Les années passent et Virginie Despentes à 41 ans ne perd rien de son énergie, fidèle à son univers dit trash, déjanté voire explosif ! Depuis le succès tonitruant de Baise-moi en 1993, l’auteur expatriée à Barcelone et récemment revenue à Paris, n’a eu de cesse d’inventer des héroïnes aussi sulfureuses que révoltées dans un monde misogyne et violent, des personnages à la dérive, extrémistes, prêts à tout pour s’en sortir… Deux ans après son essai féministe « King Kong théorie », pavé dans la mare qui a agité le débat et la fin du tournage de l’adaptation de son roman « Bye bye blondie », elle revient avec un titre qui révèle sa vision toujours aussi aiguisée et noire de notre société. Se disant inspirée par sa lecture de Roberto Bolano, l’auteur nous livre un thriller foisonnant en forme de road book, entre Paris et Barcelone, brodant toujours autour de ses thèmes phare : l’adolescence rebelle et fugueuse, la féminité, les ratés, les clivages sociaux, la sexualité aussi bien homo qu’hétéro…, mais aussi nouveautés les réseaux sociaux ou le milieu littéraire qu’elle brocarde allègrement… Mais quelques longueurs et caricatures homo-féministes nuisent au roman :
Valentine, gosse de riches paumée exècre son entourage jusqu’à en battre ses proches. Ceci n’est rien à côté de sa disparition « depuis 15 jours ». Lucie, qui devait la filer, la quarantaine aigrie, détective de son état, la perd de vue, se fait sermonner mal assurée, et se retranche, faisant profil bas face à la Hyène, outrecuidance lesbish, virile androgyne, personnage magnifiquement goûté et fortement déluré. Les deux acolytes partent en quête de la petite de 15 ans, fortement extravertie, exacerbée et en souffrance. Un vrai scénar de polar est alors orchestré : il s’agit de battre en brèche les méandres de la désobéissance civile et familiale, voire culturelle, de comprendre et d’observer les contours de la disparition, de ressasser l’histoire des familles.
Et ce, à travers une galerie de personnages : François, père absent notoire, pas trop déchiré en apparence par l’absence de sa fille, la grand-mère insupportable, qui a diligenté l’enquête, moquant son propre fils, et quelques convenues épouses et maîtresses du séducteur repu, dont l’étoile et le destin littéraire n’ont cessé de perdre de son éclat, qui vont venir confesser et témoigner du pourquoi du comment, comme si elles étaient à la barre. Sont appelées Anna, Claire, la dernière « recrue ». Puis la mère de Valentine qui s’est barré quand elle avait un an. Avant le sursaut final…On n’en dira pas davantage par respect pour l’histoire ambitieuse de Despentes.
Tous ses protagonistes, surgissant les uns à la suite des autres, brossent inévitablement une satire sociale. On devrait dire les satires sociales tant de choses se répondent en écho dans ce roman. Despentes caste, casse, méprise, démontre. C’est fort, bien senti, bien pesé. Disons le tout de go : le système bourgeois en prend, une fois encore, plein la gueule ! Despentes le démonte au point de lui mettre carrément la tête sous l’eau. Gosses de riches, beaux quartiers, enfants de divorcés, crasseux, publicistes, le système média, relations parents-enfants, quels que soient les préludes aux écueils de la vie, le message est clair, tout finit par s’effondrer, par capituler : l’histoire des familles, de toutes les familles, les solitudes qui en découlent, le feu intérieur qui sursoit dans la crainte de l’échec, de voir votre destin vous abandonner, les tangentes des microcosmes familiaux, tout cela est magnifiquement mis en exergue et l’on n’est guère étonné de s’avouer que Despentes a bien saisi son époque : « On ne repère aucun tyran, …ni l’habituelle crânerie des petits parisiens riches. Et je les trouve calmes, quand ils parlent de Valentine…Ceux là sont résignés à ne pas faire vraiment partie de l’élite. Ils sont entre défaillants. Ils n’ont pas l’ivresse juvénile de leurs homologues de Neuilly : ils savent déjà ce que rater veut dire. Ils ont tous lus dans le regard de leurs parents la déception de devoir les inscrire dans une école spéciale, pour enfants qui ne savent pas apprendre » ou bien : « …me suis un peu renseignée, ils magouillent leur connerie, dans leur coin…. c’est plutôt des branleurs, je crois. Des gosses de riches, qui aimeraient être fils de prolos. Cela devrait leur passer dès qu’ils intégreront l’entreprise à papa. ».
On savoure de plus, une peinture fabuleusement ressentie de la banlieue nihiliste, de la banlieue lycéenne, qui rejoint parfois la tonalité des démonstrations du milieu précédent. Yacine, cousin de Valentine, prétend ainsi qu’en dépit du milieu différent, – comprendre moins « élevé » – dont il est issu, il s’estime cent fois plus heureux qu’elle. C’est tranché dans le vif, sensible.
