Jane Eyre de Charlotte Brontë, publié en 1847, a été adapté depuis plus d’une vingtaine de fois au cinéma et à la télévision (dont une énième nouvelle version en cet été 2012). C’est le premier roman publié de l’auteur anglaise du Yorkshire (sous le pseudo de Currer Bell), dont le livre précédent, « The Professor », avait été refusé par sept éditeurs. L’histoire est présentée comme l’autobiographie de l’héroïne (ce que l’on nommerait davantage « autofiction » de nos jours puisque il s’inspire de plusieurs épisodes de la vie de l’auteur transposés et romancés ou encore de son aspect physique « small », « plain but intelligent »). La première traduction française, par Noëmie Lesbazeilles-Souvestre, est publiée en 1854 sous le titre « Jane Eyre ou les Mémoires d’une institutrice ». Souvent assimilé au courant des grands romans victoriens (de moeurs, réalistes), aux côtés de Dickens, Thackeray et surtout Jane Austen (à qui elle n’appréciait pas être comparée, qualifiant ses romans de « jardin trop net et bien cultivé »), Charlotte Brontë (et plus encore sa soeur, Emilie, avec « Les Hauts du Hurlevent »), avec ses personnages sombres et tourmentés, renoue davantage avec le romantisme et le gothique, qu’elle fusionne avec des thèmes de société modernes.
Roman de formation, inaugurant l’une des premières héroïnes qualifiée de « féministe », roman d’amour « immoral », de l’imaginaire et des mystères, le roman fascine par son ambivalence, entre rébellion et traditions. Remise en avant (cf : palmarès des héroïnes littéraires) suite à la vogue actuelle des romans de vampires initiée par la saga Twilight, on peut se demander quel est le leg de Jane Eyre aux héroïnes modernes actuelles de la littérature et sur sa perception actuelle ?
De l’enfance au mariage : un roman de formation total
Brontë nous raconte l’histoire de son héroïne depuis la tendre enfance, ce qui n’est pas le cas de tous les romans de formation (Bildungsroman), et nous la rend d’autant plus attachante. Elle parvient ainsi à restituer avec justesse et profondeur chaque étape de sa vie et plus particulièrement son évolution. Ce large spectre inclut les années cruciales de sa jeunesse particulièrement fondatrices de sa force de caractère. Malgré la situation très dure qu’elle vit, victime de la tyrannie et de l’injustice de ses tante et cousins, elle n’apparaît jamais larmoyante même si sa souffrance est grande.
Toujours très réfléchie, elle affronte leurs sévices avec calme et raison, cherchant toujours à dominer sa peur, en s’accrochant à ses refuges (comme la lecture) et son univers intérieur fertile. De même, lors de l’autre grande épreuve de sa vie (la décision de quitter le confort de Thornfield et l’errance dans les landes, affamée et démunie), elle fait preuve avant tout de courage et de raison. Ce qui permet au récit de ne pas basculer dans le « mélodrame », contrairement à l’accusation lancée par un célèbre critique littéraire de l’époque, G.H Lewes. Même s’il est vrai qu’elle livre avec force détails ses calvaires, mais néanmoins réalisme. Sans pour autant s’y complaire, puisque ces moments alternent avec les moments de « renaissance » qui n’en ont alors que plus d’impact, par contraste.
Si le roman débute dans un climat particulièrement noir (qui reste néanmois peut-être la partie la plus prenante du roman), il suit une pente ascendante en demi-teintes. Brontë évite ainsi l’écueil manichéen même si le « découpage » très structuré de toutes ces séquences de vie peut avoir un effet « scolaire ».
