Dans ce premier roman, Audrey Diwan entraîne son lecteur dans une plongée, a priori anodine, dans l’univers des boutiques de mariage pour mieux dériver sur un récit en forme de road-movie urbain au féminin. Une amitié profonde entre vendeuses de robes de mariées qui a priori tout oppose se transformera en croisande inattendue, contre le mariage, ce mensonge social et cruel pour les âmes romantiques que sont les jeunes femmes élevées au mythe du prince charmant…
Les premiers symptômes sont apparus très tôt. Mes ongles sont devenus rouges, un rouge vif de supermarché, légèrement écaillés au bout, comme ceux des putes ou des femmes de ménage. Comme les siens surtout. Chez elle, ce laisser-aller était une revendication. Elle s’était accordé le droit de snober ces détails sans importance. Qu’on l’envie ou qu’on la haïsse, elle se moquait pas mal des regards posés sur elle. De toute façon, le monde, elle le tenait entre ses longues mains. Loge´ au creux de sa paume comme une bille de verre. Elle aurait pu jouer avec ou l’oublier dans un fond de poche. Qui aurait osé lui en faire le reproche ? Moi, je n’ai même pas eu le temps de me méfier, perdue dans la valse des catastrophes qu’elle provoquait tous les jours avec une rigueur maniaque. Je me suis jetée dans ses griffes avec une certaine allégresse.
Si j’avais eu un peu d’intuition, je ne serais jamais entrée dans cette boutique au néon clignotant, un néon qui hoquetait fièrement Mariage 2000 . Je l’avais choisie au hasard, un soir ou` je descendais le boulevard Magenta. J’avais repéré de loin sa grande enseigne rose et son offre imbattable sur la vitrine : « − 20 % sur les voiles en mousseline ». On approchait de l’été et mes parents m’invitaient à chercher un emploi pour les vacances. « Au lieu de méditer sur ton avenir à une terrasse de café, je te propose de trouver un petit boulot, histoire d’enrichir ton expérience. » C’est comme ça qu’elle l’avait dit, ma mère, en détachant bien des syllabes exaspérées et en donnant à son propose l’allure d’une menace terroriste.
A vingt-cinq ans, j’étais sur le point de boucler ma septième année d’études supérieures. Philosophie, ethnologie, histoire de l’art, je collectionnais les spécialisations qui ne menaient pas à la vie active et avais décidé de m’accorder une dernière tentative, en théologie cette fois, priant pour me trouver enfin une vocation. Mes parents y voyaient une stratégie inconsciente pour vivre à leurs crochets. Moi, j’y voyais une stratégie consciente pour prolonger cet état de désoeuvrement qui m’allait plutôt bien au teint. Mais je sentais que l’arnaque ne durerait pas éternellement. Et, pour ne pas avoir l’air de m’opposer à leur volonté comme une adolescente rebelle et attardée, une fois par an, je me dégotais ce fameux job d’été. Quand j’ai vu sur la vitrine de Mariage 2000 la petite note, « Recherche personnel urgent », je n’ai pas pu résister. Je ne pouvais pas deviner que ce néon me faisait comme des appels de phare, une incitation à la méfiance, « Vous devriez ralentir ou passer carrément votre chemin. » Non. La nuit tombait sur le bitume du boulevard Magenta. Je me suis enfournée dans la boutique le coeur léger et un petit grelot amical a tinté au-dessus de ma tête.
La pièce couverte de velours crème ressemblait à un vieux bordel sympathique. Même l’odeur, un dangereux mélange de patchouli et de bombe antitabac renforçait cette impression. Un peu partout, des mannequins de plastique, sourires éternels et brushing poussiéreux, tenaient la pose : la vie est belle. J’aurais juré que l’un d’eux me fixait avec une lueur d’ironie dans le regard. Je me suis baladée entre les robes de satinette, fascinée par ce dégueulis de dentelle blanche made in China et tous les rêves qui vont avec. Un haut-parleur invisible crachotait un slow des années quatrevingt mais à part ça, je ne percevais aucun bruit.
« Il y a quelqu’un ? » Ma phrase s’est perdue dans la soie. Minijupe léopard, talons qui claquent sur la moquette, elle a déboulé de l’arrière-boutique sans crier gare. « Non, madame Rémilleux. Je vous l’ai déjà dit, on ne fait pas ce modèle en 46. Et arrêtez de m’engueuler comme si c’était de ma faute. Si vous voulez vraiment faire quelque chose d’utile, vous n’avez qu’à appeler le fabricant et lui dire que c’est une forme de discrimination contre les femmes rondes de pas faire de robes dans cette taille-là. Parce qu’après tout, même les grosses ont bien le droit de se marier si quelqu’un leur propose. » Elle a raccroché son téléphone, ponctuant le bruit du clapet d’un « Quelle conne, celle-là ! » bien sonore. Ensuite elle m’a repérée dans un coin. Elle a rajusté son sourire et m’a foncé dessus avec la graˆce d’un TGV. Stoppant net à quinze centimètres de mon visage, moue arrogante, bras croisés, elle m’a demandé quel genre de cérémonie je comptais organiser. — On a quatre gammes de bouquets pour Madame, des smokings en veux-tu en voilà, et on peut même fournir tables, tréteaux et chaises en plastique. Par contre, pour l’alliance, faudra vous débrouiller vous-même, on n’en vend pas.
