« Confession inachevée » de Marilyn Monroe ((« My story » en VO)nous offre une pPlongée au coeur des années 40-50, l’âge d’or du cinéma hollywoodien, au temps des « Mad men » et de « Valley of the Dolls », best seller de l’époque dont les héroïnes sont fortement inspirées de la destinée tragique de la star emblématique de ces décennies : l’iconique Marilyn Monroe. Parmi tous les ouvrages écrits sur elle, il est particulièrement intéressant, de lire un livre écrit ou du moins dicté par elle. Réimprimé aux U.S en 2000 après une première publication en 1974 (traduit en 2011 en France), le livre court de son enfance dans les années 30 (née en 1926) jusqu’au moment de son show devant les soldats sur le front de la guerre coréenne en 1954. Année également de ses mémoires, rédigées par le scénariste Ben Hecht pour mettre fin aux potins des feuilles à scandale notamment. Elle est alors une star montante, après avoir notamment tourné « Gentlemen Prefer Blondes » (« Les hommes préfèrent les blondes »), « How to Marry a Millionaire » et « Niagara » en 1953. On avait découvert la sensibilité de sa voix à travers la publication de ses écrits intimes en 2010 (« Fragments »), dont on retrouve la force et la justesse frappantes ici. Arthur Miller la définissait comme « portée par une sensibilité lyrique et poétique que peu de gens parviennent à conserver au-delà du début de l’adolescence« . Au milieu de bon nombre de phrases devenues anthologiques, elle dessine autant son auto-portrait que celui d’une époque et du milieu du showbiz. On croyait tout savoir d’elle, mais en fait non !
En se livrant à ce projet autobiographique alors en pleine gloire, Marilyn évita l’écueil d’un livre platement chronologique et factuel sur sa vie, avec révélations et détails croustillants à la clé. Ce que beaucoup attendent en le lisant et qui seront donc déçus sur ce point.
Elle réussit au contraire à la transfigurer en un portrait impressionniste très vivant, par petites touches, avec un art de l’effeuillage cinématographique. Zoomant sur certaines zones, certains épisodes marquants, qui semblent bien souvent de simples anecdotes, des détails (mais s’avèrent hautement significatifs), elle laisse la caméra subjective de sa mémoire s’approcher, s’éloigner, effleurer ses souvenirs, les émotions, les épreuves traversées au fil de sa (courte) existence (elle n’a alors que 28 ans).
C’est d’abord le récit de l’enfance dont on a souvent entendu parler depuis, celle de sa mère internée, du ballottage d’orphelinat en famille d’accueil. Les conditions sont dures et misérabilistes, pas loin d’une vraie Cendrillon, mais le ton jamais plaintif ne verse pas dans le pathos. Au contraire, l’actrice sait tirer de ce passé sordide des points lumineux : ses tantes d’adoption qui lui prodiguent un peu de l’amour maternel dont elle a tant manqué, la photo de son père mué en Clark Gable… Et surtout ses rêves-rêveries éveillés, ses « daydreams » colorés et chatoyants qui l’habitent en permanence et l’aident à supporter voire s’échapper de sa dure réalité. C’est peut-être ici qu’il faut chercher l’essence du personnage Marilyn Monroe : dans la matière de ses rêves qui l’ont entièrement façonnée. Il y a cette phrase devenue culte qu’elle écrit (ou fait écrire à Hecht) dans le chapitre intitulé « I begin a new dream » : « There must be thousands of girls sitting alone like me dreaming of becoming a movie star. But I’m not going to worry about them. I’m dreaming the hardest. » (traduit par « C’est moi qui rêve le plus fort« , ce qui pourrait être discuté puisque le verbe « hard » utilisé pourrait se rapprocher de l’expression « working hard »)
Car c’est bien ce qui motive le lecteur, percer enfin le mystère Marilyn. Une quête qu’écrivains, commentateurs, admirateurs n’ont eu de cesse de mener sans succès. Et c’est bien là toute sa force.
On cherche en effet à comprendre finalement pourquoi cette enfant mal-aimée et maltraitée, même abusée, épisode tragique qu’elle évoque avec beaucoup de pudeur et très brièvement, s’est-elle engouffrée avec autant d’abnégation dans cette machine infernale hollywoodienne, au point de tout y sacrifier ?
Le rêve donc. Première pierre de l’édifice Monroe. Premier moteur.
