Dans son dernier roman, La carte et le territoire, Michel Houellebecq s’amuse à qualifier Frédéric Beigbeder de « Jean-Paul Sartre des années 2010 ». La comparaison peut paraître saugrenue… Si l’auteur d’Un roman français a en effet revendiqué l’influence de Sartre auteur des Mots pour l’écriture de son roman autobiographique, il n’y a pas grand-chose en commun entre les deux hommes, ni d’un point de vue littéraire ni d’un point de vue idéologique. D’ailleurs l’auteur de L’âge de raison n’a pas nécessairement laissé un souvenir impérissable de son oeuvre de romancier.
Dans le hors-série édité par Lire qui lui est consacré, F.Beigbeder commente : « [Au lycée] j’ai lu la Nausée et ce personnage de Roquentin qui ne savait pas ce qu’il voulait, qui ressemblait à ma vie et à celle de tous les lycéens ne me déplaisait pas. C’était (avec Meursault) l’ancêtre des antihéros de Bukowski, Djian ou Houellebecq. (…) Très récemment j’ai découvert Les mots et ma vision de Sartre a radicalement changé car c’est un livre très drôle, un très grand texte autobiographique. Cette lecture a chamboulé l’image que j’avais de l’intellectuel intolérant et hermétique. (…) Le style très dense a influencé certains de mes chapitres (notamment celui où j’essaie de résumer ma généalogie). Sartre arrive à dire avec une écriture précise et ramassée, plein de vacheries sur sa famille, en peu de mots. (…) Il est incroyablement lucide, parfois cruel, il parle de ses douleurs d’enfant, de sa laideur, de sa petite taille, avec courage et humour. » Houellebecq faisait peut-être référence au succès remporté de leur vivant par ces deux écrivains.
Je n’ai pas connu la grande époque du culte quasi hystérique de l’auteur de L’être et du néant (cf la parodie qu’en faisait Boris Vian dans L’écume des jours à travers la figure de « Jean-Sol Partre » auteur du « Paradoxe sur le Dégueulis », suscitant « l’exaltation intra-utérine qui s’emparait plus particulièrement du public féminin » lors de la fameuse scène de conférence…), mais il est vrai que l’expression pourrait aussi s’appliquer à certaines groupies de l’auteur de 99 francs (ainsi qu’à celles de l’auteur des particules élémentaires…). Amélie Nothomb l’évoquait aussi dans son (relativement ennuyeux) roman « Ni d’Eve ni d’Adam » où elle repère un ouvrage de l’auteur dans la bibliothèque de son dulciné Rinri à Tokyo : « Je savais que [Jean-Paul Sartre] était adoré des Japonais qui le trouvaient follement exotique : avoir la nausée face à un galet poli par la mer constituait à ce point le contraire d’une attitude niponne que cet auteur provoquait la fascination que suscite l’étrange. ».
Mais aujourd’hui quel est l’héritage sartrien dans la littérature, quelle influence exerce-t-il vraiment sur les jeunes auteurs, hormis celle d’une admiration liée au prestige de son nom et de sa destinée ?
Son œuvre n’est pas devenue une référence au même titre que celle d’un Camus par exemple fréquemment cité par les écrivains (lors des fameux questionnaires de type « bibliothèque idéale » par exemple). « L’étranger » a beaucoup plus marqué que « La nausée » même si Meursault et Roquentin sont deux anti-héros existentialistes.
De mon côté, j’ai commencé à découvrir à la vingtaine les romans de Sartre (La nausée et Les mots notamment). A reculons, il faut bien le dire. Je m’attendais à des livres pétris dans une langue conceptuelle et démonstrative, voire austère, et j’ai été très surprise d’y découvrir un vrai écrivain au sens du style. Car oui Sartre était vraiment un grand styliste. Chacune de ses phrases est ciselée, peut-être parfois à l’excès. Une langue poétique, profondément imagée, d’une grande beauté classique et en même temps moderne par sa mise en scène très cinématographique et visuelle parfois. Cet été, j’ai pu encore l’apprécier dans L’âge de raison, premier tome de sa trilogie « Les chemins de la liberté », un roman relativement oublié aujourd’hui.