Son arrivée et son éducation à Lowood sont bien sûr déterminantes pour affûter ses qualités, l’apaiser et affiner quelque peu son caractère encore « brut ». Ce qu’elle constate elle-même : « I had imbibed from her something of her nature and much of her habits: more harmonious thoughts: what seemed better regulated feelings had become the inmates of my mind. I had given in allegiance to duty and order; I was quiet; I believed I was content: to the eyes of others, usually even to my own, I appeared a disciplined and subdued character. »
Elle y épanchera sa soif d’apprendre et de relations humaines enrichissantes. Elle y développe aussi son sens critique face à l’injustice sociale et à l’hypocrisie des fondateurs du pensionnat censé être caritatif, mais qui, par avarice, conduisent à la malnutrition et maladie des élèves. Au passage, elle brocarde leur dévotion religieuse comme lorsque Jane déclare, avec une impertinence ingénue, au directeur du pensionnat, qu’elle n’aime pas les psaumes qui ne lui semblent pas « intéressants », lorsque celui-ci lui demande si elle lit la bible.
Plus tard à Thornfield, elle aiguisera encore cette aptitude, en découvrant notamment l’aristocratie anglaise, à travers le personnage de Blanche Ingram, sa « rivale »mondaine, arrogante et méprisante, qui s’avèrera aussi cupide (la famille Ingram s’avère un alter-ego des Reed). Le rapport des classes sociales est ici décrypté, de façon assez manichéenne. Les Ingram critiquant les gouvernantes : « I noticed her; I am a judge of physiognomy, and in hers I see all the faults of her class. » Les classes sociales sont également explicitement citées lorsque jane croit que Mr Rochester souhaite épouser Blanche Ingram pour des questions d’intérêt financier et de rang social. Enfin, elle n’hésite pas à brocarder également le dévotisme religieux, en part
Ce qui frappe dans ce personnage est sa acuité d’observation de son entourage, hommes et femmes, aussi bien physique que morale (tel sa description détaillée de Mrs Reed et bien sûr celle de Rochester) mais aussi son sens de l’analyse. Brontë brosse ainsi un portrait particulièrement fouillé et profond du personnage, relatant toutes les étapes de son évolution.
L’amour : catalyseur de son destin
Particulièrement aiguë au début du roman, la solitude de jane Eyre est un état récurrent de la jeune-femme qui se fait sentir plus ou moins fortement au fil du roman. Son besoin d’amour criant est particulièrement ressenti lors d’un passage du chapitre 4 où elle n’a que sa poupée à laquelle se raccrocher pour un peu de chaleur et de tendresse : « I undressed hastily, tugging at knots and strings as I best might, and sought shelter from cold and darkness in my crib. To this crib I always took my doll; human beings must love something, and, in the dearth of worthier objects of affection, I contrived to find a pleasure in loving and cherishing a faded graven image, shabby as a miniature scarecrow. It puzzles me now to remember with what absurd sincerity I doated on this little toy, half fancying it alive and capable of sensation. I could not sleep unless it was folded in my night-gown; and when it lay there safe and warm, I was comparatively happy, believing it to be happy likewise. »
Les premières personnes à combler cette solitude affective sont les bonnes de la maison de son enfance à Gateshead, comme Bessie qu’elle retrouvera des années plus tard. Mais leurs attentions assez rustres à son égard ne sont que des pis-allers. Et c’est surtout à Lowood qu’elle nouera de véritables relations d’amitié très fortes, sous le signe de l’émulation intellectuelle, avec notamment la jeune Helen Burns à la fin tragique et la professeur Miss Temple qui lui enseigne notamment le français et le latin. Avec la première, elle affirme son caractère critique qui se révèle par contraste puisqu’Helen s’en remet aveuglément, voire fanatiquement, à sa foi chrétienne et ne cherche jamais à se rebeller contre l’injustice des mauvais traitements qu’elle subit à Lowood (au point d’en succomber…). Mais c’est aussi une élève très brillante qui suscite l’admiration de Jane et qu’elle prendra comme modèle en quelque sorte. C’est ainsi que malgré les conditions de vie difficiles du pensionnat et les privations, Jane s’épanouit pleinement et va jusqu’à citer Solomon à cette occasion qui disait : « Better is a dinner of herbs where love is, than a stalled oxand hatred therewith. »
Le personnage de Jane est avant tout passionné, prompt à l’exaltation (incarnation du style romantique), excessivement, comme lui reprochera son amie Helen (« Hush, Jane! you think too much of the love of human beings; you are too impulsive, too vehement », chapitre VIII) C’est ainsi que le catalyseur de son destin est souvent l’amour, ses actions étant guidées par sa volonté d’aimer et d’être aimée sincèrement. C’est ainsi qu’elle repoussera notamment l’idée d’un mariage de raison, pourtant courant à l’époque, avec Saint John.
