Déjà en 2009, j’écrivais un petit « manifeste » interrogeant la notion de « grand écrivain » et le manque de visibilité flagrant des plumes féminines, qui restent les grandes absentes des programmes scolaires et dont l’entrée dans le canon littéraire en particulier canon scolaire officiel reste encore bien problématique (pour ces messieurs). La dessinatrice et blogueuse Diglee s’en ait fait l’écho récemment dans un billet qui a fait le buzz (repris notamment par Le Monde : »Où sont les femmes ? Pas dans les programmes du bac littéraire » puis Libé, « Les femmes de lettres, ces grandes oubliées des programmes« ), dénonçant le totalitarisme de la pensée masculine notamment dans le monde des lettres.
Lorsqu’on veut lire des femmes, connaître la pensée, le point de vue, l’histoire des femmes, cela s’avère bien compliqué parce que… tout ce que l’on nous apprend à l’école c’est la pensée, le point de vue et l’histoire des hommes (blancs, hétérosexuels). S’il est vrai que pendant des millénaires, les hommes ont tout fait pour empêcher les femmes d’abord tout simplement de lire, d’accéder à l’éducation et bien sûr ensuite d’écrire en les cantonnant derrière les fourneaux, dés le 16e siècle (et même avant), elles ont pourtant bravé ce « bâillonnement » et nous ont offert maints chefs d’œuvre.
Mais le canon littéraire, lui n’a pas bougé, ou si peu, refusant de leur accorder la place et donc la visibilité méritée. Récemment (2013), un écrivain et enseignant canadien, David Gilmour, a même déclaré, sans aucun complexe, dans un interview au site canadien Hazlitt ne pas être « intéressé à l’idée d’enseigner des livres de femmes » : « quand j’ai accepté ce travail, j’ai dit que j’enseignerai uniquement des gens que j’aime profondément. Malheureusement, aucun d’entre eux ne sont ni Chinois, ni des femmes /…/ ceux que j’enseigne, ce sont des mecs. Des mecs parfaitement hétéros. F. Scott Fitzerald, Tchekhov, Tolstoï. Des vrais mecs, quoi ».
Ce qui peut s’avérer très frustrant car parfois il faut attendre très longtemps (niveau master) pour avoir « droit » de lire des femmes à l’école. Aux Etats-Unis, on peut suivre des « Women’s studies » avec des cours de littérature dédiés à la littérature écrite par des femmes. Cela n’existe pas encore, sauf erreur de ma part, en France malheureusement.
Bien évidemment, ce n’est pas l’idéal qui serait d’avoir une parité dans les auteurs étudiés dés les petites classes, mais au moins cela laisse le choix de pouvoir « étudier » des femmes et ne pas à devoir se construire en parallèle, tou(e) seul(e) et parfois avec difficulté, cette culture si importante.
Je me suis amusée à collecter ici et là les pseudo justifications de l’absence/ rareté des femmes dans les programmes scolaires pour montrer à quel point elles sont dénuées de base rationnelle et procèdent davantage de la grossière mauvaise foi ou de la facilité.
1/ « Les femmes ont moins écrit que les hommes. »
Cette justification tient éventuellement pour certaines époques (jusqu’au Moyen-Age et encore).
Comment se fait-il alors qu’on parvienne à trouver à l’université des cours consacrés aux écrivains femmes qui apparemment n’ont guère de difficultés à trouver des œuvres à étudier pour plusieurs années…
Et pour donner des idées à ceux qui semblent en manquer, voici de quoi les inspirer :
– Les Femmes Et La Tradition Littéraire – Anthologie du Moyen Age à nos jours Première Partie: Xe-XVIIIe siècles
– Les Femmes Et La Tradition Littéraire: Anthologie Du Moyen Age à nos Jours ; Seconde Partie : Xixe-xxie Siècles
– La tradition des romans de femmes XVIIIe-XIXe siècles
– Genre et légitimité culturelle : Quelle reconnaissance pour les femmes?
2/ « Les femmes ont écrit des œuvres mineures qui n’ont pas marqué leur temps. »
Qui décide/décrète cela ? Sur quels critères se base-t-on pour définir qu’une œuvre a « marqué son temps » (d’autant que bien des « grandes » oeuvres n’ont été reconnues que parfois 1 siècle plus tard… ?)
Ses jugements sont encore une fois subjectifs dépendant des décisionnaires, des gens au pouvoir des instances culturelles et politiques qui sont majoritairement, depuis tout temps… ô surprise… des hommes !
La formation/l’éducation du goût, les jugements esthétiques n’ont rien de « naturel » ou d’évident » ou « d’absolu » ce sont des constructions politico-sociales imposées par les instances dominantes (i.e masculines, hétérosexuelles, eurocentrées) qui les orientent en fonction de leurs propres intérêts et valeurs personnelles.