Car l’enfant ne connaît finalement que peu le cinéma, n’ayant tous simplement pas les moyens d’y aller.
Et puis bien sûr l’amour, deuxième fondamental et surpuissant propulseur de la star. Ce besoin affamé d’amour, de regard, d’attention après la privation terrible de l’enfance d’une mère qui ne l’a jamais prise dans ses bras ou embrassée. Au delà du cliché, ce manque semble être véritablement ce qui la poussera à se donner corps et âme aux objectifs et à son public, comme lors de sa périlleuse prestation en Corée qui clôt le livre.
Public qui l’a choisie (contrairement au Studio qui ne la trouvait pas « photogénique ») qui devient sa « famille » comme elle le dit explicitement : « The Public was the only family, the only Prince Charming and the only home I had ever dreamed of. »
C’est ainsi que toute sa vie apparaît sculptée par les manques de Norma dont le fantôme misérable ne cesse d’affleurer sous le maquillage clinquant de Marilyn. Elle réussit particulièrement bien à saisir cette dualité, avec des analogies entre passé et présent lors de certaines situations particulières, comme le bain par exemple. Ce qui nous rappellera la chanson de Vanessa Paradis au passage ! Le bain, où elle aime se prélasser, recèle en effet d’une valeur hautement symbolique pour celle qui devait, étant jeune, se laver dans l’eau usée de sa famille d’accueil. Peut-être son seul luxe car pour le reste, elle est loin d’être matérialiste.
Marylin et les « loups »
Mais cet auto-portrait c’est aussi et surtout le portrait de toutes les rencontres qui ont jalonné sa vie et qui l’ont façonnée chacune à leur manière. Rencontre des « loups » (« the lonely street corner wolves « hi babyng me ») qui la haranguaient dans les rues où elle errait sans le sous et sans amis, puis plus tard ceux des studios voulant abuser d’elle ou la manipuler, mais aussi rencontre des protecteurs, bienfaiteurs qui vont la soutenir, l’instruire, la demander en mariage parfois…, et à qui elle rend hommage. Loin d’être un petit agneau naïf, elle sait se méfier et refuser les grandes promesses que certains lui font ou encore se sauver des griffes des prédateurs.
Ce qui frappe à chaque fois, c’est sa force, alors qu’elle est seule confrontée à ce monde de « bruts », et son absence de rancœur pour ceux qui l’ont agressé(e) ou méprisé(e).
Sa solitude (et celle des autres) hante néanmoins presque chacune des pages, parfois simplement en arrière plan, comme une petite musique de fond et parfois assaillante, terrassante, paralysant la jeune femme au point de vouloir mourir. Où l’on trouve ainsi sa fameuse phrase devenue célèbre (mais son extralucidité a poussé à se demander si elle était vraiment d’elle ou rajoutée a posteriori… ?) : « I was the kind of girl they found dead in a hall bedroom with an empty bottle of sleeping pills in her hand.”
L’une de ses rencontres les plus poignantes est peut-être celle avec un jeune soldat, de retour de la 2e guerre mondiale, tout aussi esseulé et désespéré qu’elle, qui la demande abruptement en mariage et lui propose de vivre dans sa ferme natale d’Ohio, après avoir essayé de l’arnaquer en lui vendant des cartes postales faussement destinées aux blessés de guerre (chapitre « Another soldier boy »).
Elle évoque aussi sa soif d’apprendre, complexée par ses lacunes scolaires qui l’empêchent de comprendre les conversations de son entourage sur Botticcelli ou subissant les critiques de son premier amour sur sa « stupidité ».
Ce qui nous montre ici toute l’ambiguïté du personnage qui jouait de son décolleté (que son mari Joe DiMaggio luttera pour lui faire cacher !) ou les « ravissantes idiotes » mais n’a jamais eu de cesse de vouloir fréquenter des intellectuels et se cultiver.
A ce sujet, l’anecdote qu’elle rapporte sur le livre estampillé « communiste » (The autobiography of Lincoln Steffens)qu’elle vénère à ses débuts et obligée de cacher sous son lit sur les conseils de Mankiewicz, est particulièrement savoureuse et symptomatique du climat de guerre froide qui s’installe alors.