J’ai beaucoup aimé la restitution des atmosphères urbaines ou ses descriptions sensuelles et sensorielles de la féminité notamment (l’écriture de Sartre est très sensuelle contre toute attente, je ne crois pas que cela soit souvent souligné) comme lorsqu’il décrit la bouche de l’amante de Mathieu : « Sa bouche se pinça sur les derniers mots : une bouche vernie avec des reflets mauves, un insecte écarlate, occupé à dévorer ce visage cendreux. » ou encore qu’il évoque une déception : « Sa vie était tombée à ses pieds, en plis lourds, elle l’entourait encore, elle lui empêtrait les chevilles mais il l’enjamberait, il la laisserait derrière lui comme une peau morte. »
Pourtant, j’aurais bien du mal à dire ce que j’en ai pensé. Objectivement, c’est un beau roman, un grand roman certainement, bien mené, écrit remarquablement, une grande sensibilité, une belle analyse psychologiques des personnages dans leurs paradoxes respectifs, des réflexions intelligentes qui reprennent –subtilement- ses grandes obsessions philosophiques et politiques sur l’engagement, les responsabilités et la liberté de l’homme, la peur de vieillir et de passer à côté de la vie, la peur d’être un « salaud », le rejet du modèle bourgeois, le tout sur fond de traversée de Paris, de ses beaux quartiers à ses bas fonds dans la France d’après guerre.
On ressent ici tout le tiraillement que lui-même expérimentait dans la nécessité de s’engager politiquement : « Ca me plait de m’indigner contre le capitalisme et je ne voudrais pas qu’on le supprime, parce que je n’aurais plus de motifs de m’indigner, ça me plait de me sentir dédaigneux et solitaire, ça me plait de dire non, toujours non (…) et j’aurais peur qu’on essayât de construire pour de bon un monde vivable, parce que je n’aurais plus qu’à dire oui et à faire comme les autres. » Cette condamnation perpétuelle de sa lâcheté qu’on retrouvait aussi dans La nausée. Ses réflexions sur l’avortement, la valeur de la vie humaine, sont aussi intéressantes et conservent leur actualité même si le contexte a bien évolué depuis sa légalisation bien sûr et que les faiseuses d’ange ont disparu.
Pour autant, une impression d’ennui ne m’a pas quittée tout au long de ma lecture et de ses longs chapitres très structurés qui s’enchaînent impeccablement. On sent le travail derrière l’écriture étrangement. La volonté peut-être trop voyante de saisir l’insaisissable dans les attitudes, les non dits, les dialogues (pourtant également impeccables, très vivants et sonnant justes, en particulier celui entre Mathieu le héro et son frère Jacques), peut-être une impression de déjà vu (les enfants terribles de Cocteau pour le duo de frère et sœur Ivich/Boris)…
Je ne pourrai faire que des éloges sur ce livre très riche mais pourtant si je suis honnête, il ne m’a pas vraiment plu ni touché ; ce n’est pas un roman que j’inscrirai à mon panthéon personnel . Et c’est un peu le problème avec tous les livres de Sartre que j’ai lus jusqu’à présent… Il manque ce quelque chose d’entièrement nouveau ou de vraiment unique, cette grâce, pour qu’il y ait un avant et un après Sartre (voir ce que je disais sur Franzen) au niveau littéraire. Pour moi, Sartre est un très bon élève qui rend de très bonnes copies mais qui restent du travail scolaire… [Alexandra Galakof]
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15 Commentaires
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Merci pour cet article intéressant. Sauf que, permets moi de te dire cela alex, la comparaison SARTRE – BEIGBEDER N’A, à mon avis, Rien de Saugrenu ! je ne suis pas d’accord avec cela ! Tout le monde s’amuse de la remarque de MICHEL Houellebecq dans LA carte et le Territoire,("le SARTRE DES années 2010") mais je ne vois pas en quoi cela pourrait susciter la risée générale. Lorsque j’ai chroniqué le Roman Français de Frédéric pour Buzz, j’ai été la seule sur 65 chroniques parues autour de son opus à faire le rapprochement avec SARTRE, sa vie, ses "mots". Car pour moi, le mimétisme est évident, bien au contraire. Ne pas voir de prétention de ma part à dire et à écrire que j’y ai donc songé avant que Michel HOUELLEBECQ ne s’en fasse l’écho. Je me permets de reposter le passage que j’ai écrit il y a juste un an pour souligner leurs ressemblances notoires.(pas sur tout, certes, mais sur l’essentiel).
