Sexe, millions de dollars, trahison, scandale…, l’histoire de la création et du créateur (Mark Zuckerberg) de Facebook réunit tous les ingrédients d’une histoire palpitante, quasi Shakespearienne version 21e siècle! Nick Mc Donnel en 2008 l’avait d’ailleurs déjà esquissé dans « Guerre à Harvard » en évoquant son ex camarade de promo. Ben Mezrich, auteur de livres documentaires (dont l’un déjà adapté sous le titre de « Las Vegas 21 »), s’en ait aussi saisi pour tenter de retracer cette épopée et dessiner le portrait de l’intrigant étudiant. Adapté par Fincher, le film sera à l’affiche le 13 octobre 2010. Entre campus, geek et business novel… « La revanche d’un solitaire » (« The accidental billionnaire en VO) nous entraîne dans les coulisses de cette aventure incroyable qui sait se faire haletante dans ses rivalités et rebondissements. Et nous dévoile au passage les univers d’Harvard jusqu’à la Silicon Valley… Un récit intéressant qui suscite quelques réflexions sur le nouveau rêve américain. Le principal interessé revenait en novembre 2014 sur le film inspiré par le livre dans un échange organisé (Questions/Réponses, à la 22e mns) à son siège social californien, estimant avoir été blessé par certaines de ses « inventions » utilisées pour pallier le manque de glamour « de juste écrire du code » et « d’aider le monde à rester connectés avec les gens qu’ils aiment« .
Tout commence au sein de la prestigieuse université Harvard. Zuckerberg y est alors un étudiant effacé, un « no (sex) life »… Avec ses tongs et son sweat à capuche, il est abonné aux clubs de geeks et ne s’épanouit que derrière son écran d’ordinateur où il invente régulièrement de nouveaux programmes. Jusqu’au jour où il est contacté par deux des stars du campus, les fameux jumeaux Winklevoss, qui lui proposent de participer à leur projet de réseau communautaire universitaire. Zuckerberg accepte mais finalement leur fait faux bond et lance son propre site sur la même idée. La suite est connue : les deux frères scandalisés vont attaquer par tous moyens le jeune malin. Financé par son ami Eduardo Savarin, le petit génie ne cesse de voir la notoriété de son bébé « The facebook » grandir et dépasser toutes les frontières jusqu’à atteindre le million d’utilisateurs. De sa modeste chambre d’étudiant jusqu’aux bureaux rutilants de la Silicon Valley, les amitiés/accords se font et se défont au gré de procès retentissants et des millions de dollars qui pleuvent…
Harvard, la culture du réseau : Bienvenue au club !
La saga Facebook prend donc racine au sein d’Harvard et ce n’est pas un hasard : plus qu’un simple lieu de gestation, la sacro-sainte université en est aussi l’inspiratrice directe. En effet, le site en est le fidèle reflet. Et plus particulièrement de son organisation intestine fondée sur les clubs. Au début du livre, Zuckerberg et son acolyte Savarin cherchent à intégrer l’un d’eux réservé à l’élite, le Phoenix. L’auteur décrit également les autres clubs qui façonnent la vie sur le campus et qui sont déterminants pour le statut actuel et futur des élèves. Sur le même principe, les fraternités et sororités sont aussi des passages obligés pour les étudiants. Cette culture du réseau, très américaine, n’existe que peu en France même si elle tend à se développer. Le livre démontre ainsi que Facebook en est le prolongement natif et naturel tout en le démocratisant. L’appartenance à un « club » est la clé de voute du système. On notera d’ailleurs la coïncidence pour le réalisateur Fincher qui vient d’adapter le roman (« The social network ») d’avoir précédemment adapté « Fight Club », club d’un autre genre… : on y revient toujours !
«C’était un outil inouï pour lubrifier les rapports sociaux. Tout allait beaucoup plus vite. »
Facebook transposition virtuelle de la vie sociale universitaire
Les raisons d’un succès
Le génie de Facebook a donc été de transposer ce système sur Internet : « l’essence même de l’expérience sociale universitaire : ce qui poussait les étudiants à fréquenter des boîtes, des bars, à se rendre en cours ou au réfectoire : rencontrer des gens, faire connaissance, parler, échanger… En vérité, le révélateur de tout cela, le moteur pétaradant derrière tout réseau social, était aussi simple et basique que l’humanité elle-même. » Pourtant il existait déjà divers sites communautaires (de Myspace à Friendster…) avant son lancement, alors pourquoi ce succès phénoménal ? Le livre l’explique dans les grandes lignes en pointant les différentes trouvailles du jeune homme. A commencer par celle de pousser au maximum l’interactivité « en combinant toutes les caractéristiques intéressantes de ces sites pour recréer quelque chose d’inédit. » L’auteur revient sur la création des différentes fonctionnalités (le mur…) : il est intéressant de voir comment tout cela s’est construit progressivement. Zuckerberg n’a pas inventé le concept de cyber réseau social mais il est allé plus loin que tous ceux avant lui. Il l’a humanisé comme jamais. Pas mal pour un asocial !
