Les romanciers trentenaires-quadra se retournent sur leurs années 80 et nous la jouent critico-nostalgique sur l’époque de leur adolescence. Au menu name dropping des marques, du top 50 des vinyles et K7, feuilletons américains et autres références emblématiques de cette France à paillettes et gauche caviar. Plus qu’un trip régressioniste, c’est une radioscopie des eighties middle class, en province ou à Paris, qui semble passionner les écrivains ces derniers temps et qui se poursuit en cette rentrée de janvier 2011 :
La rentrée littéraire de septembre 2010 a salué le roman « France 80 » de de Gaëlle Bantegnie, en lice pour le prix de Flore (Frédéric Beigbeder ne pouvait en effet qu’être sensible à ces références qu’il a, lui-aussi, évoqué dans son autobiographie « Une vie française »).
Ce premier roman ultra-générationnel de cette prof de philo de 39 ans était pourtant un pari risqué : la description quasi sociologique d’une époque, de mai 1984 à août 1989, qu’elle ressuscite à travers ses références, ses habitudes et de sa sur-consommation, à travers les trajectoires de deux personnages dans la banlieue de Nantes : d’une part une ado maniaque et complexée dans son petit univers collègien à l’âge des premières boums, et d’autre part son voisin, un trentenaire commercial VRP de décodeurs Canal +, en polo Lacoste et mocassins à gland, coureur de jupon et beauf patenté. Un double portrait croisé sur fond de kaléidoscope 80’s où l’on retrouve aussi bien des Raiders, un télé 7 jours avec Jacques Martin en couverture qu’une Renault Fuego… et une narration qui n’hésite pas à mêler des paroles de chansons et autres private jokes.
L’auteur expliquait dans une interview qu’elle a voulu « rendre compte de la vie d’individus de la classe moyenne, sans les juger, en essayant simplement de décrire leur vie matérielle. C’est pour cela que ça peut paraître tranquille et j’espère, pas trop ennuyeux!) parce qu’on assiste à une évolution lente des personnages et pas à des bouleversements radicaux dans leur existence. »
Extrait de « France 80 »: « Samedi 9 mai 1987
18h45. Dans la cuisine, Marise verse des cacahuètes dans un ramequin, dispose les minisaucisses Herta dans le bol Arcopal à fleurs bleues et les Crackers Belin sur une assiette à dessert. Hervé a sorti du buffet toutes les bouteilles d’alcool, qu’il aligne sur la table basse du salon – Whisky Label 5, Ricard, crème de cassis, vieille prune offerte par oncle Alain en juillet 1984. Il rapporte du frigo trois bouteilles de bières de marque différentes, qu’il place méticuleusement à côté des autres. Heineken, Jenlain, La Becasse. Hervé sent que cette initiative agace sa femme; il esquisse un petit sourire gêné, qui l’exaspère encore plus. »
Coïncidence, l’auteur de « France 80 » se trouve être une amie de longue date de François Bégaudeau avec qui elle a étudié en 1989 dans la même prépa à Nantes. Ce dernier l’aura ainsi lue et encouragée. Et aura ainsi peut-être été inspiré pour son nouveau roman « La blessure, la vraie », qui vient de sortir en cette rentrée de janvier 2011, sur le même thème, après avoir tenté une radioscopie ratée des trentenaires des années 2000 : il replonge ainsi dans l’été 1986, celui de ses 15 ans, en Vendée, entre Saint-Michel-en-l’Herm et La Faute-sur-Mer. Des souvenirs fondateur : « J’y vais comme ça vient, tant pis, de la connerie au kilo plutôt que le silence, ça m’est resté », affirme péremptoire son narrateur et alter ego.
Chronique d’une adolescence et d’une mue que l’on avait pas vu se pointer et qui va tout bouleverser le temps des vacances d’été.
Le panaché a remplacé le monaco avant de céder la place à la Kro. Concours de vannes, autostop on note les filles lookées à la Madonna dont la plupart ne dépassent pas le 11 sur 20. A 15 ans, que voulez-vous, « on est con et on aime ça ». Mais au fond une seule obsession : devenir un homme c’est à dire coucher ! Et que ça se sache, « 50 % de la motivation ». Objectif: ne pas arriver puceau à l’entrée en seconde. A la façon d’un teen-movie, il dresse également un catalogue pointilleux du lexique de l’époque et de sa mode fétiche (T-shirt « Kindy les chaussettes ne se cachent plus ») et de ses tubes de l’été. Le tout complété d’une galerie de seconds rôles hauts en couleur, véritable peinture du folklore franchouillard.
Comme dans « Entre les murs », Bégaudeau campe ses personnages avec un oeil d’entomologiste, un brin macho, au bar, sur la plage, les autos tamponneuses ou au bal du 14-Juillet, autant de lieux de rencontre qu’il avait analysé, avec Joy Sorman, dans « Parce que ça nous plaît. L’invention de la jeunesse », paru début 2010, chez Larousse. Un roman salué pour son talent de dialoguiste de l’oralité presque crue et sa justesse de ton qui ont fait son succès.
Extrait de « La blessure, la vraie »: « Deux pieds et deux jambes pour moi, les minutes et les secondes contre moi. Une course contre la montre, exactement. Fendant une foule de Hollandais et d’Allemands, comme un vélo champion au sommet d’un col. C’est comme ça que ça a commencé la blessure. La blessure et courir dessus. »
Précédemment, rappelons aussi “Le corps de Liane”, deuxième roman d’une jeune écrivain Cypora Petitjean-Cerf (également prof de lettres) soit la saga d’une « dynastie de femmes », que l’on suit du 4 décembre 1980 au 19 janvier 1986, et plus particulièrement de Liane, ado en quête d’identité et qui apprivoise peu à peu sa féminité, sur fond de séances TV devant Dallas.. Ariel Kenig, bien qu’ado des années 90, s’était aussi essayé au genre avec son roman « New Wave », récit de l’amitié amoureuse de deux jeunes collégiens sur fond de David Bowie, Depeche Mode, The Cure, Eurythmics, Indochine ou encore Taxi Girl. Même ambiance dans les romans dits de « rocklit » (rock et littérature), « Dans les rapides » de Maylis de Kerangal (plus orienté sur la fin des années 70) ou encore ceux de Barbara Israel (Miss Saturne…).
Nina Bouraoui dans « La vie heureuse », récit de son premier trouble amoureux et de la découverte de son homosexualité, avait aussi reussucité dans une douce nostalgie ses années 80 : de la mort de Klaus Nomi, atteint du SIDA mais aussi et surtout ses films et sa musique qui l’ont marqué : de l’actrice de Flashdance (aujourd’hui icone gay à travers son rôle dans la série L world) sur laquelle elle fantasmait jusqu’aux chansons de Dire Straits en passant par Hervé Villard, Gainsbourg, « Dreams are my reality », The Wall le film de Pink Floyds ou encore le roman du Docteur Jivago qui revient comme un leitmotive…
Enfin Eric Reinhadt s’était aussi laissé tenté en 2002 par l’exercice avec « Le moral des ménages », portrait au vitriol d’une famille de banlieue, middle class, de leur matérialisme et de leur vie étriquée dans les années 80
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