Les écrivains sur Facebook : une fausse bonne idée ?

Moins contraignant qu’un blog, la page Facebook est de plus en plus populaire chez les écrivains. Pourtant le dialogue instauré avec les lecteurs et le dévoilement de la vie privée peuvent parfois desservir ou fausser l’oeuvre de l’auteur. Entre pratique assidue et réticences, quelques écrivains ont analysé leur rapport au réseau social :

Suite au scandale autour de Yann Moix, Le Figaro a enquêté sur le phénomène en interrogeant divers écrivains. Si Frédéric Beigbeder a fermé sa page en dénonçant une « illusion de communion superficielle», Nicolas Fargues précise qu’il n’y est inscrit qu’en tant qu’observateur afin de «se nourrir de la vie des autres ». Dans son dernier livre, Le Roman de l’été, on se souvient qu’il il fustigeait d’ailleurs le réseau pour « l’indécence qu’il y a à se mettre en scène, à tenir au courant le monde entier qu’on vient d’aller pisser, à étaler des goûts artistiques faussement audacieux » (voir extrait).

Mais c’est surtout avec le dialogue sans barrière et immédiat qu’il instaure entre lecteurs et auteur que Facebook change vraiment la donne. Il y a ceux qui sont contre tel Éric Faye qui estime qu’ «un écrivain se dévalorise, se démonétise petit à petit, en s’exprimant trop en dehors de ses livres ». François Taillandier pointe le risque littéraire avec la substitution « à l’écriture qui tente de faire œuvre, une écriture de l’immédiat, du facile, du vite dit, comme les blogs». C’est pour cette raison que Jean-Marc Parisis (voir notre interview) en est absent, il explique : « La distance, la solitude sont essentielles à l’écrivain. Pour bien écrire, il faut écrire caché, c’est une façon de se respecter, mais aussi de respecter le lecteur. Si vous êtes accessible, sollicité, parasité, c’est foutu, vous ne donnez pas le meilleur au lecteur dans l’écriture. Ce que j’ai à dire au lecteur, je l’écris.»

Parmi les adeptes, Philippe Jaenada le consulte quotidiennement, afin de répondre aux messages « gentiment, rapidement, poliment« . Il confie apprécier « quelques phrases élogieuses sur ses romans« . « Les auteurs sont humains, ils ont un peu de vanité, besoin de se rassurer« . Éric Reinhardt a même engagé des correspondances avec certains de ses lecteurs, en privé. Pour lui, Facebook constitue une fenêtre ouverte sur des possibles : « Je me suis dit que par ce biais il pouvait encore m’arriver des choses, et c’est important pour un écrivain qu’il puisse arriver des choses. Cette idée-là en tout cas est importante, qui induit une attention particulière à ce qui se passe autour de soi.»

Serge Joncour, qui se définit comme un solitaire, y trouve aussi son compte en faisant connaissance par l’écrit tout en gardant ses distances. Il définit Facebook comme « une boîte aux lettres géante » ou encore « une constellation de petites fenêtres » qu’il aime « observer derrière son volet comme dans son village natal« . Il compare également le réseau virtiel à « un troquet ». « Il y a celui qui file s’asseoir au fond de la salle. Et d’autres qui disent bonjour à la cantonade, s’assoient au bar, causent avec tout le monde, font des blagues » image-t-il. Son confrère David Foenkinos, avec ses 4000 amis, aime ainsi lancer « des discussions dans tous les sens dans cet espace ludique« .

Nous avions interrogé également Serge Joncour ainsi qu’Ann Scott sur leur usage de Facebook, voici leurs réponses à nos 2 questions : « Pourquoi être présent sur Facebook » et « Quels sont les points positifs et négatifs ? » (propos recueillis par Laurence Biava) :

Réponses de Serge Joncour :
1. « Je suis sur Facebook parce que c’est moins violent que le téléphone. Pour le reste je suis un timide, un mutique, et surtout que je suis plus à l’aise avec l’écrit, le mail donc, Facebook est une forme de ré-actualisation de la boite mail, de l’écrit en somme. On peut s’écrire pendant des mois, et ne jamais se voir, ou se voir. En tant qu’auteur, Facebook s’ajoute ou se substitue plutôt au courrier. Je suis toujours rassuré, de recevoir un mot, une remarque, ou pour le moins sentir la marque que quelqu’un à l’autre bout a eu mon livre en main, l’a lu, en a pensé quelque chose. Facebook pour moi facilite ces intentions là. J’appartiens à des groupe, ça me permet de me tenir au courant. J’aime bien savoir ce que font les autres, alors, comme ça, en voyant passer les invitations, je me dis, tiens, ils sont là ce soir. Ils font ça. J’y vais parfois. Rarement. »

2. « Je ne connais rien qui ne présente pas autant d’avantages que d’inconvénients. Vivre, boire, fumer, aimer, Facebook, pareil. Le tout c’est de trouver le juste équilibre, ou de le perdre carrément, d’exagérer, et d’arrêter, et recommencer. Je suis pour les lignes de conduite souples. »

Réponses d’Ann Scott
1. « Je suis entièrement d’accord avec ce que dit Fred (Frédéric Beigbeder, ndlr). Je ne fais partie d’aucun groupe d’auteurs. Cela ne m’apporte rien en tant qu’auteur, si ce n’est qu’il y a une poignée de gens, disons une dizaine, pour lesquels j’ai une tendresse particulière – des gens avec lesquels la correspondance sur internet dure depuis plusieurs années ou d’autres que je ne connais que depuis peu – et que les jours où je ne suis pas motivée pour travailler, leur soutien est agréable, voire parfois précieux. On ne peut pas dire que cette page fonctionne pleinement, selon les critères de FB, dans la mesure où il y a trop de gens dessus que je ne connais pas pour y poster des choses réellement personnelles. il se peut qu’à la sortie du prochain roman, mon éditeur invite les gens à rejoindre un groupe et que cette page soit supprimée, ou réduite à seulement quelques proches comme c’était le cas avant d’accepter toutes les demandes. »

2. « Ce qui est certain, c’est que 99% des aspects de FB sont aberrants et que le seul moyen d’avoir une page et de ne pas le regretter est d’éviter d’en avoir un usage faussé… »

De son côté le chroniqueur et écrivain Patrick Besson publiait au Point une tribune au titre éloquent : « Hatebook » !
Il s’amuse à imaginer un réseau social d’ennemis. Une petite satire où il écrit par exemple : « Après quelques minutes d’attente, la réponse espérée arrive : oui, Patrick, je t’accepte comme ennemi, car je sens que nous allons être des ennemis viscéraux, profonds, absolus. Des ennemis de longue durée qui penseront souvent l’un à l’autre. Qui ne se laisseront jamais tomber, même pendant les moments faciles. Dès que l’un aura une petite joie, l’autre essaiera de la lui gâcher. Nous n’aurons aucun répit. Quand je mettrai la photo de ma nouvelle petite amie sur mon adresse Hatebook, tu t’empresseras de m’écrire qu’elle est moche. Tu te réjouiras des échecs de mes enfants à entrer en prépa à Louis-le-Grand, je me moquerai des matchs de tennis perdus par les tiens en Bretagne. »

Sources : http://www.lefigaro.fr/livres/2010/02/25/03005-20100225ARTFIG00002-facebook-le-nouvel-ami-des-ecrivains-.php
http://www.lepoint.fr/actualites-chroniques/2010-02-22/hatebook/989/0/425852