"Je connais bien le panthéon littéraire de Beigbeder. Je le soupçonne d’avoir voulu écrire son œuvre sartrienne. Bravo ! Avant d’aller au-delà, quelques rapprochements avec « les Mots » de Sartre s’imposent ici en guise de rappel. Rappelez-vous : Sartre a écrit les Mots suite à une série d’événements tragiques. C’est le cas de Frédéric, qui après avoir vécu séparations de tout ordre et divorces, se fait alpaguer par la police et se fait littéralement humilié en garde à vue. Sartre évoque la préhistoire de sa famille en donnant toutes ses origines familiales, maternelle et paternelle, comme Frédéric le fait d’emblée dès le prologue. Sartre enfant s’enferme dans un monde imaginaire, Frédéric se révèle au fil des pages un enfant fantasque qui nous convie à un voyage dans le temps. Sartre en revisitant son enfance cherche à répondre à cette question : que peut la littérature ? Frédéric fait exactement la même chose en allant même plus loin : que peut la littérature, mais surtout que peut l’écriture ? Sartre raconte ses souvenirs d’enfance jusqu’à l’âge de 11 ans, on suit Frédéric de sa naissance jusqu’en 1980 (au moins). Sartre est sans complaisance dans la narration en se livrant à cet exercice avec un esprit critique et une ironie très élaborés. Frédéric fait de même, avec beaucoup d’honnêteté et aborde la part intime de sa personne, en dévoilant certains handicaps. Sartre vit une enfance bien ordonnée, Frédéric mène une existence plus dispersée, vaquant d’un parent adulte à un autre, mais reste un enfant modèle, sans révolte notoire, donc ordonné.. Sartre possède un grand-père qui se prend d’affection pour son petit fils. Celui-ci lit les classiques de la bibliothèque familiale. Ce que Frédéric, fier de son héritage intellectuel, fait sans peine dans la bibliothèque de la Villa Navarre de son grand-père paternel. Ce dernier ressemble à Paul Morand et anime des causeries littéraires. Son grand-père maternel, quant à lui, lui enseigne l’art d’attraper des crevettes. Sartre consacre deux pans entiers de son œuvre à l’écriture et à la lecture. Frédéric tente de vaincre ses difficultés spatio-temporelles en se saisissant ou se déssaisissant du temps, par le biais de la lecture ou de l’écriture. Sartre découvre le sens de l’existence grâce au pouvoir des mots, on apprend que Frédéric écrit son autobiographie depuis 1974 sur des cahiers Clairefontaine. (Les parallèles entre les deux écrivains s’arrêtent là : Sartre a écrit Les Mots pour dénoncer son imposture (il plagie), pour dire qu’il déteste son enfance, pour exprimer sa folie, pour dire aussi adieu à la littérature : ce qui en tous points n’est pas le cas de Frédéric Beigbeder dans ce roman.
Dans "Baudelaire", Sartre énonce ceci que Baudelaire est un être "immoral", homosexuel, et que, je cite, la poésie serait une espèce de "création à responsabilité limitée". De l’influence de Sartre (sic !) ?
Des lieux communs de la littérature autobiographique ?…
Je vais laisser à ceux qui l’ont lu (qui le lisent ?) la comparaison Sartre/beigbeder…
Cependant pour Sartre, mon avis à moi que j’ai, c’est que c’est plus un dramaturge qu’un romancier ou qu’un écrivain… Ses romans, comme alexandra, j’ai toujours eu du mal à m’y coller et je trouve souvent ses textes un peu vain mais son œuvre théâtrale ne m’a jamais déçue et c’est d’ailleurs je pense la part encore la plus vivante de son œuvre (huis clos ou les mouches sont jouées très régulièrement quand les romans tombent gentiment dans l’oubli des bibliothèques). en particulier "mort sans sépultures" est un texte qui me bouleverse à chaque fois… Et j’adore hugo des mains sales…
a+
yann
Ah enfin quelqu’un qui parle de l’oeuvre de Sartre, merci Yann ainsi que de tes conseils théâtre, ton analyse me parait très juste ! Il faut vraiment que je les vois jouées, honte à moi !