Autre force du roman, la loupe pointée sur l’échec de la séduction masculine illustrée par le personnage de François à qui sa fille échappe mais à qui surtout le succès échappe. Des petits romans qui disparaîtront, sans grande aura, finiront forcément par sortir du cercle des écrivains apparus. L’infidélité est montrée du doigt. Despentes ne casse pas franchement les hommes comme elle pourrit la réputation des chiennes hétérocentrées mais elle les ridiculise : elle leur dit que la rédemption littéraire n’est pas pour demain. Et c’est tout le milieu de l’édition et des écrivains farouchement masculins qu’elle exècre qui en prennent pour leur grade. » En tête de sa liste du pire, elle placerait les écrivains. Elle connait, elle a donné. Ce qui est offert d’une main aimable est repris au centuple de l’autre, la main rapace, fouilleuse et sans scrupules… »Cela ressemblerait-il à un franc règlement de comptes ? Au passage, les réseaux sociaux « Face de plouc » s’en sortent indirectement bien ! Pas de critique farouche à leur endroit, juste des pointes ironiques. Car l’enquête des deux compères finit finalement par avancer dès que les images et photographies de Valentine sont retrouvées grâce à sa page Facebook.
On déplorera en revanche les passages inutiles, trop longs, trop détaillés sur les vies de chacun : le personnage de Claire par exemple est étiré à l’infini, il était possible de gommer 10 pages sans souffrance pour le lecteur et sa compréhension, cela est vrai aussi pour le chapitre consacré à Vanessa : l’auteur se répand à outrance, comme pour se justifier. Au début d’ailleurs (p55), le phrasé est lourd, tarabiscoté, les phrases sont pesantes avec un usage excessif de pronoms relatifs et de circonvolutions. Le rythme est là, vertigineux, emballant, pourtant quelques lourdeurs de style auraient pu être soustraites, et avec d’autant plus de facilité que la langue est très actuelle. Une scène inutile : la séance de photographie avec les gens de « la Reppublica » qu’il faut vite oublier, franchement de trop !
Plus grave, son caricatural et exécrable néo-féminisme stupide et harnaché punk contre les hommes coupables de tous les maux, façon Peggy Sastre. « (…) Mais non, c’est des hétéros, elles ont l’habitude d’être traitées comme des chiennes, elles trouvent cela normal… Même si elles ne s’en rendent pas compte, ça allume une faible lueur d’utopie, dans leurs pauvre petites têtes asphyxiées par la beauferie hétérocentrée« Les femmes ne sont pas mieux loties, traitées comme des pétasses ou des salopes, de la viande à l’état pur, reniflées comme des animaux. On notera au passage qu’un jeune homme, mis au sol par la Hyène, ne se voit pas traité, en toute logique de salaud, mais de « connasse ». Emerge alors un sentiment irrésistible de bisexualité proprement refoulé ou complaisant. A moins qu’il ne s’agisse d’asexualité. Bref, ce no limit sexuel, assez étrange, cru, empreint de forte animalité, est déplaisant à la lecture. Le discours selon lequel le salut de la femme et sa jouissance passent par les homosexuelles est indigeste comme cette partouze grotesque de femmes affairées entre elles. Tout le monde n’est pas comme Despentes : une Hyène de garde !
Enfin, la fin du roman paraît réellement invraisemblable. Échappant à toute cohérence, Despentes déraille, comme si elle ne pouvait plus s’empêcher d’écrire, dépassée par son imaginaire. Les protagonistes sortent-ils du roman ? Les 50 dernières pages sont ratées. On peut se demander si cette fin loufoque ne justifie pas à elle seul ce tire idiot (oui, « Apocalypse bébé », n’est pas un bon titre : il ne signifie rien !).
« Apocalypse bébé » n’en reste pas moins un road book décapant, entraînant, parfaitement maîtrisé. Le tout servi par une écriture volubile, une narration très détaillée, des dialogues percutants et réparties « cash ». Mais surtout et c’est assez nouveau chez elle, une vraie élégance quasi lyrique (« Ils s’étaient immobilisés, enlacés, en sueur, étonnés, sur le seuil d’un gouffre, ils s’étaient regardés en se demandant ce qui se passait. Surpris par la violence de ce qu’ils ouvraient. Pas la brutalité courante, à base de petites beignes, et de sodomie brutale. Pas ce genre. C’était muet, et indicible. Un chemin magnétique, impossible de s’en écarter. Et il la voyait, à ce moment là, transfigurée. Une Vierge Noire. En son centre, un noyau rouge ardent, se déployait pour l’engloutir. Un coup de poing invisible, d’une force phénoménale, le propulsait dans des ténèbres pleines de bruissements. Ils évoluaient dans une intense moiteur, jungle obscure et surchargée… » ou bien, plus inattendu : « Leur ravissement idiot de bébés tortues gambadant gauchement sur le sable, convaincus qu’ils atteindront la mer, sous un ciel de rapaces sournois »).
