Avec Code Source, le chef de file du cyberpunk William Gibson s’éloigne du futur pour décrypter notre passé proche, sur fond de paranoïa, de technologies de surveillance, d’art cybernétique et de conflit global. Un thriller éminemment politique et un texte philosophique à la fois snob, drôle et inquiétant.
Cela ne fait plus de doute, le cyber-espace évoqué pour la première fois en 1984 par William Gibson dans Neuromancien est bel et bien devenu une réalité. Un monde d’informations existe en effet, superposé au notre. Aujourd’hui, via la technologique GPS (Global Positioning System ou « système de géolocalisation par satellite ») il suffit de quelques routeurs wifi judicieusement disposés pour faire exister ce monde d’informations, ou cet univers virtuel et paradoxalement bien réel, parallèle à celui dans lequel nous évoluons. Plus de science-fiction donc, dans les romans de l’écrivain américain : avec des technologies de communications toujours plus omnipotentes et omniprésentes, tout ce que prévoyait le maître du cyberpunk, fait désormais parti de notre quotidien.
Quête paranoïaque dans un passé proche…
Avec Code Source, le lecteur se trouve plongé dans une lecture tout à fait personnelle, et souvent déstabilisante, du monde qui nous entoure. Thriller politique foncièrement engagé, le premier pour son auteur, mais aussi manifeste philosophique, le nouveau Gibson montre que l’on a beau être l’inventeur d’une version rebelle et quasi-socialiste de la science-fiction (en l’occurrence, le cyberpunk et ses multiples dénonciations d’un capitalisme libéral sauvage et des ses effets néfastes sur les sociétés), cela n’empêche pas de savoir lire le passé pour mieux exposer son point de vue sur l’état monde actuel. Code Source se déroule donc dans un « passé proche », en 2006 pour être exact, et William Gibson en profite pour nous projetter dans l’ambiance paranoïaque post-11 septembre d’une guerre de renseignements, opposant une mystérieuse administration (d’état ?) et un ancien membre de la CIA. Mais s’agit-il vraiment d’une administration, et le « vieil homme » est-il vraiment membre de la CIA ? C’est dans cet embrouillamini inter-services souterrain que se trouveront pris une journaliste freelance, ex-membre d’un groupe rock culte employée par un avatar européen de Wired, un ingénieur paranoïaque DJ à ses heures, quelques membres des forces spéciales, une étrange famille sino-cubaine et un accro aux tranquillisants, tous à la recherche plus ou moins volontaire d’un mystérieux container.
Une élite de surhommes amoraux
Une intrigue qui semble n’être qu’un prétexte de l’auteur pour nous présenter ses théories personnelles sur le fonctionnement du monde, et celui de son pays d’origine, depuis les attentats du 11 septembre. En effet, le jeu nommé paranoïa dans lequel les divers protagonistes sont engagés malgré eux est-il sérieux, ou bien n’est-ce qu’une vaste et coûteuse farce ? Tout comme le livre d’ailleurs ? Tel est la question, qui reste malheureusement en suspens. De fait, les Etats-unis de William Gibson semblent au bord de la crise de nerf, mais au-delà du jugement politique et du regard acide que l’écrivain porte sur les USA – un pays gouverné par une élite de surhommes amoraux – sa vision perspicace n’est-elle qu’une nouvelle manière de présenter une époque en totale perte de repères ?
Un territoire sans frontières dans lequel rien, ni personne, n’est ce qu’il semble être. C’est dans ce climat étouffant qu’évoluent des personnages incapables de réellement choisir leur voie. Question de style, cela donne un curieux sentiment d’apathie au lecteur. Une atmosphère qui répond au climat de paranoïa rampante du livre. Un choix qui donne un rythme tout sauf spectaculaire au roman, mais au final, comme dans beaucoup de livre de Gibson, s’avère à la fois irritant, glaçant et parfaitement hypnotique.
Les attributs cartographiques de l’invisible
Pour autant, ce nouveau Gibson n’est pas la coquille vide que certains ont cru voir. Il regorge d’idées brillantes et d’avis qui ne le sont pas moins. Les lecteurs de Gibson le savent bien, l’auteur aime la réalité, il adore décrire avec minutie les objets « réel » qui entourent ses personnages, en opposition à l’univers censément « artificiel » du cyberespace. A ce propos, il se demande constamment quelle importance peut bien avoir cette opposition dans un monde désormais entièrement constituée d’artefacts ? Il n’y a plus rien de « naturel » dans notre monde, semble dire l’auteur.
A ce propos, sa description du « locative art » (art proposant des œuvres « virtuelles » uniquement visible par des casques de RV) est exemplaire : « Ce sont les attributs cartographiques de l’invisible, dit-elle. Hypermédia à contextualisation spatiale (…) l’artiste annote chaque centimètre carré« . Et plus loin à propos du cyberespace incarné dans la grille GPS, qui permet a ce locative art d’exister, mais donne aussi une dimension géographique à l’information : « Le cyberespace est en train d’éclore (…) et une fois qu’on aura fini de le faire éclore il n’y aura plus de cyberespace, hein ? Il n’y en a jamais eu en fait. C’était une perspective, une façon de visualiser notre destination. Et avec la grille, on y est. On est passé de l’autre côté de l’écran. Ici même« .
Plus prosaïquement, l’auteur prend radicalement position contre la guerre en Irak et la torture, sans oublier de pointer du doigt les figures inquiétantes du capitalisme incarné ici par Hubertus Bigend, mystérieux magna de la finance, déjà rencontré dans Identification des schémas.
Avec Code Source, la boucle est enfin bouclée dans le vaste continuum Gibsonien. Avec le temps, le futur est devenu un vaste présent. Il n’y a pas d’autre avenir, nous n’avons que celui-là, semble nous dire Gibson, et il va falloir en profiter un peu mieux que ça ! A nous de voir si nous suivrons, ou pas, son conseil…
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