C’était bien le sens de mon article : Sartre écrivain. Pas d’idéologie.
Laurence, je pense que bon nombre d’écrivains ont écrit leurs mémoires et raconté leur enfance, ça n’en fait pas pour autant des héritiers de Sartre…
Un exemple parmi mille : "Enfance" de Sarraute.
Sartre était peut-être un peu trop dans son époque pour avoir eu une véritable influence. Cela dit, "L’âge de raison" a marqué mon adolescence, et sans doute en reste-t-il des traces dans le disque dur de ma cervelle.
Sartre y explore sous forme romanesque son thème central – celui de l’engagement.
[En cela, bien sûr Laurence, comment douter que FB soit LE Sartre moderne? Sa portée philosophique, son engagement politique de tous les instants, ses livres de combat… Bref.]
Pour le côté "scolaire", Alexandra, je te rejoins seulement pour le 2e tome des Chemins de la liberté (Sartre a essayé d’imiter Dos Passos, c’est une horreur)… et pour "Les mots" (je préfère de loin les mémoires de Simone de Beauvoir).
Les pièces resteront plus, sans doute – et pas forcément besoin de les voir jouées.
Et puis, plus contemporaine, et parfaite, une nouvelle : "Erostrate". Un type lambda qui décide sans raion particulière de jouer au kamizake boulevard Edgar Quinet… La suite à lire dans "Le mur" 😉
"pour le 2e tome des Chemins de la liberté (Sartre a essayé d’imiter Dos Passos, c’est une horreur)…"
> oui! j’ai l’impression que c’est un peu son pb, il devait faire des complexes sur pas mal de romanciers (comme Céline aussi je crois) et donc essayais de les imiter inconsciemment.
Enfin je constate malgré tout que ses bouquins ont quand même marqué même si je n’ai jamais entendu qqn me citer spontanément Sartre comme romancier de prédilection…
concernant les mémoires de beauvoir, elle a une écriture plus rustre mais peut-être plus naturelle du coup.
j’avoue avoir été déçue par les tomes qui suivent les mémoires d’une jeune-fille rangée malgré tout.
Je n’ai jamais dit que les écrivains qui racontaient leur enfance étaient les héritiers de Sartre, pas plus que je n’ai dit que Beigbeder était le fils spirituel de Sartre ou que l’oeuvre du premier supportait une partie de l’héritage de l’oeuvre du second, je n’ai jamais dit un truc pareil. Je me suis juste permis, d’une part, de faire le rapprochement entre l’enfance de l’un et l’enfance de l’autre, par rapport aux "Mots", qui a influencé l’écriture du ROman Français tout simplement parce qu’il existe un mimétisme réel entre les deux, que vosu le vouliez ou non. D’ailleurs, la fin de mon extrait se termine par cette phrase : "voilà là où s’arretent les ressemblances…" ou quelque chose comme ça. J’ai rebondi sur l’allusion de Michel HOuellebecq parce que cela m’a amusé de cosntater que Houellebecq, parce qu’il a aussi préfacé la couv poche du roman français, -il faut se souvenir de toutes les interactions de ces 2 derniers mois de rentrée – pensait précisément à le "rapprocher" de Sartre. J’ai ressorti un bout de mon texte, pensant ainsi que j’étais moins seule.
Pour le reste, je suis d’accord avec vous tous : l’oeuvre théatrale de Sartre est prospère, ses romans sont plus fades. Je me souviendrais toute ma vie d’une représentation donnée de Huis Clos à Bordeaux. Hallucinant. J’aime beaucoup Alex
quand tu écris ceci : "On ressent ici tout le tiraillement que lui-même expérimentait dans la nécessité de s’engager politiquement" parce que tu dis tout. C’est à dire que depuis la mort de Sartre, l’ENGAGEMENT est mort. IL n’y a plus d’écrivain engagé aujourd’hui. Et je pense que c’est ce qu’il faut retenir. Son oeuvre a peut-être marqué des générations d’écrivains contemporains qui se plaisent à le citer ou voudraient bien revendiquer uen certaine paternité avec lui mais je n’en connais pas un qui milite comme lui l’a fait. Question de génération, de structure de pensée, autre société aussi.
