Géraldine est la célèbre créatrice du blog mode : Café mode, multi-récompensé, créé en 2005, passé sur LExpress.fr en 2007 tandis qu’elle rejoignait la rédaction web de l’hebdo début 2009 à la rubrique « Style ». Loin d’une « material girl » qui nous parlerait superficiellement « chiffon », cette trentenaire a su faire de son sujet une vraie réflexion culturelle, à la fois cinématographique, picturale (expos, voyages…), sociologique ou littéraire. Donnant un supplément d’âme aux images de papier glacé et aux tendances. Chacune de ses notes se lit comme une histoire où elle évoque, sur un ton personnel, décalé voire poétique, des sujets aussi variés que la hype (comme ce joli texte « J’aurais voulu être une fille cool« ) ou les backstages d’un défilé avec leur « nuée de grandes beautés blondes au cou de cygne »… Il y a quelque chose de Dorothy Parker croisé à Françoise Sagan dans sa façon d’écrire, une élégance avec un léger spleen associée à une grande modernité. Et surtout une justesse. « Un équilibre » dit-elle, qui lui a été inspiré, contre toute attente, par le style (« ternaire » et « bien structuré ») de Jean-Paul Dubois dans « Une vie française ». Lorsqu’on lui parle littérature, elle déplore manquer de temps et regrette sa jeunesse où elle dévorait livres et films d’art et d’essai lors des virées Fnac le we, avec ses parents, eux-mêmes grands lecteurs.
Elle a ainsi toujours cultivé une passion pour les bibliothèques : « Rampart isolant contre les agressions extérieures, invitation à l’échange pour les visiteurs, mur de contemplation de mes émotions passées. Les livres ont toujours été mon refuge préféré, à égalité avec les salles obscures. » écrivait-elle dans sa note intitulée « Un jour j’aurai une bibliothèque ». Elle nous révèle ce qu’abrite la sienne, très diversifiée… :
Quel est le livre qui t’a marqué enfant et/ou ado et qui t’a donné le goût de la lecture ?
Sans doute la série des Tintins avec laquelle j’ai appris à lire. Si je devais choisir un album en particulier ce serait « Tintin et le crabe aux pinces d’or » car il y a des illustrations sur une page entière. Je l’ai lu en version vintage. Il fait partie de ma mémoire ancienne, je ne l’ai jamais relu adulte. Je les lisais et relisais sans tout comprendre. C’est une lecture à plusieurs niveaux que je lisais au premier degré enfantin. Je trouve la polémique (colonialisme, racisme, ndlr) un peu ridicule même si elle a le mérite de poser le débat. Ces livres doivent être remis dans le contexte de l’époque.
Le livre qui t’a fait comprendre ce que le mot « littérature » veut dire (claque littéraire)…
Je me souviens en sixième que mon père m’a conseillé « Au bonheur des dames », je l’ai lu et même dévoré ! Et même encore aujourd’hui la magie d’Octave Mouret opère toujours. Il colle à la mode. Cette « machine à activer le désir de consommation » a une connotation très sensuelle qu’on ne décèle pas en sixième d’où l’intérêt de le relire adulte. J’adore la langue de Zola, il « sculptait la merde », et rendait beau ce que Paris a de plus sordide. Mon adoration de Paris vient de ses romans, les étages, les cours…
J’ai aussi grandi avec l’histoire de Gatsby (le magnifique), cet homme à la fortune douteuse qui, dans l’Amérique des années 20, essaie par tous les moyens de regagner le cœur d’une héritière inaccessible. Petite, l’intrigue me passait complètement au dessus de la tête, mais déjà les costumes et les fêtes grandioses du film me fascinaient. Plus tard, j’ai découvert Scott Fitzgerald. Ses phrases ciselées m’ont transpercée. Avec lui j’ai pénétré le monde cruel des très riches. J’ai vécu dans un crépuscule permanent. « Tendre est la nuit » est un de mes romans préférés. Il demeure très moderne : Kate Moss me semble très fitzgeraldienne par exemple !
