Le bouche à oreille et la curiosité s’enflamment autour du benjamin de la rentrée littéraire 2011 : Marien Defalvard ayant écrit son premier roman, « Du temps qu’on existait », à 15 ans. Une oeuvre étonnante, folle, flamboyante qui semble jaillir d’un autre temps, au langage précieux et érudit et à l’exaltation romantique qui peuvent dérouter ou émerveiller. S’agit-il d’un cheminement spirituel, d’une réflexion purement métaphysique ? C’est un roman où la mort et la vie se donnent la main en permanence, au gré des rencontres, des situations où l’amour se faufile partout où il peut :
« Il faudrait donc toujours mourir. Mourir, mourir. C’était ça : il faudrait mourir… Je me souviens de l’amour, de la mort. On a beau dire, une fois qu’on a pris conscience des deux, de la paire odieuse et vitale, il ne reste plus beaucoup d’espoirs à ronger. La vie vous a enfumé, elle vous a fait miroiter ses plus beaux profils et puis soudainement, elle vous a dit, méchanceté, déréliction, supplice, elle vous annonce comme ça, que votre vie de derrière est finie. »
De son enfance privilégiée à Sacierges, puis la panoplie des âges qui se déplie et se déploie de Paris à Bouloire, puis d’un moment breton, à Lyon, puis de Tours Maurienne à la fin d’un beau jour, Defalvard fait simple : il nous raconte la vie d’un homme se penchant sur son passé. On entend la complainte de cet homme mi heureux mi perdu, un homme re-théorise sa vie et nous sommes invités à la voir défiler sous nos yeux, à tout âge, toute époque, le voici qui déambule, joyeux et funeste, traînant sa misanthropie, son dédain, sa mélancolie gracieuse.
C’est un roman d’une grande grâce. Baroque, allégorique aux belles paraboles. Le camaïeu dépeint explique joliment que « le conflit est mauve et l’espérance bleuâtre ». On note au vol de nombreuses phrases poétiques comme « Tout cela plus les années épandit sur mon visage de l’époque une déception mauve »
C’est un roman sur la vie, les rencontres, l’enfance, la nature, sur la mère, sur les premières fois, le chagrin, les départs, les ruptures, sur l’espace et le temps. Ce roman met le diable au cœur, c’est une fête des mots incessante, où les envolées lyriques sidèrent, ébahissent, émeuvent… « Je l’aimais toujours autant, toujours beaucoup, avec du débordement. Vous vivez dans une absolue procuration, vous n’êtes qu’un parallèle, un pâme dièdre d’autrui, le bonheur a pris les traits d’une seule personne. Et on se trouve un matin, méchanceté d’attaque, et cruauté sur pied. On entrevoyait le malheur. La perversité, assez gratinée, montrait du caractère, se serrait les coudes. Tout s’ébranlait dans un conflit mauve. »
C’est donc un cortège floral et coloré, ce roman se promène dans un jardin grandiloquent, où des jeunes pousses côtoient de vieux archers, où « les grooms », sont pareils à des figures échappées d’un conte de fées. On dirait un rêve éveillé avec des descriptions de tableaux. L’écriture, est une écriture de rêve. Defalvard n’a pas écrit avec un stylo mais avec un pinceau.
« Les voyages intérieurs »
Cette succession de contemplations ou de moments frappés d’un coup de semonce. Décapités. On a des anticipations figurées, des images, une visibilité, puis soudain, le couperet tombe après l’explication… C’est du désespoir liquide, celui éprouvé par Léo Ferré dans certaines de ses chansons « La mémoire et la mer », pour ne pas la citer.