Rochester ou la romance interdite
Après le temps des amitiés, au coeur du roman, on trouve bien sûr l’histoire d’amour tumultueuse avec le maître de la maison ombrageux et mystérieux qui fera succomber la jeune Jane. Le schéma narratif est désormais bien connu : tout les oppose, de leur classe sociale à leur écart d’âge, et pourtant… A tel point que cette trame est souvent rapprochée de celle d’un « conte de fée » (Cendrillon). La comparaison n’est pas forcément pertinente car ce n’est pas avec son physique ni une belle robe que Jane séduira mais au contraire par son intelligence et indépendance d’esprit. De même qu’elle est qualifiée de « plain » (commune), aux traits physiques peu flatteurs, il est souvent fait allusion à la laideur de Rochester, ainsi qu’à son aspect « sévère » ou « austère », associé au feu et à l’acier, ce qui constitue d’ailleurs une force d’attraction pour Jane. A l’opposé d’un « prince charmant » ou d’un jeune premier, il finira même diminué ! « He had a dark face, with stern features and a heavy brow; his eyes and gathered eyebrows looked ireful and thwarted just now » ; « the frown, the roughness of the traveller, set me at my ease. »
Des défauts qui deviennent des qualités aux yeux de l’héroïne qui s’en sent ainsi plus proche, dans une sorte de gémellité larvée. L’union de deux êtres imparfaits en somme.
Un anti-héros masculin qui n’est pas sans rappeler le fameux « Heathcliff » dans « Les Hauts du Hurlevent », encore plus sombre et tourmenté. Deux hommes en proie à leurs démons intérieurs, aux pulsion auto-destructrices. Le rapprochement a pu être poussé jusqu’au Darcy de « Pride and prejudice » (J.Austen), homme d’apparence rustre et arrogante qui suscite de prime abord l’antipathie.
Brontë sait distiller suspense et rebondissements dans cette romance, où les non-dits et les sentiments sont sans cesse refoulés, feints ou mis à l’épreuve. Parmi les plus belles scènes de ce chassé-croisé, citons les soirées mondaines données par Rochester où Jane Eyre se fait violence pour ne pas le regarder, ce qu’elle décrit avec une grande poésie désespérée : « No sooner did I see that his attention was riveted on them, and that I might gaze without being observed, than my eyes were drawn involuntarily to his face; I could not keep their lids under control: they would rise, and the irids would fix on him. I looked, and had an acute pleasure in looking, -a precious yet poignant pleasure; pure gold, with a steely point of agony: a pleasure like what the thirst-perishing man might feel who knows the well to which he has crept is poisoned, yet stoops and drinks divine draughts nevertheless. Most true is it that « beauty is in the eye of the gazer. » (chapitre 17)
C’est alors qu’elle prend conscience de la force de son amour, à travers cette très belle déclaration intérieure : « He is not to them what he is to me, » I thought: « he is not of their kind. I believe he is of mine; — I am sure he is — I feel akin to him — I understand the language of his countenance and movements: though rank and wealth sever us widely, I have something in my brain and heart, in my blood and nerves, that assimilates me mentally to him. »
Brontë explore aussi, avec minuitie l’éclosion de ses sentiments ainsi que le dilemme qui déchire Jane, face à cet amour contre lequel elle tente de lutter, faisant appel à toute sa raison (une expérience vécue par l’auteur qui a dû réfréner ses sentiments non réciproques pour son professeur de français en Belgique). Ce qui donne quelques passages tragicomiques où elle s’auto-réprimande dans une langue haute en couleurs, ne manquant pas de dérision, elle qui n’est qu’une « dependent and a novice » : ‘YOU,’ I said, ‘a favourite with Mr. Rochester? YOU gifted with the power of pleasing him? YOU of importance to him in any way? Go! your folly sickens me. (…) How dared you? Poor stupid dupe!—Could not even self- interest make you wiser? (…) Cover your face and be ashamed! (…) Blind puppy! Open their bleared lids and look on your own accursed senselessness! It does good to no woman to be flattered by her superior, who cannot possibly intend to marry her; and it is madness in all women to let a secret love kindle within them, which, if unreturned and unknown, must devour the life that feeds it; and, if discovered and responded to, must lead, ignisfatus-like, into miry wilds whence there is no extrication. »
