Publiée en 1925 (peu après le tremblement de terre de 1923 qui détruisit Tokyo), « Une amour insensé » est l’un des chefs d’oeuvre du grand romancier japonais, Tanizaki. Dénoncé à sa parution comme « le reflet d’un esthétisme décadent, en raison de son indécence revendiquée« , il dépeint l’histoire « d’amour » singulière, entre possession et manipulations, d’un couple japonais, en pleine occidentalisation du Japon. Sa jeune héroïne Naomi exerce notamment sur son mari plus âgé une fascination charnelle qui se traduit pas de nombreux passages descriptifs d’une grande force lyrique et poétique. Tanizaki y célèbre le corps (et surtout la peau) féminin avec une minutie troublante :
La beauté d’une femme sortant du bain :
« On parle toujours de la femme « à sa sortie du bain »… Mais sa vraie beauté se révèle moins tout de suite après sa sortie de l’eau qu’au bout d’un certain temps, un quart d’heure, vingt minutes. Lorsqu’elles sont encore toutes trempées, la peau, même chez les plus jolies femmes, garde quelque temps des marbrures rouges, les extrémités sont gonflées, congestionnées ; mais le corps revenu à sa température normale, la peau prend l’aspect diaphane de la cire durcie. Naomi, pour avoir été fouettée par le vent pendant son retour du bain, se trouvait précisément au meilleur moment, quand la beauté atteint son point culminant. Sa peau fine, fragile, encore imprégnée de buée, avait une blancheur éblouissante et, vers la gorge, dissimulée derrière le col du kimono, se dessinaient, avec des tons d’aquarelle, des ombres couleur de lavande. Son visage comme tapissé d’une fine pellicule de gélatine, avait un éclat soyeux, lustré ; seuls, les sourcils étaient encore mouillés, au-dessus desquels le ciel d’hiver entièrement dégagé déployait par-delà les vitres ses tons bleu pastel. »
Vers la fin du roman, une magnifique scène où la malice de Naomi, tentatrice provocatrice, atteint son comble, au grand ravissement (masochiste) du narrateur, lors d’une scène du rasage de cheveux dans sa nuque. Ode admirative à sa beauté vénéneuse… :
« Comme perdue dans ses pensées, les yeux fixés sur le miroir, on eût dit qu’elle savourait le plaisir d’être caressée par la lame, tandis qu’elle se laissait docilement faire. Je percevais le bruit régulier, assoupi, de sa respiration ; je voyais sous son menton battre sa carotide. J’étais maintenant proche de son visage pour être picoté par ses cils. Par-delà la fenêtre, la lumière pure du matin brillait si claire dans l’air sec, si éclatante que je pouvais détailler chaque pore de sa peau. Jamais il ne m’avait encore été donné de dévorer des yeux à loisir, dans une telle lumière, avec tant de minutie, les traits de la femme que j’aimais. A la voir sous cet angle, sa beauté prenait une grandeur prodigieuse, me harcelait de sa richesse et de son ampleur… (…) une merveilleuse architecture (…) le dévalé abrupt des deux lignes reliant le nez à la bouche.
Ah : la surnaturelle substance que ce « visage de Naomi ».
… Dans ma main, le rasoir glissait le long de sa peau en pente douce, depuis la nuque jusqu’aux épaules. Le dos parfait de Naomi, d’une blancheur de lait, emplit mon champ visuel de sa masse ample et haute. (…) Mes mains, mes doigts ont fôlatré gaiement sur cette neige à la beauté inquiétante. »
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