POur finir, je préfère personnellement cent fois de Beauvoir à Sartre, en dépit, en effet, d’une écriture plus rustre, plus sèche.
Je pense que Sartre, pour parler de la "personnalité", a été trés largement fagocyté par le "milieu littéraire français" comme l’archétype de l’intellectuel français, comme l’icone intello de la rive gauche dans une mélancolie béate d’un existentialisme post 68’ard de bon ton…
La preuve en est du "café de flore", SON café qui est resté le lieu des élégances littéraires (pour ne pas dire maintenant des élégantes) et se maintient comme Ze place to be, à tort ou a raison (hein le "flore", cher second flore ???:)) ).
Et tout ceci n’aide pas à avoir une vision analytique et précise de son oeuvre et de sa vie car Sartre est un intouchable, une icône même si justement… plus personne n’y touche ;))
Un fait cependant ne cesse de me fasciner dans son œuvre publique: lui le chantre de l’engagement n’a pas été résistant (Beauvoir le raconte très cruellement) pire "les mouches" a été joué pendant l’occupation avec l’accord des autorités allemandes… Quelques années plus tard il reviendra "enchanté" d’un voyage à Cuba et prônera un communisme bon teint, depuis le flore… Peu de traces d’engagement moral donc pour ce chantre de "l’engagement"… Ce en quoi, effectivement, il s’oppose à camus dont l’engagement est plus moral que politique il me semble…
Enfin, ce n’est que mon avis bien sûr…
a+
yann
Yann, je suis entièrement d’accord avec la 1e partie de ton commentaire.
Sur la seconde partie, c’est autre chose, là tu ne juges plus l’écrivain, tu juges "l’homme politique" (ce que j’ai soigneusement évité de faire dans cet article et ce qui est le plus courant qd on parle de sartre, qui parle de son style, de son écriture ? personne au fond…). Les termes "écrivain" et "engagé" ne vont pas bien ensemble, comme je ne cesse de le dire (et le pense plus que jamais en voyant les récents scandales). Le second dénaturant et biaisant le premier. La littérature n’est pas faite pour militer, défendre des causes politiques. Dans l’âge de raison, je trouve que Sartre évite justement l’écueil, il aborde la question de l’engagement (au sens large, politique comme des responsabilités d’homme, etc) mais sans faire de prose partisane et c’est ce qui est intéressant. C’est fait finement, subtilement, jamais frontalement (bon ça m’a quand même gonflée certes mais ça passait).
Addendum : je cherche depuis 10′ cette citation (que je crois-croyais être de Sartre, disant en gros qu’un roman à thèse, c’est une mauvaise thèse ET un mauvais roman…
Les romans de Sartre ne sont pas vraiment à thèse, il prêtait surtout à son personnage ses propres hésitations… (ensuite, quand il a cessé d’hésiter… cf Yann)
Quant au Flore, hum… Non, rien^.
je crois qu’il y a deux choses à distinguer:
1- l’oeuvre en elle-même, qu’on peut estimer au-delà même de tout contexte politique, en cela elle doit avoir un intérêt particulier (originalité, beauté plastique, apport intellectuel, etc.)
2 – l’auteur, l’individu qui s’inscrit dans un univers social et qui peut donc de ce fait avoir des partis pris politiques et servir de caisse de résonance pour les conflits de son temps
3 – le problème se pose réellement là: quand l’écrivain/individu mêle inextricablement son écriture, son talent, son oeuvre, et sa vie, ses errements, etc.
là ça devient beaucoup plus dur de trancher…
concernant sartre, je suis plutôt d’accord sur l’idee que les pièces de théâtre demeurent ce qu’il y a de mieux chez lui, et encore… comme disait l’un de mes profs de théâtre, les textes des années 50/60/70 sont souvent un peu datés (sartre, camus, botho strauss, etc.)comparativement aux "classiques" qui paraissent en plus grande forme (molière, shakespeare,…).
par contre, je pense que sartre paye la monnaie de sa piece (n’oublions pas que de son vivant, tout auteur opposé à Sartre commettait un crime de lese-majesté, et se retrouvait rapidement ostracisé; exemple: raymond aron… relisons pour ça "l’opium des intellectuels").