Il contient ce que Despentes a de meilleur : sa faculté de rebondir, de persister, avec rigueur, vigueur, et le lecteur n’est jamais lassé, tant et si bien que son histoire à tiroirs, avec de nombreux protagonistes, apparaît avant tout généreuse, altruiste. Un sentiment d’altérité, sans la confusion contemporaine qui règne dans certains autres romans, éclate dans ce récit de Despentes, très moderne, avec ses voix et secousses d’aujourd’hui, ce qui en justifie le brio et en amenuise la critique. [Laurence Biava]
9 Commentaires
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J’ai entendu une interview de Virginie Despentes sur Radio Nova. Son livre a l’air racoleur: du sexe, de la drogue, de l’homosexualité féminine, de la misandrie à la tonne, encore du sexe, encore de la drogue… Ca m’a l’air assez creux.
J’aime bien Virginie Despentes mais il faut que reconnaître qu’elle se plait à créer des univers atypiques, violents, sexuels, très particuliers. Ce n’est cependant qu’un cadre pour exprimer, comme vous le dites bien dans cet article, des émotions, pour dépeindre des gens qui perdent le fil, le contrôle ou qui sont confrontés à une réalité dure, violente, brute.
Je viens de le terminer et je dois avouer que ça m’a collé une vraie claque. J’avais décroché de Despentes après les chiennes savantes et là, j’ai découvert une vraie auteure. Avec un style fort. Un livre dense. S’en tenir aux seules scènes de sexe (pas si nombreuses que ça au final) serait une grossière erreur. Ce bouquin est une p…. de bombe. Lisez-le.
c’est vrai que la fin est nulle à chier alors que jusqu’à la partouze
foirée, faut dire, le bouquin se laisse lire car la virginie a toujours son bon style, mais ça craint trop, ça veut plus rien dire, tu sens la désinspiration totale au bout du livre, m’enfin c’est toujours 1000 fois mieux qu’ A Nothomb.
LIRE dans le dernier TRANSFUGE d’octobre 2010 le papier excellent et particulièrement bien écrit de YANN MOIX "pourquoi je n’aime pas Virginie Despentes". Après cela, il n’y a carrément plus rien à rajouter tant elle est habillée pour l’hiver. (avec son tee-shirt…)
Oui, j’ai lu je dernier transfuge et les propos de Yann Moix : Sans commentaire sur cette demie page car face à du vide il n’y a rien à dire si ce n’est qu’il a sans doute besoin de faire parler de lui alors c’est fait et passons à autre chose .
Oui, j’ai lu aussi le dernier Despentes ainsi que les autres. Oui, j’ai vu « Baise moi » et j’ai lu les réactions outrées des grenouilles de bénitiers. J’ai profondément aimé Apocalypse Bébé et ses passages de haute voltige toujours maitrisés. J’ai reconnu la femme en tant que telle et l’homme perdu à ses cotés dans King Kong théorie. Despentes c’est la fragilité personnifiée, c’est la sensibilité à fleur de peau et c’est sans doute le prochain Goncourt si ces Messieurs ouvrent enfin un temps soit peu les yeux sur l’homme avec un H.
Ben moi, j’ai decouvert Virginie Despentes en lisant Apocalypse Bébé, et je croit que je suis tomber en amour…
Je viens de terminer la lecture de ce livre. Assez déçu. On va jusqu’au bout de l’histoire avec intérêt mais plus à la manière d’un thriller que d’un grand roman. Les caractères sont trop caricaturaux et la satire trop superficielle pour vous "remuer" un peu les tripes littéraires. Les thèmes pourraient être dérangeants mais tombent à plat car on n’est pas attaché aux personnages du roman. La famille bourgeoise est désincarnée et de ce fait la satire ne fonctionne pas. L’homosexualité est traité de manière assez sectaire (les homos vu par les homos) et finalement anecdotique. Passons sur la "misandrie" peu dérangeante à la longue car permanente et très "cliché". En bref j’ai le sentiment d’avoir lu un long script (de cinéma) plutôt qu’un roman abouti. Pour le positif je voie le rythme (on ne s’ennuie pas) et quelques jolie formules sans fioriture pour le style. Avec un sujet assez similaire j’avais adoré "La physique des catastrophes" de Marisha Pessl.
Je suis assez effarée par la bassesse des critique (notament faite par des femmes) quant à cet ouvrage… Il semblerait que Despentes ait touché juste!Les hétéro trouvent la remise en cause de l’échec de leur modèle "indigeste" et "grotesque" (dixit Laurence Biava). Pour une fois qu’une auteure de qualité renvoie la balle au discours dominant qui ne cesse de nous bombarder avec ses modèles genrés dépassés sans jamais les remettre en question! Cette voix est si précieuse dans cette France anti féministe
Merci Virginie
I just KIFFE you
cahierdeterrain.blogspot….