C’est avec ce court et premier roman que Florian Zeller, figure désormais majeure de la littérature nouvelle génération française, a fait son entrée dans le monde des lettres. Un roman frais, pétillant mais qui révèle aussi derrière sa désinvolture de jeune-homme insouciant, une nostalgie, une fêlure inguérissable :celle de devenir adulte. Car c’est bien ce qui hante le jeune auteur (et que l’on retrouve comme fil conducteur tout au long de son oeuvre de façon plus ou moins marquée) : ce passage inéluctable à l’âge adulte et son cortège de désillusions sur un monde qui ne sait tenir aucune des promesses de l’enfance. Avec humour et poésie, le jeune-homme, alors âgé de 22 ans, à peine sorti de ses études de science-po, signe ici une première oeuvre plaisante, au charme léger et émouvant, pour laquelle il a reçu le prix de la fondation Hachette. Sous le signe de Shakespeare dont la phrase « que devient la blancheur quand la neige a fondu ? » a été le déclic de son inspiration…
« Je suis de la génération des assassins. De ceux qui, à l’arrivée du printemps, ont oublié les raisons de s’émouvoir.«
Un premier véritable chagrin d’amour, une première rupture entraîne inévitablement une remise en question ou tout du moins ébranle nos croyances naïves dans un idéal amoureux éternel. C’est en tout cas ce qu’éprouve le narrateur du premier roman de Florian Zeller, qui voit fondre ses « neiges artificielles » c’est à dire ses illusions d’enfant, ces jolis mensonges de bonheur et de paradis que les adultes racontent aux petits avant qu’ils ne découvrent en grandissant que leur blancheur est éphémère et que nous pataugeons dans la boue le plupart du temps…
La « thèse » développée dans ce roman peut paraître de prime abord bien mince et simpliste mais c’est pour le charme et la fraîcheur de la plume de l’auteur que l’on suit avec plaisir les interrogations et les atermoiements de son héros : un jeune parisien d’une vingtaine d’années fou amoureux d’une certaine « Lou » : « Dans mes rêves, elle m’appelait « mon ange » ; dans la vie de tous les jours, elle ne m’appelait pas. »
Lou, cette jeune femme fantomatique, insaisissable qu’il cherche ou attend en vain dans les rues de Paris, dans les dîners en ville ou les soirées branchées du « Star » où il s’ennuie et cultive son spleen amoureux. « Je me suis demandé ce que je faisais dans ce genre d’endroit, et j’ai pensé à Lou. Elle constituait finalement le seul motif de ma présence. Je n’avais aucune affinité avec ces lieux nocturnes dont le terme « boîte » résumait bien la dimension carcérale. » ou encore « J’étais à genoux pour ne pas céder, comme il eût été si facile, à la tentation du nihilisme de salon, au désenchantement mondain. »
Ces errances à la recherche d’un visage, d’une voix à aimer ou d’un corps qui servira d' »anesthésiant » pour une « âme fragmentée en milliards de petits désirs morbides » comme il l’écrit.
« Il paraît (…) que la réalité est une illusion due à un manque prolongé d’alcool. »«
Si la mélancolie et la tristesse sont omniprésentes, l’humour et l’autodérision constants de l’écrivain donnent à l’ensemble une fantaisie souvent décalée à ses déambulations dans Paris, de République à Bastille en passant par le Café de Flore ou le quartier latin…
Du pressing au métro, il nous conte avec malice ses petites mésaventures (retard, perte de téléphone portable…) du quotidien, ses détails qui prennent des dimensions insolites voire mystiques… « Il paraît que le succès actuel de Nietzsche s’explique en partie par le développement des transports en commun. Il est vrai que le concept de conflit de puissance prend une dimension tout à fait concrète quand on transpire en commun, quand on étouffe des manteaux, des sacs, des visages infinis des autres, et que chacun se découvre, aux heures, des compétences d’assassin, lorsqu’un strapontin se libère enfin. » ou encore « On peut dire que j’avais, en quelque sorte, la lucidité de Louis XVI, lorsqu’il avait noté dans son journal intime, à la date du 14 juillet 1789 : « Aujourd’hui, rien. » Le tout accompagné de titres amusants tels que « Métaphysique de la machine à laver » ou encore « Prologue ennuyeux »…
Il joue aussi de mise en abime et de l’ambiguïté avec sa propre identité en utilisant comme nom de famille de son héros « Deller » et en prénommant son meilleur « Florian »). Il anticipe déjà même les multiples taquineries qui lui seront faites ensuite : « A l’âge de 10 ans, lors d’une de ses expériences, il avait introduit dans une prise électrique un fil de fer qu’il tenait dans sa bouche. L’expérience avait été concluante, et la réaction instantanée. On l’avait hospitalisé plusieurs jours, car la décharge avait duré pratiquement une minute. On avait craint qu’il perdît la parole, mais, après des soins intensifs, les seules séquelles qu’il avait conservées étaient une volonté féroce d’écrire des livres, et une étrange coiffure : ses cheveux semblaient ‘être définitivement cristallisés sur son crâne comme des stalagmites désordonnées« .