Un premier roman étourdissant de singularité, d’un autre temps, d’un autre siècle, des plaies intemporelles, mais des clochers, des jeux d’autrefois, des petits noms, de la mansuétude, de la compassion, de l’empathie, du temps antique, d’autrefois On se demande vraiment si on n’est pas chez Rousseau (cité), chez Stendhal, chez Nerval, chez Proust, il y a un nombre exorbitant et incroyable de ciels peints et de soleils couchants : « Il y eut de nouvelles nuits d’été. Parmi la nuit d’aout menteuse, bruissante longtemps après minuit, peuplée d’airs chauds,, de pépiements d’oiseaux et de rares et furtifs passages de voitures. Les nuits d’hiver sont trop glaciales et trop sourdes, celles d’automne trop grises et confondues. Les nuits de printemps n’en possèdent ni la chaleur naissante, ni le dos rond. Elles sont impénétrables, longues, opaques et noires, mais elles brillent sans éclat d’espoirs bouffants et de miracles inconnus. Il y eut, pour ce que j’en sais, des matins d’hiver. Dans le passage d’octobre à pluviôse, tournant à senestre une tête brisée, je décèle, formant entre moi et le monde, des ronds légers, sans relief, paraissant blancs. Sont-ce des flocons, des grêlons fondus au ciel des gouttes d’eau froides et cubiques ? »
Partout surgit cette incroyable densité du texte et c’est un bonheur sans fin. Emouvante écriture, ensorceleuse, serrée finement dans un style cristallin, c’est une déclaration d’amour à la littérature, aux mots, aux sentiments mêlés, et nous voilà embarqués dans une carriole atypique marquée du seing XVIIIe et XIXe siècle. C’est un instant de magie, un fantastique carrousel d’antan, qui s’arrêterait de fonctionner à étapes régulières puis repartirait de plus belle, vers la vie, vers un avenir plus serein. Ce roman est si différent, si utile, par les temps qui courent, il est à la fois chatoyant puis parcouru parfois de beautés froides, bigarrées, et Defalvard décrit tout ce qu’il voit, ressent tout ce qu’il touche. Son écriture est virevoltante tout en étant profonde, rien ne semble être manqué d’être décrit, et tout cela part en grappes, en vrille, c’est une mèche qui en allume une autre en permanence, et souvent cela sans prévenir.
On s’égare souvent mais c’est avec bonheur. « Elle savait tout, elle pensait tout, elle captait tout ; elle vous avalait et puis je l’adorais, elle avait une place bénite dans un tréfonds de mon esprit, l’abyssale clairière, mon épouse au second degré, ma choseline claire, aux philtres d’été, mon oileau d’onde… Des fois, elle me disait l’important c’était quoi – « l’amour ».
Romantisme échevelé et pour cause : « Toute ma vie, j’ai traversé des paysages intérieurs ».
Rien ne semble arrêter l’auteur dans son désir de retranscrire, de dépeindre… Plus loin : « Ceux que j’aimais de façon immanquable, suivaient tous le même rituel à travers mes perplexités intérieures, mais il fallait, pour qu’à chaque fois le processus puisse se renouveler sans que je l’anticipe, que la personne sur laquelle j’avais fixé mon sentiment, me paraisse toujours nouvelle, qu’elle semble écraser de son simple nom couché une pléiade d’antécédents bavards et divers, qu’elle les enterre, tous ».
De même que le ciel et la terre se confondent, que le soleil disparaît en dessous des nuages,que la mort rôdeuse côtoie la vie en permanence, « l’amour », ici semble le sauveur du monde. Il y a de telles évocations lucides que le prêt à mourir ne joue pas forcément là précisément où on l’attend mais semble racheté ou sauvé de justesse par des grands moments : « des moments de fraternité ». Chez Defalvard, le désespéré gai, enchanteur, tout semble être déjà révolu à peine vécu.
Seul bémol : les étourdissantes descriptions, assez surréalistes parfois, nombreuses très souvent, brouillent un peu la narration, la limpidité de lecture. Certains passages sont nébuleux, d’autres, en revanche, sont assez extraordinaires (hasardons nous pages 283 à 287, fabuleuse partie de Monopoly).
Le narrateur, qui promène sa désillusion, et sa mélancolie implacable, possède une richesse lexicale qui surprend. Au hasard des pages, on peut s’étonner, même chez un très jeune et fervent lecteur de 16 ans (Ponge, Beauvoir revisitée à propos de la mère, excellent) que les mots « glabrismes, avens, encalminés, mordicant, canopée, grincher » soient connus de lui (surtout aujourd’hui).
Marien Defalvard va susciter beaucoup de jalousie auprès de ses contemporains. Parce que son roman tranche avec les fadaises habituelles et les bêtises autofictives de ceux qui n’ont strictement rien à nous raconter et qui sabordent la rentrée de leur mièvrerie poussive. L’opus de Defalvard est un feu d’artifices à toutes les pages, à tous les angles de rues, dans toutes les villes, c’est un jeune auteur démangé d’écriture, qui écrit à foison, à profusion, rien n’arrête les allers et retours de la vie rêvée à la vie vécue à la vie fantomatique, et des paliers d’existence où on va des scènes d’enfant (on se croirait chez Schumann) à celles approchant les cimetières ou les enterrements (on se croirait chez Franz Liszt).
Des « intérieurs humains –qui- sont des paysages », on retient des saynètes où il manque peut-être parfois de la chair et du corps, mais certainement pas de souffle ni d’émotion On dira que certaines métaphores clinquantes, et un usage excessif de néologismes font un peu fourre-tout, mais si on se détourne, ce n’est que brièvement pour reprendre, happé par le rythme et la densité de ce très beau texte.
