Dans le contexte de misogynie hautement patriarcale du XIXe siècle où le féminin était affublé de toutes les tares -en particulier l’hystérie- (et où la crainte de « l’efféminisation » et de l’influence féminine faisaient rage avec la montée des romancières notamment) avec un statut d’incapacité juridique de « mineure à vie » sous contrôle du mari selon le Code civil Napoléonien (1804), Émile Zola a consacré d’importantes pages à la femme, à sa condition, à sa prise d’autonomie (modérée), outre ses portraits féminins -souvent peu flatteurs- dans ses romans. Les rôles qu’il attribue à la femme restent traditionnels et oscillent entre épouse idéale, sœur, amante et source de vie. Il partage la position de George Sand et de Jules Michelet, dans leurs ouvrages respectifs Lélia, Jacques, L’amour et La femme, et se déclare contre les mœurs polygamiques, et en faveur du mariage en tant qu’union stable et solide.
Dans la lignée de l’ange au foyer victorien, Zola chante l’hymne de la femme dans la famille au service de la société. Contre toute forme de ségrégation, il demande que filles et garçons soient élevés ensemble. Il est pour une femme au centre de la famille, de la sphère domestique. Le 27 septembre 1868, dans La Tribune, il définit la mission de la femme, dans la droite lignée de son « rôle civilisateur » reconnu dés le XVIIe siècle en France avec les précieuses et le concept de « maternité républicaine américaine » (les mères au service de la république et des hommes qui la font) : « Être la collaboratrice de l’homme, dans l’œuvre commune, la compagne fidèle, l’appui certain, l’égale conciliante et dévouée. Il faut donc, avant tout, libérer la femme, libérer son intelligence. […] Que la femme au foyer ne soit pas seulement une ménagère et une machine à reproduction, qu’elle soit une âme qui comprenne l’âme de son époux, une pensée qui communie avec la pensée de l’homme choisi et aimé. » Balzac dénonçait quelques décennies plus tôt en 1829 le statut de « propriété mobilière » de la femme « acquise par contrat » et rien de plus qu’une « annexe de l’homme » dans son essai la Physiologie du Mariage. Victor Hugo, un temps président d’honneur de la Ligue française pour le droit des femmes, déplorait après la chute de Napoléon III en 1870 et la proclamation de la IIIe république : « Il y a des citoyens, il n’y a pas de citoyennes. C’est là un état violent, il faut qu’il cesse ». Même si Hugo était par ailleurs paradoxalement peu respectueux des droits des femmes dans sa vie privée (cf : « La vie sexuelle des grands écrivains« ).
Même si la position de Zola sur ce sujet est parfois contradictoire, il pose malgré tout la question sociale de la femme : son exploitation, son bas salaire, les problèmes du divorce (supprimé en 1816, rétabli en 1884). La femme lui reste une énigme et il reste réticent à sa libération excessive. Il ne la voit ainsi pas vraiment comme égale à l’homme comme il le déclare le 2 août 1896, dans le Gil Blas :
« Je ne suis certes pas hostile au mouvement féministe, à l’émancipation de la femme, mais n’exagérons rien. On a trop longtemps traité la femme en esclave et on n’a que trop tardé à lui reconnaître certains droits, mais de là à la considérer comme l’égale de l’homme, à la traiter comme telle, il y a loin. Ni moralement ni physiquement, elle ne peut prétendre à cette égalité et l’émancipation ne doit se faire que dans la mesure de nos mœurs, de nos usages, je dirai même des préjugés de notre édifice social. »
Dans Thérèse Raquin par exemple, il montre aussi son adhésion aux préjugés sexistes de son époque en sombrant dans la représentation cliché de l’anti-héroïne dont la nervosité aigue la ramène à la figure de l’hystérique et de la névrosée si populaire en son temps (à l’inverse son compagnon Laurent dont la sensibilité nerveuse se développe positivement à son contact et se convertit en sensibilité et talent artistique (cf. l’amélioration de ses toiles de peinture). La pathologie du système nerveux est devenue en 1867, depuis une vingtaine d’années, une des disciplines de pointe de la médecine. Le mot neurologie s’est répandu depuis 1845 et les dictionnaires médicaux vulgarisent la distinction des « névroses ». Dés le XVIIIe siècle, en Angleterre, la question des nerfs particulièrement féminins avait fait l’objet de traités médicaux dont notamment le English Malady, or a Treatise on Nervous Diseases of all kinds, as Spleen, Vapours, Lowness of Spirits, Hypochondriacal and hysterical Distempers (1733), célèbre du Dr Cheyne (docteur de l’écrivain Richardson, qui comme Zola qui s’appuyait sur les travaux du Dr Claude Bernard, en avait fait sa bible pour façonner ses personnages féminins de Pamela à Clarissa).
Il s’inscrit ainsi dans la lignée des romans réalistes d' »études de femmes » qui se développent depuis notamment les Frères Goncourt (qui publient en 1865 Germinie Lacerteux, lu avec intérêt par Zola) et Flaubert (Madame Bovary 1857), après avoir été initiées par Balzac (« Etude de femme » en 1830, Eugénie Grandet en 1833, etc.).
NB : La tradition remonte en réalité au XVIIe siècle avec les premières romancières françaises (Madeleine de Scudéry, Madame de la Fayette et les conteuses précieuses dans une certaine mesure). Outre Manche, le XVIIIe siècle a vu leur essor avec Richardson revisitant en réalité les romancières dites des amatory novels (avec Haywood, Delarivier Manley et Aphra Behn comme figures de proue) et les précurseurs de Jane Austen (de Charlotte Lennox à Fanny Burney, etc.) toutes rayées du canon littéraire masculin bien sûr 🙂
Il n’en reste pas moins qu’il voit la femme comme une cellule fondatrice de la société. Sans lui donner un rôle juste, affirme-t-il, on ne résoudra aucune question sociale. Par conséquent, l’éducation des filles est un point central de sa bataille sociale. Il faut soustraire la femme à l’influence du clergé et pleinement l’insérer dans la société, en la faisant sortir de l’ignorance. La lecture et l’école joueront à ce titre un rôle décisif pour lui.
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