« Ce qui ferait tourner ce réseau social était identique à ce qui faisait tourner le campus.
Le sexe. »
Facebook, joujou extra ?
Parmi les motivations qui auraient conduit à la création de Facebook, l’auteur avance celle très triviale de la drague. Et pour cause le sexe est une préoccupation majeure des étudiants (on se rappelle le roman de Wolfe, « Moi, Charlotte Simmons »…). Mais finalement on a l’impression que cela importe peu à Zuckerberg … On sent surtout chez lui l’excitation du créateur et peut être aussi l’ivresse du pouvoir, de la domination d’un monde (celui des clubs) dont il était exclu auparavant. Néanmoins le livre comporte une scène (l’unique) de sexe dans les toilettes commentée en ces termes : « Il se rendait compte qu’il avait eu tort sur un point. Un programme informatique pouvait bel et bien vous permettre de coucher. »
Success story made in Silicon Valley
« La revanche d’un solitaire » c’est surtout une « web success story », toujours fascinante par leur fulgurance. Après les emballements autour des premières start-ups début 2000, l’euphorie est toujours bel et bien là malgré l’éclatement de la bulle. Les tours de table mirobolants, la course aux capitaux risqueurs… On croise ainsi quelques anciennes gloires de cette époque comme Sean Parker créateur du fameux Napster qui avait tant affolé les majors du disque à l’époque. C’est aussi le mythe de l’étudiant qui depuis sa modeste chambre universitaire invente l’application qui va révolutionner le monde (avec pour modèle, l’inénarrable Bill Gates qui fait partie des idoles de Zuckerberg d’ailleurs) : « Partout sur le campus, des étudiants essayaient de construire des sites web. (…) Eduardo connaissait personnellement une douzaine de types qui tentaient de lancer des sociétés en ligne depuis leur chambre. »
Mezrich met aussi en évidence les clivages qui séparent la culture des geeks de celle des financiers. C’est d’ailleurs la cause de la rupture entre Eduardo et Mark.
Business thriller
Le livre se fait haletant dans cette course à la « killer application » dont l’une des règles est d’être le premier. C’est bien ce que reprocheront les jumaux Winklevoss à Zuckerberg qui a volontairement retardé leur projet. Chacun veut sa part du gâteau Facebook et pour cela les procès et trahisons se succèdent, au gré des contrats aux clauses piégées des avocats…
« Si Balzac avait pu sortir de sa tombe pour voir Mark Zuckerberg pousser avec perte et fracas la porte de sa chambre de Kirckland, il aurait peut-être ré-écrit Le père Goriot. »
Mark Zuckerberg, étrange et insaisissable créateur…
Si le livre est plutôt raconté du point de vue d’Eduardo pour des questions pratiques (l’auteur n’ayant pu obtenir d’entretien avec Zuckerberg), c’est la personnalité complexe de ce dernier qu’il tente d’appréhender. Quelles sont ses réelles motivations ? L’auteur l’approche sous différents angles. Tout d’abord, l’étudiant un peu frustré qui cherche à se venger de ses échecs amoureux en piratant les trombinoscopes de l’université. Mais sans intention de nuire, car pour lui c’est avant tout un « jeu cool », une blague de potache, de David contre Goliath. Il est d’ailleurs fait régulièrement mention de son humour assez cynique (comme le titre « I’m the CEO bitch » sur sa carte de visite). Plutôt qu’un school shooting, Zuckerberg choisit de lancer une killer application !