Grâce à cet étonnant voyageur, fastueux et fiévreux, on respire quelques parfums d’enfance, le sentiment de faire la nique à une époque vile. « Du temps qu’on existait » est un enchantement. Un exaucement. [Laurence Biava]
14 Commentaires
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Merci Laurence de cette chronique, j’ai qques questions pour toi en complément, qui intéresseront peut-être aussi les lecteurs :
– Tu évoques le XVIIIe et le XIXe sicèle, mais le narrateur est censé évoquer les années 60 ou 70 si j’ai bien compris, comment cela transparaît-il dans le roman et cette époque est-elle restituée avec justesse (ce qui ne doit pas être évident au vue de l’âge de l’auteur…) ?
– L’écriture de l’auteur est indéniablement inspirée des plus grands classiques mais la modernité est-elle aussi présente dans ce roman ou est-ce un pur roman de nostalgie du genre "c’était mieux avant" ?
merci de tes éclairages ! 🙂
Ce roman évoque avec beaucoup de nostalgie les années 60 / 70 / 80, celles que j’ai vécues, et envers lesquelles je ressens aussi une profonde nostalgie : Ici, une certaine insouciance y est transcrite. S’y mêlent très joliment les premiers émois éprouvés de l’existence (passages sur les deuils, la séduction, les sensations, le repli).
J’ai été très sensible aux narrations merveilleuses relatant la vie à Sacierges, la vente de la maison familiale, et Bouloire et tous les reflux personnels, comme autant de relents amers. Je voudrais préciser que ce qui m’a plu dans son roman c’est son style moderne, mais un style moderne qui n’est pas sans rappeler celui du 19ème siècle, (et mi XVIIIeme) d’où mon évocation plus haut. La modernité, chacun le sait, n’est ni un concept sociologique, ni un concept politique, ni proprement un concept historique. C’est ce qui s’oppose à la tradition, à toutes les autres cultures antérieures ou traditionnelles. Autrement dit, par rapport à tout ce qui se publie ici et là, ce roman s’oppose farouchement aux modes, et à toutes les conneries que je lis depuis longtemps sur le mode de l’autofiction.
Ce qui frappe d’emblée, c’est donc cette personnalité, ce ton imposant, oui, cette modernité qui balaie d’un revers de la main, ce qui suit et ce qui précède, une modernité incroyable qui irradie. Du fait de cette modernité, ce roman semble mouvant, toujours en transformation. On n’arrête plus les élans, la fougue de l’auteur. Ce sont des flux, des reflux, des transits, je l’ai dit, un truc transitoire, en suspens, quelque chose de fugitif dans le style, de contingent, c’est une moitié d’art, une moitié d’écriture. « C’est l’éternel et l’immuable », nous dit Charles Baudelaire. Je repensais en lisant ce roman et en finissant ma chronique à cette modernité que défend Baudelaire : il parle d’une véritable continuité par rapport au romantisme. Le romantisme se veut libre, mais est surtout enclin à définir les beautés inépuisables de son temps. Ici, c’est bel et bien le cas. Que fait le romantique s’il ne se hasarde pas à la conquête de terres d’imaginations nouvelles prêtes à être fécondées. J’ai le sentiment que ce roman rompt entre ce qui a été et ce qui demeure. Et Stendhal, dont l’âme palpite ici souvent, – il n’est pas le seul – dit bien : « Un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Son miroir montre la fange, et vous accusez le miroir ».
Il me semble que la modernité de ce roman prolonge le romantisme qu’il revendique puisque celle-ci poursuit cette volonté de rompre avec ce qui fut, sans pour autant rejeter les « jadis » et les « naguère ». C’est là tout son charme et sa force. La modernité n’est rien d’autre que ce qui s’inscrit dans une époque : art, histoire, comportements sociaux-culturels et psychologiques, (charme d’antan, passéiste, certain ici), elle est également ce qui demeure « immuable » et « éternel » puisque l’homme reste acteur et moteur de son environnement. Même si une évolution liée aux progrès et l’essor de la pensée intervient, il n’en reste pas moins que l’homme dépeint encore et toujours les traits fondamentaux de l’homme. Les batailles, les guerres de religion, les conflits de classe ont toujours existé. Ce qui change, c’est l’ère mais l’homme demeure « éternel ».
