Dans l’un des sept tomes les plus passionnants de ses journaux (« Inceste »), dans l’entre deux guerres, marqué de ses rencontres et amours avec des figures mythiques de la littérature allant d’Henry Miller à Antonin Artaud (ou encore sa correspondance avec D-H Lawrence sur qui elle a rédigé un essai) et de de la psychanalyse (René Allendy, Otto Rank…), dans le Paris Montparnassien des années 3O, Anaïs Nin, alors âgée de 30 ans va également faire la douloureuse expérience de l’avortement. Celle qui disait « J’ai déjà trop d’enfants. Il y a trop d’hommes sans espoir et sans foi dans le monde. Trop de travail à faire, trop de monde à servir, aider. J’ai déjà plus que je ne peux porter. » , va devoir se résoudre à faire disparaître, par amour des hommes et de l’art, ce petit être qui vit déjà en elle. Elle écrit à ce sujet un monologue poignant pour cet enfant qui ne doit pas naître :
« Je me suis assise dans le studio et j’ai parlé à mon enfant.
J’ai dit à mon enfant qu’il devrait se réjouir de ne pas être lâché dans ce monde où même les plus grandes joies sont teintées de souffrance, où nous sommes les esclaves des forces matérielles. Il a remué et m’a donné un coup de pied. Si plein d’énergie mon enfant, mon enfant à demi créé que je vais renvoyer au néant.
Renvoyer à l’obscurité, à l’inconscience, et au paradis du non-être.
Je t’ai connu ; j’ai vécu avec toi. Tu n’es que l’avenir. Tu es l’abdication.
Je vis au présent, avec des hommes qui sont plus près de la mort. Je veux des hommes, et non une future extension de moi-même, comme une branche. Mon tout petit, pas encore né, il fait très sombre dans la pièce où nous sommes assis tous les deux, certainement aussi sombre qu’à l’intérieur de moi où tu te trouves, mais il doit être plus doux pour toi de reposer dans ma chaleur que pour moi de rechercher dans cette pièce sombre la joie de ne pas savoir, de ne pas sentir de ne pas voir, la joie de rester calmement allongée dans cette chaleur et cette obscurité. Nous tous, à jamais condamnés à rechercher cette chaleur et cette obscurité, cette vie sans souffrance, cette vie sans angoisse, sans peur et sans solitude. Tu es impatient de vivre ; tu frappes de tes petits pieds, mon tout petit, pas encore né ; tu dois mourir.
Tu dois mourir avant de connaître la lumière, la souffrance et le froid. Tu dois mourir dans la chaleur et l’obscurité. Tu dois mourir parce que tu es sans père.
Voir la chronique complète : Journal d’Anaïs Nin 1932-34 « Inceste », l’imaginaire sensuel et l’interdit au pouvoir
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