Au XXIe siècle, les femmes ont-elles encore besoin du féminisme ? Si l’on en juge par les résultats de récentes études, il semble bien que leur combat ne soit pas fini pour s’imposer et faire reconnaître leur place dans le monde littéraire et des connaissances de façon plus générale :
On entend régulièrement des complaintes sur le sexisme du milieu littéraire. VIDA, une association américaine pour femmes dans le domaine littéraire a ainsi eu la bonne idée, depuis 2010, de comptabiliser le nombre de critiques masculins et féminins dans divers grands titres de la presse anglo-saxonne (du Times Literary Supplement à la London Review of Books…). Le constat est flagrant : ce sont les hommes qui sont majoritairement aux commandes avec pour corollaire une préférence donnée aux livres écrits par des hommes.
Ainsi la LRB comptait en 2012 seulement 24% de critiques femmes (soit 66 sur un total de 276) et un total de 27% de livres chroniqués écrits par des femmes. Les chiffres tombent respectivement à 16% et 22% pour la New York Review of Books, tandis que le TLS ils se situent à hauteur de 30% et de 25%.
Quand au magazine Harper’s l’effectif féminin ne fait que chuter depuis 3 ans passant de 21% en 2010 à 19% en 2011 et 11% en 2012. Même tendance pour le journal « New Republic » et la « Paris Review ».
En 2012, l’auteur anglaise à succès Joanna Trollope et membre du jury du prix « Orange » dédié aux romancières, évoquait dans une tribune, les résultats d’une autre étude réalisée quelques années plus tôt (par le Professeur Jenny Hartley de l’université Roehampton à Londres) sur les différences de choix littéraires entre hommes et femmes. Il s’était alors avéré que les hommes étaient moins patients pour la lecture de livres longs et moins empathiques sur le sujet tout en étant soucieux de ne pas écarter d’écrivains d’un revers de main. De leur côté les femmes ne se souciaient pas de la longueur du livre ou d’éliminer certains titres mais valorisaient grandement l’humanité du sujet. Elle souligne donc les différences de lecture existantes, qui impactent bien, selon elle, la façon d’évaluer, accréditer et promouvoir les livres, dans une logique assez discriminante au final.
Un nouveau pavé dans la mare vient d’être lancé avec la découverte d’une manœuvre de Wikipédia visant à (dé)classer les femmes écrivains américaines dans une sous-catégorie « American Women Novelists » au lieu de la page courante « American Novelists« . L’auteur franco-américaine Amanda Fillipacci s’en est indignée dans le New York Times d’avril 2013 pointant : « Ce sont peut-être des petites choses comme celles-ci qui rendent encore plus difficile et long le fait que les femmes obtiennent l’égalité dans le milieu littéraire ». La romancière Joyce Carol Oates l’a notamment soutenue en déclarant sur son Twitter « Sur Wikipédia tous les hommes écrivains sont des écrivains, tandis qu’une femme écrivain est une femme écrivain ».
Au rayon des livres scolaires, l’état des lieux n’est pas plus positif. En effet, le Centre Hubertine-Auclert publie depuis 2011 une étude sur la représentation des femmes dans les manuels d’histoire et de mathématiques. Dans les premiers, il relève qu’1 femme pour 5 hommes est citée au niveau terminale, tandis que 11 biographies de femmes sur un total de 339 apparaissent dans les seconds, pour le niveau seconde. Une figure telle qu’Ada King, dite Ada Lovelace, britannique du XIXe siècle, passionnée de mathématiques et reconnue comme la 1e programmeuse du monde est par exemple omise. Dans d’autres cas leur rôle est minimisé : Emilie du Châtelet ne faisait que traduire les écrits de Newton pour Voltaire. Marie Curie ne faisait qu’assister son mari dans ses travaux…
Sylvie Cromer, sociologue à l’université de Lille 2 et chercheuse associée à l’INED le déplore : « L’humanité a bien deux sexes. Cela démontre qu’un manuel n’est pas le reflet de la réalité, sinon on aurait la parité entre personnages masculins et féminins. Un manuel propose une vision du monde et de l’ordre social. Or, malgré le principe d’égalité acté dans nos lois, nos manières de penser et d’agir sont encore imprégnées de sexisme. »
Si cette situation peut paraître anodine à première vue, elle véhicule pourtant un message sous-jaçent comme le pointe la sociologue : « Les stéréotypes de ce que doivent faire une fille et un garçon sont des freins au développement de toutes les potentialités. »
La vigilance reste donc de mise pour enfin obtenir une visibilité plus égalitaire et juste…
Mise a jour, Aout 2014: Une jeune lycéenne de 17 ans en terminale L, Ariane Baillon, a adressé à Benoît Hamon une pétition pour que les manuels de philosophie prennent davantage en compte la pensée des femmes. « Je pensais aussi explorer la pensée de Simone de Beauvoir, Anne Conway, Simone Weil, Catherine Kintzler, Elisabeth Badinter. Visiblement, aucune d’entre elles n’a sa place dans un manuel de philo. » déplore t-elle a raison. Et d’enfoncer le clou en ajoutant: « Déjà, en première, en cours de Français, on ne nous parlait de George Sand que pour parler de sa liaison avec Alfred de Musset, et on nous faisait travailler « la question de l’homme » ».
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3 Commentaires
pfff affligeant ce sexisme !
Ceci dit depuis le début de l’année mes choix en matière d’achats de livres se sont presque uniquement portés sur des écrivains avec un prénom féminin. C’est le monde à l’envers 🙂
je n’ai jamais fait attention au sexe des auteurs que je lisais jusqu’à récemment, mais aujourd’hui j’essaie de faire plus attention et de moins subir le conditionnement ambiant… c’est assez insidieux tout ça et je trouve bien que certaines choses soient mesurées et démontrées, ça ne peut pas faire de mal !
Autre chose que j’ai remarquée sur Wikipédia, sans entrer ds la paranoïa, c’est qu’il est très courant de détailler la « vie privée » des personnalités féminines, avec un paragraphe ad hoc, ce qui reste bp plus rare, voire absent, chez leurs homologues masculins… cherchez l’erreur !
C’est probablement parce que la vie privée des femmes qui écrivent est bien plus riche que celles des hommes qui écrivent…
Moi pareil avant je ne faisais pas gaffe au genre des auteurs mais depuis quelque temps j’y prête attention. Je ne sais pas très bien pourquoi mais je crois que c’est parce que j’en ai marre que l’homme décide de tout pour nous y compris de ce qu’il y a dans nos cerveaux. Qui peut mieux écrire ce que pense une femme qu’une femme, après tout.
Donc, ce printemps, après avoir terminé un roman de Delphine de Vigan, j’ai enchaîné avec Kathryn Stockett, puis là je commence le premier roman de Titiou Lecoq puis je poursuivrai avec un polar qui parle d’une meurtrière et écrit par une romancière.