Le réalisateur français Nouvelle vague, François Truffaut qui a adapté le célèbre livre Fahrenheit 451 en 1966, a livré ses réflexions et son analyse des personnages et de l’intrigue ainsi qu’expliquer ses choix de mise en scène en particulier pour restituer l’atmosphère onirique du roman ou encore le travail de calcination des livres :
Les livres au premier plan dans Fahrenheit
Nous étions vraiment dans un film où les personnages principaux sont les livres : les personnages en chair et en os passent au second plan, comme quand je fais un film d’enfants : je tiens à ce que les enfants soient plus importants que les adultes. Les adultes restent dans l’arrière-plan. Là, j’avais conscience que c’étaient les livres. Mon travail consistait à essayer d’émouvoir avec ces brûlages de livres comme s’il s’agissait d’animaux martyrisés ou même de gens. Donc tout le travail était d’animer le plus possible, de rendre vivants ces livres avant de les faire mourir. Alors on a passé beaucoup de temps là-dessus, pour montrer les pages qui se tordent, se recroquevillent, qui noircissent. Et on s’est aperçu que c’est d’ailleurs très difficile de brûler des livres. Certains opposaient une très grande résistance et pour ceux que je tenais vraiment à brûler, j’étais obligé d’en faire venir plusieurs exemplaires, parce qu’on n’avait pas bien vu. Certains refusaient carrément de brûler. J’adore le feu. Je pense que c’est pour cela que j’ai adoré le livre et évidemment j’étais très heureux de faire ces scènes d’incendie. Ce sont les choses sur lesquelles je me suis donné le plus de mal dans le film, parce que je voulais que ce soit fort, comme pour les scènes de la vieille dame qui se laisse brûler avec ses livres plutôt que de s’en séparer, ou du héros qui « grille » son capitaine.
Sur le choix des livres représentés à l’écran : différence avec Bradbury
Sur le dernier incendie de livres, je crois qu’on peut lire les lignes en même temps qu’elles brûlent et d’après ces lignes on peut savoir de quel livre il s’agit. C’était un plaisir pour moi de faire ça. On voit par exemple : « Miss Blandish mit son chandail » ou « Les Frères Karamozov descendirent l’escalier ». Il y a aussi des auteurs que je ne pouvais pas ne pas citer, parce que je les adore, comme Audiberti ou Genet. D’ailleurs, si j’étais parti dans la forêt avec les hommes-livres, j’aurais appris par cœur pour le sauver le roman de Jacques Audiberti qui s’appelle Marie Dubois.
Montag, un anti-héros
Oskar Werner avait cru que son personnage de Montag était un héros, alors que pour moi, c’était quelqu’un de dissimulé et d’incertain, éventuellement d’enfantin. Je renie complètement le résultat de son travail, car on a sur l’écran un personnage auquel on ne comprend rien, une espèce de Burt Lancaster en modèle réduit, un gueulard arrogant et immodeste.
J’ai tenté d’être réaliste dans le scénario et onirique au tournage, en créant dans chaque scène, même normale, un déséquilibre, un malaise, une instabilité dont Hitchcock est le maître et dont il nous a appris le secret. Dans mes autres films, il me semble que je faisais passer en premier, parfois les personnages, parfois l’histoire. Pour Fahrenheit, la priorité a été systématiquement donnée à l’intérêt visuel.
Une atmosphère onirique épurée
Si, à l’arrivée, le film ressemble à un rêve, c’est tant mieux. Il n’y a pratiquement qu’une seule scène de science-fiction, celle des hommes-volants qui recherchent Montag en fuite. Les choses de science-fiction sont très difficiles à réaliser et risquent souvent d’être ridicules. À un moment, Bradbury écrit : « La ville bourdonnait. » Eh bien, c’est très difficile de faire bourdonner une ville. J’ai voulu éviter tout dépaysement systématique. C’est pourquoi j’ai demandé à Bernard Herrmann une musique dramatique de type traditionnel sans aucun caractère futuriste.
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