Le personnage de Rochester a aussi pu être accusé d’être « pervers », « manipulateur » voire « sadique », dans diverses analyses du roman. Soufflant le chaud puis le froid, prévenant puis soudainement sarcastique, brusque ou indifférent… On l’interprétera davantage comme le comportement d’un homme, complexé par son physique, blessé et trompé à plusieurs reprises qui cherche à s’assurer de la loyauté et de la véracité des sentiments que l’on peut lui porter. C’est notamment en voulant tester jalousie de Jane qu’il met à jour ce caractère, outre bien sûr la dissimulation de sa « double vie ». Il la met en garde contre ce sentiment dévastateur qui lui est bien familier à travers une tirade remarquable : « You never felt jealousy, did you, Miss Eyre? Of course not: I need not ask you; because you never felt love. You have both sentiments yet to experience: your soul sleeps; the shock is yet to be given which shall waken it. You think all existence lapses in as quiet a flow as that in which your youth has hitherto slid away. Floating on with closed eyes and muffled ears, you neither see the rocks bristling not far off in the bed of the flood, nor hear the breakers boil at their base. But I tell you—and you may mark my words—you will come some day to a craggy pass in the channel, where the whole of life’s stream will be broken up into whirl and tumult, foam and noise: either you will be dashed to atoms on crag points, or lifted up and borne on by some master-wave into a calmer currentas I am now. Si l’homme était vraiment un être « maléfique » ou « cruel » (comparé à « Barbe bleue »), il aurait par exemple choisi d’épouser Blanche Ingram et fait de Jane sa maîtresse, ce qui était une attitude courante à l’époque. Au contraire, il préfèrera transgresser les conventions par amour pour elle.
Jane Eyre, une héroïne « féministe » ?
L’une des caractéristiques du roman et qui en fait toute sa modernité est l’étiquette de « féministe » collée fermement sur le front innocent de Jane Eyre. Ce qui frappe en effet, d’autant plus dans la société victorienne qui tient les femmes dans un carcan moral et social, c’est sa volonté farouche d’indépendance de self-accomplissement, sa soif d’apprendre, de se cultiver, de s’élever et surtout de découvrir, de « vivre » au sens de l’action, d’être active et non passives et soumises comme le sont les femmes de son époque. Découvrir (plutôt que conquérir d’ailleurs, il n’y a pas d’ambition dominatrice chez elle) le vaste monde. Ce qui en fait un personnage particulièrement positif et attachant. « It is in vain to say human beings ought to be satisfied with tranquillity: they must have action; and they will make it if they cannot find it. Millions are condemned to a stiller doom than mine, and millions are in silent revolt against their lot. Nobody knows how many rebellions besides political rebellions ferment in the masses of life which people earth. Women are supposed to be very calm generally: but women feel just as men feel; they need exercise for their faculties, and a field for their efforts, as much as their brothers do; they suffer from too rigid a restraint, too absolute a stagnation, precisely as men would suffer; and it is narrow-minded in their more privileged fellow-creatures to say that they ought to confine themselves to making puddings and knitting stockings, to playing on the piano and embroidering bags. It is thoughtless to condemn them, or laugh at them, if they seek to do more or learn more than custom has pronounced necessary for their sex. »
En VF : « Il est vain de dire que les hommes doivent être heureux dans le repos : il leur faut de l’action, et, s’il n’y en a pas autour d’eux, ils en créeront ; des millions sont condamnés à une vie plus tranquille que la mienne, et des millions sont dans une silencieuse révolte contre leur sort. Personne ne se doute combien de rébellions en dehors des rébellions politiques fermentent dans la masse d’êtres vivants qui peuple la terre. On suppose les femmes généralement calmes : mais les femmes sentent comme les hommes ; elles ont besoin d’exercer leurs facultés, et, comme à leurs frères, il leur faut un champ pour leurs efforts. De même que les hommes, elles souffrent d’une contrainte trop sévère, d’une immobilité trop absolue. C’est de l’aveuglement à leurs frères plus heureux de déclarer qu’elles doivent se borner à faire des poudings, à tricoter des bas, à jouer du piano et à broder des sacs. »
Son personnage est souvent décrit comme « rebelle » : la jeune-fille s’oppose en effet depuis l’enfance, à diverses figures d’autorité, qu’elle juge injuste ou mal-intentionnées. Au lieu de se soumettre à la majorité ou au moule social et moral, elle préfère se fier à son propre jugement et à sa raison pour prendre ses décisions. En revanche, il paraît exagéré de l’associer à une « révolte patriarcale ». Sa révolte s’exprime sur les idées, les valeurs et non sur un critère sexué.