Defalvard nous parle beaucoup d’éternité. Et moi, je parle de peinture parce que ce roman m’évoque une gigantesque fresque. Si l’on compare les tableaux de Raphaël et de Cézanne, quels changements voyons-nous hormis le style pictural ? Ils représentent tous deux toujours l’homme. Que l’on compare Les Trois Grâces de Raphaël et les Cinq baigneurs de Cézanne, ne voyons-nous pas toujours l’homme, peint différemment, mais toujours fidèle à sa nature ? On voit clairement que le temporel et l’intemporel entretiennent ainsi un lien très étroit. Eugène Ionesco « Un Renoir, un Manet, des peintres du XVIIe ou du XVIIIe siècle n’ont pas eu besoin de connaître les peintures des autres époques pour retrouver et exprimer la même attitude, ressentir la même émotion devant cette attitude habitée par la même inaltérable grâce sensuelle » La classe et le génie de Defalvard, c’est d’avoir écrit un roman "éternel" à la fois distingué, distinct : dans la rentrée littéraire, il fait figure de proue et d’outsider.
Chère Madame,
Ceci est de loin la meilleure critique que j’ai lue jusqu’à maintenant sur "Du temps qu’on existait". Vous avez admirablement compris le livre ; bien mieux que moi, sans aucun doute.
Bien à vous,
Marien Defalvard
J’ai l’impression que quelques que soient les premières dithyrambes, elles auraient été applaudies des deux mains par l’auteur. Quant à n’avoir rien à redire à l’interprétation d’un lecteur, cela relève d’un manque incroyable de convictions.
Je n’ai jamais lu du Gongora mais la lecture des extraits me fait penser à ce que je m’imagine être du gongorisme moderne.
De quoi me faire retrouver foi en l’écriture française, j’ai très envie de lire Marien du coup…
Ce livre est ce qu’on appelle un "centon" en littérature.
L’interview de cet auteur sur France Culture en ce moment même est insupportable de préciosité et d’amour de soi. Etonnant, effectivement, à cet âge. Mais pénible.
Sans avoir encore entendu parler de cet écrivain, je suis tombé sur son entretien avec Alain Veinstein sur France Culture…
http://www.franceculture.com/emi...
Ce fut un choc ! Bien que presque endormi, j’ai sauté du lit pour monter le son.
"Notre époque ne sait plus se poser la question du sens…Comment voulez-vous alors qu’elle fasse des recherches sur la sagesse, comme les anciens, qu’elle crée des héros intéressants ?"
Mon dieu, me suis-je dit, mais c’est la fin du monde, un être vivant, à la radio ??
Candeur, culture, profondeur, simplicité…époustouflant !
Il était grand temps que quelqu’un secoue le marasme contemporain !
Bon courage, Marien !
C’est en suivant une émission littéraire de Tf1 que j’ai découvert l’oeuvre de ce génie. Je n’ai pas encore eu le temps de la lire mais à entendre les éloges à son sujet, ma curiosité grandit démesurément.
@notule: vues les inepties incorrigiblement superficielles publiées depuis une vingtaine d’années, Marien me semble être un excellent virage. A choisir je préfère le bel amour de soi que le vomi de bébé servi en confessions d’enfants du siècle de certains "fils de".
Quelques mots, seulement, pour faire remarquer aux thuriféraires précoces du "génie" mentionné que ladite génialité, de même que le chapelet de ses vertus reconnues (candeur, culture, profondeur…), ne l’empêche d’écrire "que j’ai lue" pour "que j’aie lue", qui est la forme correcte. L’orthographe est encore, du moins je l’espère, une prérogative des "écrivains", à moins que l’utilisation de vocables rares, coruscants et superfétatoires n’y suffisent : dysgraphie et vocabulaire prétentieux font un drôle scribouillard.
à Dark Poui : Defalvard (ou la publicité faite autour de lui) vous agace, très bien, cependant la faute que vous croyez relever n’en est pas une. Point de subjonctif à utiliser ici, le passé composé est bien suffisant… ("le livre que j’ai lu", "la banane que j’ai mangée", etc…
J’espère juste que ton succès, Marien, ne te rendra pas plus invivable que tu ne l’es déjà. Je lirais ton travail par curiosité, en ayant toujours en tête ce que tu as fait subir à ton entourage pendant cette période.
"Notre époque ne sait plus se poser la question du sens"
Quelle lumière ! Nous allons bientôt entrer dans des temps apostoliques !
Nicolas, malheureusement, j’eusse aimé que vous fussiez Nicolas de Cues et non Zoïle, car l’erreur relevée en est bien une : retournez donc sur les bancs de l’école, ou consultez (ô miracle) un bescherelle, et cela vous arrivera des horizons sans bornes.
P.s : lorsque l’on ne connaît pas sa conjugaison, on ne se préoccupe pas de celle d’autrui, en l’occurrence juste.