Après Katherine Pancol, Muriel Barbery ou encore Claudie Gallay, un nouveau roman de femme sur les femmes enchante (et bouleverse) les lectrices et s’installe durablement dans le palmarès des meilleures ventes en France et à l’étranger (avec 2,5 millions d’exemplaires écoulés, il figure dans la liste des meilleures ventes du New York Times depuis 73 semaines, dont 6 passées au sommet, même engouement au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et à Taïwan). « La couleur des sentiments » (« The help » en VO),1e opus de la journaliste américaine Kathryn Stockett -passée par les ateliers de creative writing d’Alabama-, et inspiré de son enfance à Jackson, nous plonge dans le Mississippi ségrégationniste des années 60 :
« Si les blanches lisent mon histoire, je veux qu’elles sachent ça. Dire merci quand on le pense pour de bon, quand on se rappelle que quelqu’un a vraiment fait quelque chose pour vous – elle secoue le tête, baisse les yeux sur la table au plateau rayé et écorché -, ça fait tellement de bien.«
Rapidement repéré et plébiscité sur les blogs de lectrices (le prix web du roman étranger lui a d’ailleurs été décerné), ce roman polyphonique, en pleine époque « Mad men »-JFK-Martin Luther King-et-Ku Klux Clan, met en scène les relations entre des bonnes noires et les enfants de leurs maîtres dont elles s’occupent et qu’elles aiment tandis que les mères huppées leur témoignent mépris et racisme allant jusqu’à exiger que leurs toilettes soient séparées par peur des maladie…
« Règle numéro un pour travailler chez une blanche, Minny : ce n’est pas ton affaire. Rappelle toi une chose : ces blancs sont pas tes amis.
Règle numéro 6 : tu frappes pas ses enfants. Les Blancs aiment faire ça eux-mêmes. »
L’auteur analyse la complexité des rapports entre ces deux communautés, où affection maternelle, rapport de domination, complicité, préjugés, clivages sociaux et inégalités se mêlent. Sous une forme originale (livre dans le livre), ce récit à 3 voix (les deux bonnes noires et la fille d’un riche planteur dont elles se sont occupées dans sa jeunesse), des années 60 aux années 80, a été salué pour la justesse de ses personnages (et notamment leur verve) ainsi que sa capacité à aborder un pan sinistre de l’Histoire américaine tout en distillant des touches d’humour et de tendresse.
Moins violentes que « Les bonnes » de Genet, ce roman « débordant d’amour et d’humanité » et « follement attachant » mais aussi « une peinture lucide d’une société fondée sur l’idée de la supériorité des blancs » selon les blogueuses, sera adapté prochainement sur grand écran par le réalisateur de « La couleur pourpre », Steven Spielberg (sortie prévue pour 2012).
Extraits interview de l’auteur, Kathryn Stockett :
Sur la traduction du titre de son roman « La couleur des sentiments » (« The Help » en VO) : « J’aime beaucoup cette traduction. Je la trouve très métaphorique et beaucoup plus poétique que mon titre original, j’aurai aimé la trouver, et surtout j’aurai aimé rencontrer le traducteur. »
Sur son inspiration et son succès: « Je voulais juste raconter l’histoire, retrouver la voix de femmes que j’ai connu comme ma nourrice. Je ne suis pas historienne ou anthropologue, je suis juste écrivain. Je suis là pour distraire les gens, leur faire découvrir un endroit qu’ils ne connaissent probablement pas. Je voulais juste faire entendre la voix de ces femmes. Il n’y a pas de politique là dedans : il y a juste la vie. »
Sur la polémique américaine liée à son utilisation d’un dialecte pour ses personnages noirs tandis que les personnages blancs s’expriment dans un anglais parfait: « C’est le propos même de mon livre : des gens qui ne sont pas d’accord et qui parlent ensemble. Je n ai pas l’impression d’avoir trahi les voix que j’ai entendues dans mon enfance. J’ai probablement fait des erreurs certes. Mais je suis heureuse que les gens à travers ce livre discutent de ce qui est encore ici un tabou. Nous avons honte de ce que nous avons fait dans les années 60. Nous avons alors arrêté d’en parler, cela ne nous a pas empêché de continuer à penser ce que nous voulions. Nous n’en parlions pas. Aussi je suis heureuse de provoquer à nouveau le débat, la discussion sur la race, le racisme. Mais j’espère que les choses ont changé et continueront à changer. Et si cela touche un large public, c’est peut être pour cette raison là : les hommes ne sont que des hommes, partout dans le monde.«
(source : Les chroniques de la rentrée littéraire)
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2 Commentaires
Merci pour la publication de l’entretien qui montre bien qu’en France les lecteurs ont souvent tort de replacer l’atmosphère et les relations du livre dans un passé "révolu". Le passé reste présent parce que trop d’éléments du présent rappellent le passé.
Je viens de finir ce roman qui parle du délicat sujet des relations entretenues entre les patrons blancs et leur bonnes noires au début des années 60… A 1e vue, on pourrait trouver ça révoltant ou horripilant (mais pourtant très instructif sur ce qu’étaient les choses pour les noirs à l’époque), comme le fond de l’histoire de La case de l’oncle Tom de Harriet Beecher Stowe, mais non.
On est happé par la lecture, on vit au diapason des trois héroïnes toutes aussi courageuses les unes que les autres, (Aïbileen, la bonne entre deux âges qui a perdu son fils unique, Skeeter, la jeune femme blanche, fraîchement revenue de la fac et qui recherche son ancienne bonne Constantine, qu’elle adorait et Minny, la bonne virée 19 fois dans la même ville pour cause d’insolences aux patronnes) en fonction de ce qui leur arrive. On s’indigne, on se résigne, on se réjouit en même temps qu’elles… Une histoire magnifique, émouvante !
Et avec tout ça, on ne voit pas les 520 pages défiler. Je vous recommande vivement ce livre. Encore plus si vous aimez les histoires un peu analytiques et inspirés de la réalité, sur la situation des noirs dans le sud des Etats-Unis. Foncez !