Le livre que tu aimes lire et relire, sans jamais t’en lasser…
« La recherche » de Proust : Du côté de chez Swann jusqu’au Temps retrouvé. J’ai fait une prépa HEC que j’ai adorée, les années les plus riches de ma vie. On peut dire que c’est du bachotage mais des profs de culture gé ont semé plein de graines qui ont germé plus tard et ouvert ma curiosité. Ainsi, je l’ai lu plus tard vers 25 ou 26 ans. Je ne me force jamais à lire mais j’aime bien les pavés. Cela m’a pris 6 mois, j’aime bien prendre mon temps. Je suis tombée amoureuse de Paris, une vision de Paris, de la mode. Une façon de décrire une robe qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. C’est de la poésie en prose. Ses archétypes offrent une grille de lecture pour comprendre la société, parisienne plus particulièrement. Je relis des passages surtout. Le temps retrouvé c’est là où tout se structure (la cathédrale devient visible). Si je devais choisir un personnage ce serait Albertine.
L’auteur dont tu liras toujours tous les livres quoique il advienne…
J’avoue que je me laisse souvent tenter par le dernier Beigbeder ne serait ce que « pour me faire un avis ». Mais là j’avoue que le personnage commence à me lasser en particulier dans la provocation, il y a quelques limites. Il est un peu immature.
Le livre que tu n’as jamais pu finir…
Il y en a des tonnes. Je finis peu de livres. Je n’ai jamais réussi à rentrer dans un bouquin de Modiano (comme « Rue des Boutiques obscures »). J’y suis hermétique complètement.
Le livre que tu n’as pas encore lu et que tu veux absolument découvrir…
« Snob society » de Francis Dorléans et « Théorie du chiffon de Marc Lambron (depuis notre interview de décembre 2009, elle a lu ces deux ouvrages qu’elle commente en ces termes, sur le premier : « un savoureux ouvrage relatant les destins croisés d’une centaine de personnages célèbres ayant défrayé la chronique au cours du XXe siècle, où il dégomme la réputation de bon nombre personnalités » et sur le second : « Dans son livre, la conversation à laquelle se livrent une journaliste et le grand couturier Jean-Louis Beaujour roule sur nombre de sujets habituellement passés sous silence: la vénalité des actrices, la bêtise des fashionistas, l’hystérie de l’entourage du créateur, la névrose des clientes, le manque de liberté de la presse de mode…« ).
Le livre que tu recommandes le plus de bouche à oreille…
« The Beautiful Fall » (« Beautiful people » d’Alicia Drake) je le recommande à toutes les personnes qui s’intéressent à la mode. Il s’agit de la biographie croisée d’Yves Saint Laurent et de Karl Lagerfeld qui fait revivre toute l’époque des 70’s. Ca se lit comme un roman. Plongeant dans le passé foisonnant de fêtes et d’excès des deux frères ennemis, l’auteur s’est appliquée à en extraire la substantifique décadence. Crépusculaire jusque dans le titre original, le livre a quelque chose de Fitzgéraldien. Pour la version française, Drake a d’ailleurs ajouté en exergue une citation fort appropriée de l’auteur de Gatsby. Celle-ci synthétise à elle seule ce qui oppose fondamentalement les deux monstres sacrés : « Un succès prématuré forge une conception presque mystique du destin, par opposition à la force de la volonté – le pire exemple étant le délire napoléonien. L’homme qui réussit dans son jeune âge s’imagine qu’il exerce sa volonté parce que son étoile brille. L’homme qui s’affirme à trente ans a une idée équilibrée de la part qu’ont jouée respectivement la volonté et le destin. Celui qui réussit à quarante ans aura surtout tendance à insister sur la volonté seule« . C’est vraiment un chef d’œuvre.
