La série Wilt de Tom Sharpe: Aventures rocambolesques et satire socio-politique anglaise


Tom Sharpe, trublion des lettres britanniques a connu le succès avec sa série Wilt (qui demeure sa plus belle réussite à ce jour) et plus particulièrement son tome 1 paru en 1976 : « Comment se sortir d’une poupée gonflable et de beaucoup d’autres ennuis« . Le titre donne immédiatement le ton: celui de la franche gaudriole qui ne l’empêche pas de brocarder les mœurs de l’époque, celle des seventies et de la libération sexuelle ou encore le milieu scolaire, la bureaucratie, l’industrie ou les services de police stupides… Maître de la comédie satirique british, héritier d’Evelyn Waugh ou encore de PG Wodehouse, Tom Sharpe est salué, comme ses cadets Jonathan Coe ou David Lodge et dans une moindre mesure Douglas Adams, pour sa plume acérée qui écharpe joyeusement la société anglaise thatcheriénne puis blairienne. Sa marque de fabrique ? Les situations quelque peu abracadabrantes voire absurdes… :

Wilt est un anti-héros trentenaire d’avant l’heure : le pauvre type middle-class, relégué à un job de sous-prof de littérature dans un collège technologique, où il tente d’intéresser des classes d’apprentis bouchers (surnommés sous le charmant sobriquet de « Viande 1 »), de maçons ou encore de « gaziers »…, au malheureux destin de Piggy dans « Sa majesté des mouches », DH Lawrence ou encore Orwell… Mais où le challenge est surtout de les « tenir tranquilles » !

« C’est au cours d’une de ces promenades (il pleuvait et sa journée avait été particulièrement éprouvante) que Wilt en arriva pour la première fois à l’idée qu’il ne pourrait jamais réaliser ses grands desseins tant que sa femme n’aurait pas été frappée par un malheur irrémédiable. Comme toujours avec Henry Wilt, ce ne fut pas une décision soudaine. Wilt n’était pas un décideur.
(…) Wilt ne savait jamais sur quoi il allait tomber en revenant chez lui, si ce n’est un mauvais dîner, quelques phrases bien senties sur son manque d’ambition, et un peu de micmac intellectuel mal digéré qui le laisserait pensif
« .

Ruminant sa frustration et pas prêt de pouvoir obtenir de l’avancement, notre homme est de surcroit affublé d’une épouse qu’il déteste littéralement. « Il s’était trompé de département, trompé de mariage, trompé de vie. »
La truculente « Eva », desesperate housewife des années 70 (la figure ne se périme laheureusement jamais !), façon Bree Van de Kamp, est une maniaque du plumeau tout autant que des activités artistico-culturelles en tout genre, de la poterie à l’art floral en passant par ses ventes de charité. Bref horripilante aux yeux de son mari qui en vient à fomenter une stratégie d’assassinat !
Mais ce dramatique projet va, contre toute attente et au gré d’une série de rebondissements inattendus et autre quiproquos, se muer en une burlesque mésaventure où notre Wilt n’est pas au bout de ses peines…

Tom Sharpe signe ici un récit rocambolesque parfaitement mené et maîtrisé, dans son crescendo, où les quiproquos s’enchaînent pour aboutir à la plus inattendue des situations : être inculpé pour le « meurtre » d’une poupée gonflable (et bien plus encore) ! Il fallait y penser. On saluera l’imagination de l’auteur et plus particulièrement ses dialogues par l’absurde qui marquent en général leur but : déclencher l’hilarité, sans trop en faire, autant que la surprise.

Les interrogatoires de Wilt par un inspecteur aussi excédé qu’obtus constituent sans doute les passages les plus réussis.
On se régale de voir ce dernier devenir littéralement fou face au flegme de notre homme qui ne sait plus de son côté comment s’extirper de cette méprise improbable et qui ira jusqu’à inventer des « aveux » savoureux pour qu’on le laisse en paix.
Les piètres tentatives de sa femme pour l’aguicher (mais qui réussit davantage à le castrer), sous les conseils ridicules de sa nouvelle amie et voisine féministe ainsi qu’homo refoulée, ne manquent pas non plus de piment.
Ce faux polar avec son enquête qui piétine (dans le pâté !) est aussi prétexte à brocarder au passage le milieu scolaire et ses petites mesquineries politico-administratives, le nivellement par le bas de l’éducation, la guerre des sexes sur fond de théories baba-cool sur la sexualité (la fameuse « touch thérapy », tout un programme !) rappelant le contexte de Garp d’Irving (autre livre situé à la même époque), et autres prétentions pseudo intello-culturelles de la petite bourgeoisie locale…

Wilt, en parfait loser cynique misanthrope, plutôt méchant, est un personnage réussi que l’on aime détester tandis que la brochette de ses collègues trouillards et gaffeurs vaut aussi le détour. Leurs réflexions sur la valeur de « culture générale » appliquée au monde des apprentis sont souvent des pépites : « Les cours qu’ils suivent, continua le principale avant qu’aucun contradicteur ne puisse intervenir du côté social, sont tous orientés vers la vie professionnelle à l’exception d’une heure, une heure obligatoire de culture générale. Le problème c’est que personne ne sait ce que c’est, la culture générale. »

Le couple « sexuellement libéré » Pringsheim est peut-être, lui, un peu trop caricatural en revanche : « Gaskell, mon mari, dit Sally, enfin ce n’est pas vraiment mon mari mais on a ce rapport ouvert… Bien sûr on est en règle et tout, mais je crois que sur le plan sexuel c’est important de ne pas se fermer d’option vous ne croyez pas ? »

Pas de grande réflexion existentielle, de profondeur psychologique ou d’effet de style mais l’écriture de Sharp est efficace et percutante, bien adaptée à cette farce moderne. Un bon story-teller qui sait orchestrer ses ressorts comiques et jouer du grotesque de ses personnages et situations. Du bon divertissement avec un minium de fond (petite satire sociétale).

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Les aventures de Wilt et de son encombrante femme se poursuivent dans 3 autres tomes supplémentaires :

1 Commentaire

  1. J’ai lu tous les Wilt ainsi que d’autres de ses oeuvres. C’est un malade , mais dans un sens que j’aime!

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