A l’inverse, on pourrait même dire que Jane semble en recherche d’un père, elle qui souffre de la perte du sien, ou encore de son oncle. Rochester, son aîné, pourrait bien incarner, ce père de substitution. Même si elle refuse farouchement toute relation de dépendance matérielle ou de « possession », ce qui marque encore son désir de liberté.
Leur première rencontre symbolise parfaitement ce caractère et la relation qu’elle entretiendra par la suite avec lui : contrairement à la coûtume, ce n’est pas Jane qui joue les demoiselles en détresse et Rochester qui vole à son secours, mais tout l’inverse ! Un beau pied de nez à l’image classique romantique. Enfin, ce qui frappe aussi en elle est sa lucidité, elle refuse de se laisser berner par de belles paroles ou promesses (religieuses ou sentimentales) et n’hésite pas à remettre en cause sa situation ou à prendre des décisions difficiles quand il le faut. Toutefois, transformer Jane en porte-drapeau de la cause féministe ne lui sied pas vraiment et paraît même assez réducteur. Elle apparaît davantage comme un personnage insaisissable, ne voulant se laisser classer ou enfermer dans aucune catégorie connue. Et c’est en cela qu’elle surprend et séduit, comme ne cesse de lui dire Rochester.
Un texte sous influence française : entre haine et amour
On le sait Charlotte Brontë, tout comme Jane, avait appris le français et était d’ailleurs tombée amoureuse de son professeur (belge), non réciproquement. D’autre part, la France souffrait de l’antipathie britannique en raison de la Révolution et des guerres napoléoniennes. Tout ceci contribue à installer un rapport d’attraction-répulsion pour cette langue et son peuple qui se ressent tout au long du texte de Jane Eyre. A commencer par le personnage de la frivole et volage française Céline Varens, une danseuse, qui fera souffrir Rochester par son infidélité, dont les traits de superficialité et de coquetterie se retrouvent chez sa pupille, Adèle dont Jane s’occupera. Les piques à l’encontre de ces deux françaises ne manquent pas, jamais à un cliché ou une caricature près !, comme lorsqu’elle commente au chapitre 15, le babillage d’Adèle, « (…) which betrayed in her a superficiality of character, inherited probably from her mother, hardly congenial to an English. »
Céline Varens incarne ainsi un anti-modèle pour Jane qui ne veut surtout pas être traitée « comme une poupée » lorsque Rochester veut l’emmener faire les magasins.
Brontë accorde aussi une large place au français dans son texte à travers le babillage d’Adèle mais aussi dans les termes anglais qu’elle choisit, souvent dérivés du français/latin (« visage », « naivete », « to descend » au lieu de « go down », « an attire » au lieu d’outfit, « habituated », « to part » pour partir, « casement » pour une fenêtre, « to recollect » au lieu de « to remember », « relinquish » pour « give up », « ameliorate »…). Ces termes étant souvent considérés comme plus « littéraires ».
