La littérature du XXIème siècle : Emmanuelle Pagano, François Beaune, Vincent Message, « Distinguer le vrai du réel »

A l’occasion de la remise de son prix « Opération manuscrits » (visant à aider de jeunes auteurs à trouver un éditeur), le magazine Technikart, via son journaliste littéraire Baptiste Liger, a animé un débat, lors du salon du livre 2010 à Paris, ayant pour thème « La littérature du XXIème siècle ». Ont été notamment analysés les styles littéraires fictionnels ou inspirés de la réalité (vécu autobiographique). Emmanuelle Pagano (« L’absence d’oiseaux d’eau »), François Beaune (« Un homme louche ») et Vincent Message (« Les veilleurs »), trois auteurs qui ont marqué l’actualité littéraire récente, se sont ainsi exprimés sur les genres littéraires, le dosage de réalité et de fiction qu’ils ont injecté respectivement dans leurs écrits et les difficutés pour ensuite le structurer. Compte-rendu :


Emmanuelle Pagano a écrit un roman épistolaire amoureux par défaut. Elle souhaitait au départ écrire un roman autobiographique avec un autre écrivain qui s’est désisté. Alors elle n’a gardé que la moitié du livre. Il n’y a donc que la voix de la narratrice complétée de fiction pour combler l’absence du partenaire qui lui a fait défaut. Un changement de cap qui lui posé des difficultés pour angler son récit.

Vincent Message a écrit les Veilleurs comme un thriller fantastique. Il voue une réelle fascination aux meurtriers. C’est un roman hybride, on est entre le réel et le domaine onirique. C’est un mélange de « haute littérature » et de « roman de gare ». Le choix cornélien de l’auteur voulait faire se côtoyer la littérature de classe et la littérature de genre. Message ne veut pas faire du mal à la littérature – comme cela semble lui être reproché-. Comme certains, dit-il, qui mettent dans des tiroirs tous les genres qu’elle contient. L’auteur s’est laissé la liberté de mélanger ces fameux genres sans l’avoir formellement décidé au préalable.

François Beaune a voulu raconter, par le biais du roman, les petits métiers méconnus, planqués, ceux qu’il a exercés avant de devenir écrivain. Comme il le dit lui-même c’est un roman ancré dans un type assez lointain de réalisme. Il a écrit son roman comme on tient un journal de bord. Il y a Dugommier et ses aventures plutôt très ordinaires, son quotidien. Avec ce concept qu’il qualifie de « fumeux », Beaune se veut l’inventeur d’un sous-réalisme, par sa manière narrative de biaiser le quotidien, pour en révéler les cotés les plus âpres Ce sont des limbes de réalité, inspirés de dossiers sociaux louches, l’auteur a pratiqué des découpages, et a mis en scène des éléments réels pour les « documentariser ».

Emmanuelle Pagano travaille avec des bouts de réel qui apparaissent et qui s’assemblent de façon à obtenir de la fiction. Elle tient à marquer la différence entre le VRAI et le REEL. Elle pense que sa vie n’intéresse pas le lecteur et que celui-ci n’a pas à la connaître. Elle sait que les lecteurs pensent effleurer sa vie en lisant ses romans mais ils se trompent : elle ne racontera jamais sa vie, elle ne travaille que sur le réel, pas sur le Vrai.

Vincent Message veut à la fois créer le réel et un monde fantasmé : ce qui explique que son roman contient 2 plans : un plan onirique qui lui fait raconter ses rêves et trace une vie parallèle. Il pense que la place de l’imaginaire est aujourd’hui dénigrée (crime, folie, rêve). Paradoxalement, il veut créer des réalités qui rappellent la nôtre. Entre les deux, il y a une distance presque synthétique. Il a voulu parler d’un pays où les différentes populations ne s’entendent plus, où chacun a la conscience d’un dormeur. Il pense que l’intérêt de la littérature est de prendre de la distance pour restituer au plus près le condensé des univers parallèles. Pour écrire, il s’est inspiré des voyages baroques des XVIIe et XVIIIe siècles.


Vincent Message auteur d’un premier roman « Les veilleurs »

Emmanuelle Pagano ne travaille pas forcément le genre. Ce qui l’importe, c’est l’ellipse afin de donner un souffle étourdissant à son histoire. Elle a voulu, là, précisément, créer un personnage masculin qui ait une consistance et l’a «travaillé à l’extrême».

François Beaune a aussi choisi de faire disparaître son narrateur pendant 25 ans et pour ce faire, a utilisé le « je » fictionnel. L’auteur est très attaché à l’ellipse. Il a fait en sorte de provoquer l’empathie autour de son personnage, il a voulu qu’on l’entende penser, et qu’on essaye de résoudre avec lui les énigmes, qu’on se sente en osmose avec lui.

Les auteurs face au numérique
Vincent Message entretient un rapport d’usager à l’égard du net, qui change le lien au monde environnant. C’est un espace infini de rencontres et d’intérêts. Emmanuelle Pagano loue le coté très libre et très ouvert du net mais a été obligé de fermer son blog et son site pour écrire son roman, par rapport à ses élèves. François Beaune utilise le web à des fins purement matérielles. Il est très intéressé par les actus et le quotidien. Ou bien il écrit des nouvelles à partir de celles –ci, ou bien il réalise un « scrapbooking »-littéraire qu’il met en scène en le « documentarisant » (découpages, collages) sur son blogspot. [Propos recueillis par Laurence Biava, photos d’Anne-Laure Bovéron]

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