéro de la littérature me renforcer et profiter à fond de cette situation d’invisibilité qui permet de contempler les autres depuis un réalisme intérieur radical. » et en conclusion « S’il me posait la question, je lui dirais que, malgré tout, il ne laisse passer ni cette occasion fantastique, ni cette perspective pour sa littérature de noctambule solitaire et qu’il n’abandonne, sous aucun prétexte, sa « tour d’ivoire » cubiste. « Une fois dedans, jusqu’au cou », comme disait Céline. »
Dans un autre registre, celui de la chanson, Diams a aussi pris le parti de ne plus communiquer autrement que par les textes de ses morceaux. Au lieu de répondre aux questions des journalistes, elle s’invite sur les plateaux en ne pratiquant que son art, celui de rapper. Et de la même façon, cela n’altère en rien son succès et y contribue même en aiguisant d’autant plus la curiosité. Ne vouloir s’exprimer que par et pour son art…, un beau pied de nez au système ! [Alexandra pour Café livres/LExpress.fr]
* PS : on a jasé ces derniers jours sur le twitt de Bret Easton Ellis se réjouissant de la mort du grand homme en écrivant : « Yeah !! Thank God he’s finally dead. I’ve been waiting for this day for-fucking-ever. Party tonight!!! ». Je crois que prendre au premier degré ces propos est absolument ridicule, pour qui connaît un peu les romans de BEE, on sait combien l’auteur est friand d’humour noir et cynique… Et puis c’est sans doute aussi une façon de tuer le père pour celui dont on a tellement dit que ses héros teenagers étaient des descendants d’Holden…
A lire aussi : « Les livres ont un visage » (Jérôme Garcin) : pitié, non !
8 Commentaires
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Il a eu bien de la chance quand même ce Salinger. Vivre sur les droits d’un bouquin aussi vendu que L’attrape-coeur aux USA sans compter toutes les traductions de part le monde… Tu parles qu’il pouvait éviter de se mouiller en publiant de nouveaux bouquins *amis du cynisme, bonjour*
Je me demande un peu ce que vient faire Diam’s (mon Dieu, Diam’s !) dans un billet consacré aux auteurs sur un site voué à la littérature…
Quant à Bret Easton Ellis, son tweet est si maladroit qu’il en est odieux : je pense pour ma part qu’il est juste fou de joie à l’idée que les fameux manuscrits de Salinger soient publiés maintenant que leur illustre géniteur est décédé… (Enfin ça n’est que mon interprétation).
On sait que BEE est un grand provocateur c’est sa marque de fabrique, sa remarque est dc bien sûr à prendre au 3e degré. Il y a un côté « j’irai danser/cracher sur vos tombes » évident ds sa remarque.
Je le vois aussi comme une façon de « taquiner » post mortem ce vieil ours de Salinger tout en lui rendant un hommage à sa façon. Le pire aurait été l’indifférence.
Diams pr la démarche de rejet du système.
Beigbeder avait aussi essayé lors de sa promo de « Au secours, pardon » de refuser de faire des plateaux TV (vœux pieu).
Anna Gavalda avait aussi déclaré à un moment ne plus vouloir donner d’itws (vœux pieu également).
http://www.buzz-litteraire.com/i...
On sent un vrai malaise croissant dans la communication des auteurs en dehors de leur œuvre, avec tous les détournements que cela comporte, intrusion dans la vie privée…
J’ajoute pour ceux qui l’auraient loupé l’hommage de Jérôme Attal sur son journal en ligne très intéressant et qui évoque les autres livres de Salinger dont voici un extrait :
« Ma rencontre avec les textes de Salinger fut une terrible évidence (…) J’y ai trouvé brutalement en littérature l’attitude poétique qui était la mienne dans la vie – sans jeter ça dans l’écrit, encore – je veux parler du goût de l’absolu, du goût héroïque de sentiments qui nous dépassent dans des circonstances tout à fait banales, le confinement d’un appartement, l’ouverture des portes d’un bus sur quelqu’un qui nous plait. Des sentiments intolérables de lucidité dans des moments fugaces, voués à l’échec ou à la poésie en raison même de leur fugacité, parce que la plupart du temps on a déjà avalé l’orange avant d’avoir pensé à garder les belles épluchures dans sa poche.
J’ai été très marqué par Just before the war with the Eskimos, très marqué de lire dans Franny and Zooey ce que l’auteur avouait devoir à Francis Scott Fitzgerald parce que je comprenais exactement en quoi il le prolongeait, en quoi il apportait à Gatsby ses propres solutions, et comment il avait dû aimer le passage où le narrateur se retourne vers Gatsby et lui crie : They’re just a rotten crowd. Les commentateurs ont souvent parlé des perplexités ou des complexités de l’adolescence pour décrire le tempérament d’Holden Caulfield, au contraire je crois qu’il s’agit d’un coeur pur dans un monde particulièrement barré, du moins prolixe en ratures. »
A lire ici : http://pagesperso-orange.fr/jerome.attal/janvier2010.html
Merci pour ce billet sur la disparition de Salinger Alex. Il y a aussi cela http://www.slate.fr/story/16565/... et toujours le site Français où j’ai redéposé la (courte) vidéo "l’attrape-Salinger) et 2 papiers de Frédéric Beigbeder (Lire et Transfuge) écrits entre juin et déc 2007.
Je pense que c’est une stratégie à court-terme. C’est amusant ou intéressant lorsque le roman sort. Dans une société où il y a de moins en moins d’anonymat et de vie privée, c’est forcément captivant.
Mais à la longue, ça fini par lasser, car ça ressemble à du snobisme. Cf. dans un autre genre, les Daft Punk.
Quant à Diam’s (qu’est-ce qu’elle fout là?), si elle esquive les interviews, c’est pour éviter les questions sur son port du voile…
(marrant comme 3 lignes anecdotiques sur Diams occultent tt le reste, ici comme sur Facebook 🙂
Dans le même registre "comment devenir célèbre en disparaissant le plus possible" avez vous lu Hyrok, de Nikolai Lo Russo? Vertigineux et sublime roman tres eclairant sur notre monde du spectacle, -mais très sombre donc dépressifs s’abstenir!- Ce livre m’a marquée, j’ai de la peine à ne pas en parler quand l’occasion se présente, alors voila 😉