Le livre dont tu aurais aimé être le héros/héroïne
« L’identification des schémas » de William Gibson. J’adore les livres pour s’évader qui prêtent à l’errance. J’aime les histoires qui me mettent dans un état de flottement, d’apesanteur. Les histoires qui me happent jusqu’à me déséquilibrer totalement, qui m’entrainent trop loin, qui m’égarent. Il n’y a plus de notion de temps. L’héroïne est en décalage horaire permanent, et nous avec. A Londres, à New York ou à Moscou, son âme est toujours loin derrière son corps engourdi. J’étais en voyage quand j’ai lu le livre. J’ai eu l’impression que pour la première fois, on me racontait une histoire du XXIème siècle. Une histoire qui parle de marketing et d’internet et de Google, et qui en même temps distille de la poésie dans MON univers urbain si facilement désincarné. Internet insuffle particulièrement cette impression de flottement. Plus de fermeture et d’horaires. Enfin, le métier de l’héroïne, Cayce Polard (« Cool hunter », chasseuse de tendances) fait fantasmer et fait écho à mon travail. Elle a cette indépendance d’esprit qui fait du bien. Je n’ai pas lu d’autres livres de Gibson trop SF et ancrés dans des mondes imaginaires tandis que celui-ci surfe sur le réel.
Le jeune auteur contemporain qui te semble incarner la nouvelle génération littéraire en France (et/ou à l’étranger)…
Il n’est pas spécialement jeune mais j’aime beaucoup Pierre Assouline, je trouve que c’est un excellent biographe (bio d’Henri Cartier Bresson notamment), il bâtit une œuvre. J’ai bien aimé aussi son roman « Les invités » qui m’a fait sourire. Son livre sur le tableau d’Ingre (« Le portrait », ndlr) m’avait également plu. Je pense aussi à « Papa est parti, Maman aussi » de Remo Forlani. C’est le genre de livres que tu lis en état de flottement : un héros perdu, largué, tu les accompagnes dans un moment de flottement.
Le livre que tu n’aurais jamais cru aimer / livre que tu ne voulais pas lire et pourtant…
« Voyage au bout de la nuit », j’ai mis du temps à l’ouvrir en raison de l’image antisémite de Céline. Et en fait je suis rentrée dedans, j’ai adoré la langue de Céline, j’ai compris pourquoi c’était un tel monument. Surprise que cela me plaise autant mais c’était trop dur. Sa noirceur s’enfonce dans le cerveau. J’en ai lu les trois quart mais je n’ai pas eu la force d’aller jusqu’au bout de la nuit justement…
Ton livre page-turner : le livre que tu as lu en une nuit, sans pouvoir décrocher…
Saga de Benacquista, tu flottes. L’histoire est déjantée, l’idée de faire une série pour la nuit, tu es dans un décalage, une autre dimension que ta réalité quotidienne. Cela me fait rêver. Un livre qui se dévore !
Le livre qui t’a fait pleurer… et le livre qui t’a fait honte
« L’élégance du hérisson » de Muriel Barbery. Je partais avec un préjugé. J’étais extrêmement surprise de ce succès. La langue n’est pas si facile, ampoulée même et pourtant j’aime bien la figure de la concierge (ma tante était concierge) ça renvoyait à une expérience familiale. Par contre, la fin est ratée, trop tire-larmes et invraisemblable.
Le livre qui t’a fait rire/redonné le moral (sorti d’une situation difficile)
Les livres d’Anna Galvada : j’aime bien son sens de la formule. Une bonne ambiance. C’est facile et bien écrit, il y a une fluidité dans le style. « Ensemble c’est tout » et « J’aimerais bien que quelqu’un m’attende quelque part ».
Merci Géraldine du temps accordé !
A lire aussi :
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1 Commentaire
"Je n’ai jamais réussi à rentrer dans un bouquin de Modiano". Ça fait plaisir de voir que je ne suis pas le seul !!