Les critères, jugements patriarcaux sont ensuite inculqués en masse, répétés à l’école, formatage et bourrage de crâne aussi insidieux qu’efficace. Si vous ne parlez jamais d’un auteur, croyez moi, il restera obscur, mineur et ne marquera pas son temps… CQFD.
En mettant systématiquement en avant les livres des hommes qui se citent, se référencent et se louangent entre eux, appuyés par le système d’enseignement, politique, culturel et médiatique, on arrive vite à se trouver enfermé dans un réseau de livres très majoritairement écrits par des hommes. Et ce sans même s’en rendre compte. Car c’est bien cela la « magie » du système, nous faire croire que tout cela découle du « bon sens », du « oui mais ce n’est pas une question de sexe/genre, mais de qualité littéraire » (ben voyons…).
A notre tour, nous parlons, citons, référençons ces livres (on parle de ce que l’on connaît forcément !), ce bouche à oreille constant, accroissant d’autant leur visibilité et diffusion, alimente ainsi le cercle vicieux. Visibilité excessive des hommes et invisibilité des femmes auto-entretenue qui laissent les livres de femmes « cachés », dans l’ombre, la fameuse bataille de la visibilité dont je parlais.
3/ « Les femmes n’avaient pas accès à l’éducation donc elles n’ont pas pu vraiment écrire. »
Si cela a été le cas pendant effectivement un certain nombre de millénaires, elles ont malgré tout commencé à prendre la plume, du moins en France, en Angleterre et aux Etats-Unis (que je connais mieux) dés le 16e siècle (et même avant). Et si on se donne la peine de chercher un tout petit peu (voir ci-dessus les anthologies citées), je vous assure que l’on trouve de quoi largement ré-équilibrer la parité des programmes. Encore faut-il le vouloir…
4/ « Ce n’est pas le genre qui est important c’est la qualité/importance/intérêt* de l’oeuvre. »
Idem point n°2. Qui (a) déterminé/décrété historiquement (et en juge toujours de façon dominante) de la qualité et de l’importance d’une œuvre ? Pas des femmes sauf erreur de ma part…
A cela s’ajoute le problème que bon nombre de femmes, du fait du système d’enseignement actuel toujours « masculino-centré », reproduisent souvent inconsciemment ce qui leur a été inculqué à l’école (cf culture patriarcale).
C’est la raison pour laquelle il est important de tenir compte du sexe de l’auteur en raison du jugement biaisé dés le départ sur ce qui est « important », ne tenant compte que d’un seul point de vue, un seul type de voix.
* cf. la réponse de Romain Vignest, président de l’Association des professeurs de lettres au journal Libération qui condense à peu près toute la mauvaise foi de ces pseudos excuses… (« Les femmes de lettres, ces grandes oubliées des programmes », avril 2015) : «Par la force des choses, il y a peu de femmes écrivains dans l’histoire, se défend Romain Vignest, président de l’Association des professeurs de lettres. Et celles qui existent sont étudiées : Madame de Sévigné, Christine de Pisan, Marguerite de Valois. Ça n’a pas à devenir un critère de choix des auteurs, nous sélectionnons les œuvres en fonction de l’intérêt littéraire, pas du sexe.» puis «Des auteures féminines ne sont pas suffisamment étudiées, mais il ne faudrait pas essayer de chercher une parité qui ne peut pas exister. Si l’on va chercher des écrivains de second ordre, on va atteindre le but inverse de celui que l’on cherche.»
NB : je n’ai jamais étudié les auteurs qu’il cite au passage et j’aurais bien aimé !! [Alexandra Galakof]
Quelques femmes de lettres sur Buzz littéraire…
Nin Anaïs
Plath Sylvia
Acker Kathy
Angot Christine
Arcan Nelly
Aurita Aurélia
Bouraoui Nina
Brite Z. Poppy
Castillon Claire
Colette
Collins Suzanne
Crane Elizabeth
Darrieussecq Marie
Delaume Chloé
Denejkina Irina
Despentes Virginie
Didion Joan
Donoghue Emma
Ernaux Annie
Etxebarria Lucia
Gaitskill Mary
Gavalda Anna
Guellaty Sofia
Huston Nancy
Jelinek Elfriede
Jourdy Camille
Kérangal (de) Maylis
Labrèche Marie-Sissi
Laurens Camille
Leduc Violette
Legendre Claire
Leroy J.T
Madame de Lafayette
Maroh Julie
Maslowska Dorota
Nothomb Amélie
Oksanen Sofi
Ovaldé Véronique
Parker Dorothy
Réage Pauline
Reyes Alina
Rice Anne
Risa Wataya
Rozen Anna
Sagan Françoise
Scott Ann
Shelley Mary
Sorman Joy
Susann Jacqueline
Tardieu Laurence
Tartt Donna
Vigan (de) Delphine
Villovitch Héléna
Woolf Virginie
Yoshimoto Banana
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