Avec une grande justesse, il dresse, sous la forme d’un faux journal (le roman se place d’ailleurs sous l’égide du Journal de Jean-René Hugunin dont il cite un très joli passage en exergue), le portrait d’un jeune-homme flottant entre les frontières de la jeunesse et le début de sa vie d’homme, entre son insouciance et ses responsabilités (il évoque souvent un travail où il ne se rend jamais du reste). Un jeune-homme à la fois arrogant et fragile, maladroit et émouvant, qui fait souffrir et souffre.
Il dit les jeux de séduction, le désir de posséder toutes les femmes, l’envie d’aimer celle qui ne veut pas de vous, les paradoxes du désir (entre sentiment et acte purement sexuel), sa difficulté à trouver le juste équilibre entre les deux… « J’avais le cœur d’un enfant. C’est toujours avec son cœur d’enfant que l’on aime, et avec le reste que l’on trompe, que l’on se trompe. »
Bref, des thèmes éternels revisités sur un ton résolument moderne et contemporain, où il n’hésite pas à parler explicitement de sexe, sans fausse pudeur (commentant par exemple un baiser intime ainsi : « Le vertige est un liquide salé« . Sa vision de l’acte physique n’en reste pas moins fataliste et assez destructrice (« pulvériser » l’Autre). Car derrière la désinvolture, il y a la douleur et la violence qui éveilleront chez le héros des pulsions meurtrières…
On sent une vraie sensibilité et une voix propre qui émergent déjà très nettement de ce premier opus préfigurant les suivants.
Il a également un certain talent pour entremêler ses réflexions avec son récit : « La tristesse ne connaît pas les frontières classiques de la matière, elle s’empare de tout ce qui l’entoure, elle agit sur le mode nostalgique de la contamination ; on n’est pas triste dans une partie de soi-même seulement, on est emporté par la tristesse comme un torrent emporte les jeunes pousses de jonquilles, le liquide pénètre le corps dans son ensemble et n’en sort plus. On appelle ça une noyade. » Et tisser des parallèles entre les relations amoureuses/sexuelles, les générations et la musique ou encore la peinture (« l’impératif de destruction » et le vide qui nous habite aujourd’hui).
On sent qu’il possède une certaine culture (qui peut effectivement sonner très « Sciences-po » diront les mauvaises langues mais qui n’en reste pas moins intéressante) qui évite l’écueil de l’étalage artificiel et parvient, plus ou moins adroitement à rester fluide et en harmonie avec son propos. Sa préoccupation de l’esthétique des mots et de l’agencement des différents chapitres/parties se ressent déjà dans cette première œuvre qu’il a choisi d’organiser, en dépit de sa brièveté, en 3 parties, courtes et vivantes, elles-mêmes subdivisées ce qui donne du rythme et un côté très théâtral (avec un sens de la chute souvent désopilant), avec de nombreuses perspectives comme une scène vue sous plusieurs angles. Son évocation et sa nostalgie de souvenirs d’enfance avec sa mère est empreinte d’une certaine poésie. « Il y avait une terre au fond de moi qui me manquait. Une terre vers laquelle je n’avais cessé de me diriger sans le savoir. Tout le reste n’avait été qu’un prétexte vulgaire. Une façon d’éjaculer à néant à petits coups. » ou encore « Plus on grandit, plus on a d’atomes. Et plus on a d’atomes, plus on est composé de vide. La vie est une naissance à compenser. »
On trouve donc ici un vrai univers et un ton originial du jeune auteur même si l’on pourrait lui reprocher la facilité ou le manque de profondeur (souvent apparent) de certaines de ses idées et un lyrisme peut-être un peu enfantin parfois (« A l’absurdité du monde, je voudrais répondre par sa beauté. »). Mais c’est aussi ce qui fait son charme finalement.
1 Commentaire
Je rebondis sur cette idée de lyrisme. J’ai lu ce court roman il y a quelques semaines, et je me souviens m’être fait la même réflexion. Je ne dirais pas un lyrisme "enfantin", mais libre, sans recul, parfois maladroit. Et je suis d’accord avec l’auteur de cet article : c’est précisément ce qui fait, selon moi, la valeur de ce roman. Je sais que Zeller évoque souvent Kundera et que Kundera a écrit un article très valorisant sur Zeller. Or La vie est ailleurs, l’un des romans de Kundera (qui traite justement de la jeunesse) devait initialement s’intituler "L’âge lyrique". Quelque chose doit fondre au soleil. Le problème est de savoir ce qu’il y a en-dessous. La radicalité de la vingtaine plaide pour la réponse la plus désespérée : rien, rien du tout… C’est pourquoi Neiges Artificielles est un roman qui parle avec amertume et lyrisme de l’amer âge lyrique.