Son style est ainsi souvent considéré comme plus difficile d’accès que Jane Austen par exemple. Elle fait aussi usage d’un certain nombre d’expressions de vieil anglais, comme « drawing room » pour le salon et de vocabulaire ou tournures formelles (« hitherto »…).
Un roman d’atmosphère
La langue très fouillée et riche de l’auteur nous plonge dans de nombreux décors au réalisme fantasmatique, qualifié de « gothique ». Les costumes de chacun(e) sont aussi précisément détaillés, reflétant leur caractère et classe sociale. Des manoirs « hantés » par la mort ou la folie, labyrinthiques, jusqu’aux paysages tour à tour splendides ou hostiles et effrayants au gré des saisons. La nature joue bien sûr un grand rôle, courant romantique oblige, et influe sur les sentiments de l’héroïne. Des célèbres landes battues par le vent (moors) qui serviront de cadre à son errance jusqu’au verger enchanté de Thornfield ou le jardin de Lowood où elle tiendra de longues discussions avec sa chère Helen Burns… Tel un peintre (loisir favori de Jane d’ailleurs), elle s’attache à décrire chaque arbre ou fleur, dans toutes leurs nuances, ombres et lumières. Comme cette description du jardin de Lowood lors de l’éveil printanier : « (…) a greenness grew over those brown beds, which, freshening daily, suggested the thought that Hope traversed them at night, and left each morning brighter traces of her steps. Flowers peeped out amongst the leaves; snow- drops, crocuses, purple auriculas, and golden-eyed pansies. On Thursday afternoons (half-holidays) we now took walks, and found still sweeter flowers opening by the wayside, under the hedges. I discovered, too, that a great pleasure, an enjoyment which the horizon only bounded, lay all outside the high and spike-guarded walls of our garden: this pleasure consisted in prospect of noble summits girdling a great hill-hollow, rich in verdure and shadow; in a bright beck, full of dark stones and sparkling eddies. »
Jane Eyre, une influence pour les héroïnes modernes ?
Personnnage indépendant, à l’intelligence vive, Jane Eyre suscite encore aujourd’hui l’admiration. Elle aurait en effet inspirée diverses héroïnes en particulier la « Jo March » de Louisa May Alcott( Little Women/Les quatres filles du Dr March) mais aussi J.K. Rowling. Toutefois son côté vertueux et trop lisse, respectant les conventions malgré tout (en particulier le final à l’eau de rose du roman), peut sembler un peu dépassé, bien qu’elle ne soit pas parfaite.
3 Commentaires
Grand roman classique ! Et à voir au cinéma en ce moment, le film de Cary Fukunaga, que j’ai particulièrement apprécié.
Je suis assez d’accord avec l’analyse de l’article concernant le supposé « féminisme » du personnage. Pour moi, elle veut surtout être libre et décider des choses de la vie par elle-même.
oui le film est a priori très fidèle au livre mais les critiques sont un peu mitigées…
le réalisateur disait qu’il avait justement voulu mettre l’accent sur le côté « féministe » de jane eyre
m’étant précipité sur au moins 4 adaptations du roman, je conseille vivement la production de la BBC de 1983 (version complète car les ré-éditions ont fait des coupes regrettables) : version bien plus fidèle , qui rend à merveille le côté ombrageux et en contraste les qualités humaines de Rochester à travers l’irrésistible Thimoty Dalton
Je ne me lasse pas de voir et revoir le DVD , en améliorant mon anglais , en plus, car le roman est merveilleusement écrit ( un régal littéraire). Attention : écouter-le en VO (en version VF, les personnalités sont carrément dénaturées ! Sacrilège total)
Je suis fan aussi, de toute la littérature anglaise du XIXéme : George Elliot, Thomas Hardy, Thackeray, Forster, Anthony Trollope…Virginia Woolf..
D’ailleurs Virginia Woolf disait que l’écriture de Jane Austen était du « Mozart »; je comparerais donc l’écriture de Charlotte Brontë à la musique de « Beethoven »