Michel Houellebecq préface la version poche du Roman français de Frédéric Beigbeder

Alors que tout le milieu littéraire bruisse en attendant la sortie du nouveau roman très attendu de Michel Houellebecq (qui met justement en scène Frédéric Beigbeder), « La carte et le territoire », en cette rentrée de septembre 2010, on peut commencer par lire la préface que l’auteur a rédigé pour ce dernier à l’occasion de la sortie poche, le 25 août, d« Un roman français », prix Renaudot 2009. Si notre critique comparait, en 2009, cette autobiographie aux Mots de Sartre, il est également tentant de la rapprocher du portrait que dressait le préfacier de sa propre enfance, de ses parents et de cette génération française soixante-huitarde dans Les particules élémentaires :

Dans leurs livres respectifs, Michel Houellebecq né en 1958 et Frédéric Beigbeder né en 1965, nous dressent chacun à leur façon leur vision d’une certaine époque, d’un milieu (intello-hippie pour le premier et bourgeois/noblesse désargentée pour le second), de leur généalogie et d’une certaine France d’avant et d’après guerre.
Tous deux enfants du divorce, ils n’ont pas pour autant la même image de leurs parents respectifs. Alors que Michel Houellebecq exprime la haine ressentie pour sa mère démissionnaire et égoïste, Frédéric Beigbeder voue au contraire une reconnaissance et un amour inconditionnel pour cette femme affectueuse qui a su prendre soin de lui tout en « trimant jour et nuit sur des traductions de romans à l’eau de rose payées des clopinettes« .
Pour l’auteur de 99 francs, c’est plutôt la figure du père, parce que distante, absente, fuyante qui le hante et domine. Et par ricochet (le ricochet, qui sert à « braver la pesanteur », clôture d’ailleurs le roman dans une belle scène avec sa fille) celle de son frère, père de substitution, qui le marque, qu’il admire et occupe le devant de la scène de son ouvrage.
Un père mondain et fêtard qui le fascine et qui a lui donné le goût de la nuit et des femmes. Un père qui incarne le goût de l’interdit, de l’aventure tandis que sa mère est la figure de l’ordre, de la stabilité, de la routine scolaire…
Il est amusant de comparer aussi leur évocation respective de l’enfance, un paradis perdu, « une éternité brève », pour Houellebecq (« Bien des années plus tard, lorsqu’il serait devenu un quadragénaire désabusé et aigri, il reverrait cette image : lui-même, âgé de 4 ans, pédalant de toutes ses forces sur son tricycle à travers le corridor obscur, jusqu’à l’ouverture lumineuse du balcon. C’est probablement à ces moments qu’il avait connu son maximum de bonheur terrestre. ») et une « lente période d’obéissance » pour Beigbeder (qui se dit d’ailleurs quasi amnésique de cette période de sa vie). Beigbeder estime aussi que « les nostalgiques de l’enfance sont des gens qui regrettent l’époque où l’on s’occupait d’eux« .
Loin d’idéaliser cet âge tendre comme le fait Houellebecq, il résume l’enfant à « un paquet que l’on nourrit, transporte et couche« .

En revanche, alors que Beigbeder s’épanouit dans son rôle de père et livre quelques pages -qui pourront être jugées émouvantes ou parfaitement mièvres selon les sensibilités…-, où il exprime l’amour pour sa fille et leur complicité, Houellebecq racontait dans une scène restée mythique des Particules élémentaires comment son héro Bruno, ne supportant plus les pleurs de son bébé, bourrait son biberons de somnifères pour pouvoir être tranquille devant le minitel rose… Il allait même jusqu’à renier la possibilité d’un amour paternel : « En réalité jamais les pères ne se sont intéressés à leurs enfants, jamais ils n’ont éprouvé d’amour pour eux, et plus généralement les hommes sont incapable d’éprouver de l’amour, c’est un sentiment qui leur est totalement étranger. Ce qu’ils connaissent c’est le désir, le désir sexuel à l’état brut et la compétition entre mâles. ».

Au jeu des comparaisons on remarque aussi que les deux écrivains ont tous deux subi des échecs amoureux très jeunes. Beigbeder lui consacre un chapitre au titre explicite : « Le râteau originel ». A l’image de Bruno, le héros des particules élémentaires qui enchaîne les rejets des femmes, il se dépeint comme un « squelette ébouriffé, aux membres désordonnés, clown malingre aux incisives cassées par une bataille de marrons à Bagatelle, les genoux rugueux de croûtes violettes, le nez qui pelait, le dernier gadget de Pif à la main » qui répugnait les filles. On savourera au passage la scène de la boum où le jeune Frédéric a connu son premier baiser avec appareils dentaires intégré. « J’ai découvert (…) ce que serait mon adolescence : une litanie d’amours muettes, un mélange de douleur exacerbée, de désir dispersé, d’insatisfaction masquée, de timidité absolue, une suite de déceptions silencieuses, une collection de coups de foudre non réciproques, de malentendus, de rougissements intempestifs et vains. »
Ici on repense à Michel, frère de Bruno dans les Particules élémentaire, l’autre face de la même médaille, le timide romantique et introverti, incapable d’exprimer ses sentiments à la belle Annabelle.
En bon ex pubeux, on n’échappe pas malheureusement au tic agaçant du name dropping des marques de son enfance (de Mako moulages aux pastilles Pez… ; on notera au passage une référence commune aux deux écrivains dans leur enfance : le magazine Pif Gadget et les romans de science fiction), ni à sa tendance à la mégalomanie avec le récit de ses héroïques ascendants, de son arrière grand-père « mort pour la France » à ses grands parents héros de la résistance en passant par son père qui a été le premier à importer le métier de chasseur de têtes en France et qui a vu défiler le tout Paris dans son salon…

Dans sa préface d’Un roman français, Michel Houellebecq ne souligne pas ses analogies mais ce qui l’a plus particulièrement marqué, au delà de l’analyse de mœurs, et qui pourrait aussi s’appliquer à son œuvre :
« A l’adolescence tout change, les souvenirs affluent, mais ce sont deux choses au fond, et deux choses surtout, qui surnagent, pour l’auteur, dans le souvenir : les filles qu’il a aimées, les livres qu’il a lus. Est-ce que c’est cela uniquement la vie et ce qui en demeure ? Il semble bien que oui« .

Il réagit aussi sur l’évocation de l’enfance, thème qui lui est cher :
« Dans cet épisode délinquant [celui de la garde à vue, prétexte narratif de l’autobiographie], quelque chose ne va pas : l’enfant ne se reconnaît pas dans l’adulte qu’il est devenu. Et, là aussi c’est probablement la vérité : l’enfant n’est pas le père de l’homme. Il y a l’enfant, il y a l’homme ; et, entre les deux, il n’existe aucun rapport. C’est une conclusion inconfortable, embarrassante : on aimerait qu’au centre de la personnalité humaine il y ait une certaine unité ; c’est une idée dont on peine à se détacher ; on aimerait pouvoir faire le lien.
Le lien, on le fait par contre d’emblée, dans les pages que l’auteur consacre à sa fille, sans doute les plus belles du livre.
 »

Pour commander « Un roman français » en livre de poche.

2 Commentaires

  1. Bonjour.
    Voir le lien pour une critique du dernier roman de Houellebecq.
    Cordialement.

  2. Modération : Merci de réserver cet espace aux commentaires de l’article ci-dessus.

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