néanmoins, il faut faire la part des choses, sinon on ne lit plus aussi les superbes textes de knut hamsun comme "la faim", qui a pourtant glorifié le nazisme par haine de son pays (la norvège), souhaitant son anéantissement pur et simple. idem, ne lisons plus dans ce cas carl schmitt, juriste allemand encarté chez les nazis et bien plus engagé encore dans ses errements que heidegger, pourtant sa "théorie du partisan" dans la suite de clausewitz vaut vraiment le détour… et ne lisons plus drieu la rochelle aussi, bien sur… ou celine, et que sais-je encore…
Je crois que je ne me suis pas fait comprendre (ça arrive) (même aux meilleurs ;)) ).
Ma digression sur la bio de Sartre n’est pas faite pour juger son œuvre à l’aune de sa vie, mais c’était juste un peu d’ironie (un peu mordante certes) pour pointer qu’on peut être un grrrrand intellectuel qui plaide pour l’engagement et se gaufrer totalement dans ses choix… Comme quoi la vie est plus compliquée que les livres…Et c’est tout.
Tout comme il m’amuse de penser que Descartes, le créateur de la pensée cartésienne, s’est gaufré complètement en optique quand il a voulu appliquer ses propres théories ;)))
Reste que "le discours" est toujours un texte essentiel, reste que Sartre est toujours un grand écrivain français (et je crois même que ces erreurs là le rendent plus humain justement)
Sinon, pour ma part je sépare complètement l’œuvre et la personne… Il y a ainsi beaucoup d’artistes dont j’aime le travail que je n’aimerais pas croiser dans un diner, que ce soit Céline (même si ses interviews me font hurler de rire) ou Bret Easton Ellis ou Bertrand Cantat par exemple (bon lui je l’ai mis là parce que effectivement je le croise souvent ;)) )
a+
yann
effectivement les derniers entretiens de Bret Easton Ellis m’ont quelque peu laissé sur ma faim… quant à Bertrand Cantat, il semble que son expérience terrible ne lui serve pas à grand-chose pour nourrir son art… ainsi peut-être le verra-t-on dans quelques années (et comme par le passé) dans des concerts soutenus par act-up, les mouvements de sans papiers, le dal et des associations de femmes battues… concernant BEE j’avais le souvenir d’un écrivain un peu plus fin, plus moral et moins "lapin crétin" que ce qu’il nous a montré à voir ces derniers temps: à savoir une sorte de gros bébé joufflu un peu dégénéré qui semble rétropédaler dans la semoule, il s’habille d’ailleurs comme un mome de 15 ans et tient à peu pres le meme discours… il finira bientot dans un film de larry clark, un skate board sous le bras…
juste pour revenir à Sartre, je ne pense pas qu’il y ait véritablement de hasard quand mon prof de théâtre me dit par exemple qu’il préfère qu’on joue disons du Shakespeare ou du Racine plutot que du Sartre ou du Camus… je pense par là qu’il a voulu dire que les "classiques" ont cette capacité à englober le monde, à nous le donner à voir dans toute sa complexité quand Sartre lui ne fait qu’un exposé didactique, un théâtre à thèse, un truc un peu lourdaud où une fois de plus il triche avec la vie, il fait le cabotin et rend une simple caricature assez fade…
Alors là par contre objections votre honneur, le théâtre de sartre est l’exact contraire de ce que tu décris…
"huis clos" est un classique de la tragédie, universel et radical que je comparerai au "cid" (si, si), il parle et boulverse, bouleversera à toutes les époques.
Hugo dans les "mains sales" est aussi un grand personnage de théâtre classique représentant la lutte de chacun entre son éducation, ses envies, ses choix et ses limites… Pour moi hugo c’est le britanicus contemporain et à mon avis il passera aussi les siècles sans trop de problèmes.
Le premier acte de "morts sans sépulture" est et restera un pur chef d’œuvre d’écriture théâtrale, avec l’action qui se situe hors plateau, invisible et insaisissable.
Alors certes tout n’est pas du même tonneau ("les mouches" ne m’ont pas transcendé et "la p… respectueuse", oui, bon…) mais tout jeter au feu serait une erreur énorme je pense…
a+
yann