La découverte de sa féminité et son rapport à la séduction
En tant qu’incarnation emblématique de la féminité et de la séduction, il est intéressant de lire ce que le « sex-symbol » pensait vraiment de son statut, mais aussi sa vision des hommes et des femmes (des chapitres ad hoc y sont consacrés). Il pourra ainsi paraître étonnant ou paradoxal de lire que celle qui a suscité tant de fantasmes s’est longtemps désintéressée du sexe (en particulier lors de son premier mariage) jusqu’à rencontrer son premier amour. A ce sujet, elle note : “C’est l’esprit et le cœur d’une femme qu’un homme doit captiver pour donner un attrait au sexe.” (« It is a woman’s spirit and mood a man has to stimulate in order to make sex interesting.« ) Globalement, la jeune fille se sent ennuyée par les assauts masculins qui la harcèlent pour un baiser ou autre faveur. Depuis la découverte de son sex-appeal « mammaire » jusqu’à l’apprentissage de repousser diplomatiquement mais fermement les tentatives parfois musclées de ses prétendants ou encore sa garde-robe jugée trop vulgaire ou « cheap », on suit son évolution. Une féminité extrême qui semble à la fois subie et pourtant exacerbée.
On regrettera néanmoins qu’elle n’aborde pas la création de son personnage de Marilyn, qui avait fait l’objet de savantes expérimentations, en particulier capillaires (probablement pour ne pas casser le mythe ! lire à ce sujet le très bon « Monroerama » avec des textes d’Olivier Assayas, Maïwenn, Marie Darrieussecq, Maylis de Kerangal, ou encore Ann Scott, etc.).
On découvre son point de vue sur son tour lors de la Guerre de Corée en 1954 où l’officier en chef lui demande d’être plus « classe » et moins « suggestive »…
Le manège de la célébrité et la foire aux vanités d’Hollywood
Le plus piquant reste peut-être sa peinture du milieu hollywoodien et de sa faune : des aspirants vedettes aux « faux » agents toujours prêts à leur vendre du rêve jusqu’aux vieilles gloires déchues en passant par les directeurs de casting véreux (cf, le chapitre « Higher, higher, higher » au titre cinglant d’ironie)… Elle gardera une certaine tendresse pour cette bande de « crevards » : « It was a more human place than the paradise I dreamed of and found. » Parmi ses phrases cultes sur le sujet, citons les fameux : “In Hollywood a girl’s virtue is much less important than her hair-do. » ou encore « Hollywood’s a place where they’ll pay you a thousand dollars for a kiss, and fifty cents for your soul« .
On se régale aussi de ses descriptions tragicomiques des « Hollywood parties » où elle s’ennuie férocement, du jeu mondain, de la superficialité stupide et de l’hypocrisie élevés au rang d’art.
« When people are being « social » they don’t dare be human or intelligent. »
Elle nous fait aussi découvrir les dessous du show business de l’époque, machine à broyer de la starlette en série, à les transformer en têtes de gondole que le très orwellien département de la Publicité exhibe en une des journaux, telle des bêtes de cirque (« a freak performer » selon l’expression de Marilyn).
Celle qui se qualifie d' »Hollywood misfit » (titre d’un des chapitres, comme un écho d’avant l’heure au titre de son dernier film achevé en 1961) explique son combat contre 20th Century Fox qui voulait l’enfermer dans son rôle d’objet sexuel et ne l’autorisait même pas à lire les scénarios avant le tournage.
Elle termine en livrant, déjà désenchantée, ses réflexions sur la célébrité qu’elle compare joliment à un « manège » : « Becoming a star is living on a merry-go-round« , réalisant que sa vie de star ne lui apporte pas le bonheur escompté : « My life suddenly seemed as wrong and unbearable to me as it had in the days of my early despairs. »
Tout du long, le ton, profond derrière son apparente simplicité, est d’une parfaite justesse ; une sobriété qui n’est pas sans rappeler la plume d’un Carver par sa façon simple d’évoquer ses tranches de vie, de raconter des anecdotes et de faire mouche presque à chaque fois. On croirait vraiment entendre l’actrice se confier à nous, sans fards ni minauderie. Avec une sensibilité qui évite toute sensiblerie, une grande lucidité et intelligence. Les chapitres courts et vifs se succèdent nous laissant goûter à son art de conteuse et admirer son regard aiguisé qui ne manque pas d’humour même lorsqu’il flirte avec le tragique, sans être jamais cynique. Un seul regret : que le livre s’arrête abruptement suite à l’abandon de l’actrice de ses confessions…
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