Un jeune homme qui n’est pas dupe de la société capitaliste et que l’argent intéresse peu (on apprend qu’il avait refusé un million de dollars de Microsoft pour un programme de playlists développé avant Facebook !). « Les barrières ne sont là que pour être franchies. Les méchants, c’est l’establishment, ceux qui construisent les murs. Le jeune homme, lui, est du côté des gentils qui luttent pour le bien de tous. »
Plus qu’une revanche ou draguer, c’est s’amuser qui intéresse l’étudiant. Et la quête d’une certaine reconnaissance de sa création, son (chef d’) œuvre. Sa famille, ce sont les geeks, aussi fous que géniaux. Ainsi l’amitié avec Saverin, souvent mise en avant, semble plus une relation d’intérêt ; les deux garçons n’ont pas grand-chose en commun. Zuckerberg semble, de plus, ne pas réellement avoir besoin d’amis. C’est devant son ordinateur qu’il s’éclate vraiment, pas en courant les soirées…
Zuckerberg, coupable ?
L’auteur a eu l’intelligence de défendre chaque position et point de vue dans les litiges qui entourent la création de Facebook. Aucun n’apparaît vraiment sympathique ni antipathique, ils ont surtout des intérêts différents. Mais une chose est certaine Zuckerberg est un génie de l’informatique et un bourreau de travail. A-t-il volé l’idée d’autrui ? Non, on se rend compte qu’il avait des idées bien plus innovantes et qu’il avait déjà des précédents à son actif (Facemash, Course match) ; les jumeaux auront peut être joué les catalyseurs, mais pas davantage. « D’après [sa] description, c’était comme si un fabriquant de meubles essayait d’attaquer en justice un designer pour avoir conçu un nouveau type de chaise. Il existait des milliers de modèles différents et en fabriquer un neuf ne faisait pas de vous le propriétaire de toutes les chaises du monde. »
Mezrich décrypte bien toutes les étapes de la création du plus célèbre réseau social, tout en brossant sans manichéisme chacun des protagonistes impliqué de près ou de loin dans sa destinée. Il a l’art de planter un décor et des dialogues efficaces, dosant ses effets et son suspense pour romancer toute cette aventure. La psychologie des personnages reste sommaire mais néanmoins crédible, même si la fidélité à la réalité n’est pas garantie. On comprend que la plupart des protagonistes ont été dépassés par le succès et devant les enjeux. Et qui sait demain qui sera celui qui les détrônera tous… ?!
La bande-annonce du film « The social network » par David Fincher :
8 Commentaires
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Ce qui m’amuse en tous cas c’est d’entendre dans 5 ans "Quoi? Ah oui face book ?? Ah oui c’était sympa…"
;)))
a+
yann
hé,hé ! Moi j’attends surtout qu’on nous parle de cet étudiant surdoué de la Sorbonne, Sciences Po ou de Polytechnique qui inventera le prochain site génial… 🙂
Allez le voir et vous ne verrez plus jamais Facebook comme avant ! Brillantissime par ses acteurs, sa bande-son et sa photo !!!
Je serai un peu moins enthousiaste… La narration par flash back est efficace mais si le film est fidèle aux scènes du livre, j’ai trouvé moins crédible
la psychologie des personnages. On imaginait Zuckerberg plus introverti et moins sûr de lui qu’il ne l’est dans le film où il a presque l’allure d’un jeune premier…
Un détail tout bête, la capuche de son sweat toujours relevée sur son visage et qui n’est pas présente ds le film (les claquettes sont bel et bien là par contre !).
Trop d’importance est aussi donnée à la rupture avec sa petite amie, ce qui est une invention
du réalisateur, mais après tout ça permet de fournir des explications faciles…
Je retiens sinon plus particulièrement la scène des jumeaux dans le bureau du président de l’université !
Pas mal de scènes assez drôles aussi (le concours de geeks…).
J’y suis allé presque à reculons et y retournerai gaiement, aussi enthousiaste que Jo !
(… même si je continue à voir fb comme avant^)
Alexandra, je connais l’histoire du gars d’hec qui a inventé (et revendu) priceminister, pas sûr qu’il y ait de quoi faire un film…
(mais un roman, pourquoi pas)
oh je suis sure qu’il y a quelques success storys de start-up françaises qui auraient mérité au moins un livre… (me demande pas lesquelles !)
sinon oui le film est correct même s’il reste en surface, il aurait pu faire un truc plus profond, la matière était là.
contrairement à toi, je trouve justement que c’est un film que tu vois une fois et cela suffit; c’est factuel avant tout.
à la différence d’un film comme Fight club par ex…
(j’y retournerai, voulais-je dire, le jour où je commencerai à écrire ce roman sur les start-ups françaises !)
Quant à la surface et à la profondeur : "si vous voulez donner du poids à vos propos, faites léger" (Jouvet) ^
Moi j’ai trouvé ce film super et c’est vrai que cela nous fait découvrir facebook sous un autre angle. Je retournerai le voir avec plaisir !