Elle avait une voix moirée, un timbre agacé avec de jolis reflets sarcastiques sur les bords. Difficile de lui donner un aˆge avec son maquillage brutal, la trentaine peut-être. Sa présence entre ces quatre murs relevait clairement de l’erreur de casting.
— Je ne viens pas pour ça. C’est pour l’annonce, je lui ai dit en pointant la vitrine du doigt.
— Ah bon ? elle a répondu avec un air sceptique. Ben, allons dans le bureau, alors.
Je l’ai suivie dans un genre de cagibi au fond du magasin. Son pas était un mélange de graˆce qui emmenait tout le corps à un rythme chaloupé, et de force, qui donnait à chaque mouvement une précision d’horloge. Son bassin se balançait de gauche à droite comme un métronome. « Tictac » aurait été l’onomatopée exacte pour qualifier sa démarche. Dans le bureau en question, il y avait juste une table bancale en Formica avec deux chaises de jardin éclairées par un lampadaire fatigué. Unique élément de décoration, un téléphone qui avait fait la guerre, du genre de ceux ou` on enfonce les doigts pour faire tourner les numéros, traînait dans un coin sombre. Je lui ai tendu une feuille avec mes références. Elle l’a prise sans la regarder, en a fait une petite boule compacte, l’a jetée à côté du téléphone pour qu’il se sente moins seul et s’est assise bien droite en face de moi. Elle a sorti d’un tiroir un papier administratif et un bic.
— Nom, aˆge, profession des parents ?
— Raphaëlle Kanahan, vingt-cinq ans. Mon père est ingénieur, ma mère femme au foyer.
— Bien.
Elle a rempli la case avec l’application d’un douanier américain et je n’aurais pas été tout à fait étonnée si elle m’avait demandé : « Transportez- vous une bombe à hydrogène dans votre sac à main ? » Je suis timide de nature, déteste l’idée d’un entretien, et ne sais en général que répondre quand on me pose une question sur moi. Face à elle, j’étais carrément terrorisée.
— Situation familiale ?
— Célibataire.
— Bien. Parents divorcés ?
— Non.
— Ah.
Elle a posé son stylo, un peu ennuyée à en croire la position de ses sourcils salement froncés. Elle a allumé une cigarette et tiré quelques bouffées rapides. Ce silence n’augurait rien de bon. Elle a jeté ses cendres sur la table, très naturellement, comme s’il y avait là un cendrier que j’étais la seule à ne pas voir.
— Est-ce que tu as déjà été mariée ?
Son ton était nettement suspicieux comme si elle cherchait un détonateur dans mon regard.
— Non.
— Est-ce que tu espères qu’un jour un type te passe la bague au doigt ?
Ça ressemblait à une question piège. Je n’étais vraiment pas à l’aise. Dans le doute, j’ai dit la vérité.
— Non.
Elle a posé les mains bien à plat sur la table et s’est penchée vers moi.
— Et si un type beau comme Delon, riche comme Crésus et intelligent comme c’est pas permis s’agenouillait devant toi, le regard humide, et te posait la question ?
— Je me demanderais juste ce que ça cache.
Et dans le doute, je le repousserais.
— Tu peux me regarder dans les yeux et dire « je le jure » ?
— Oui, je le jure.
Elle a eu un sourire vainqueur et je me suis rendu compte à ce moment précis qu’elle était très jolie, avec ses grands yeux presque verts et ses lèvres trop dessinées. Elle a écrasé son mégot d’un coup de talon méprisant, défait sa queue-de-cheval en tirant fort sur l’élastique et ébouriffé ses cheveux bruns.
— De toute façon, on n’est pas là pour faire du sentiment, a-t-elle conclu sans appel. Et pour le coup, j’ai opiné avec conviction. Ma propre mère m’avait confié un jour après trois verres de vin et une dispute de couple : «A l’église, la seule personne qui pleure sincèrement le jour où tu te maries, c’est ta mère. Parce qu’elle sait dans quelle galère tu es en train de te fourrer. Mais pour le bien et la survie de l’espèce, elle n’a pas le droit de te le dire. » Je n’avais que treize ans mais la formule s’était agrippée à ma mémoire.
— Allez, fais-moi un petit autographe en bas de la feuille à droite. Je m’appelle Lola. Je te présenterai les autres demain. Il faudra que tu sois là vers neuf heures.
J’ai griffonné mon nom avec le stylo qu’elle me tendait, et elle m’a arraché le papier des mains. Le petit grelot a mis fin à la conversation. Lola s’est levée et a fait un demi-tour droite pour accueillir un jeune couple.
« On a quatre gammes de bouquets pour Madame, des smokings en veux-tu en voilà, et on peut même fournir tables, tréteaux et chaises en plastique. »
Je n’existais plus. Pas de sentiment, elle avait dit.
2 Commentaires
pffffffffff… on en a marre de ces jeunes auteurs modeux qui s’improvise écrivain… Rien ne reste lorsqu’on ferme le livre… Déprimant!
Totalement incipide. Aucun style, un vocabulaire qui se résume à 100 mots. Clairement plusieurs heures de lecture perdues