En quête d’espaces chaleureux et sincères, d’atmosphères épurées et cotonneuses ? Pour vous mettre à l’abri, on ne peut que vous conseiller Sweet home d’Arnaud Cathrine. Les traumatismes y côtoient des intentions douces et les violences de la vie la délicatesse d’un phrasé subtil. L’univers d’Arnaud se tient là, dans ses ouvrages et collaborations -musicales et cinématographiques- sensibles et éclairés.
Parle-nous un peu de ton rapport à la littérature…
Arnaud Cathrine : J’ai rencontré l’écriture de façon hasardeuse, vers l’âge de quinze ans. Ce n’est pas très glamour : mon professeur de français m’a fait participer à un concours de nouvelles et j’ai gagné. Après je n’ai plus arrêté d’écrire, découvrant une sorte de continent. La lecture est venue de façon concomitante, sitôt que j’ai découvert cet abri qu’est l’écriture, j’ai découvert l’autre pendant en terme de refuge qu’est la lecture. J’ai mis du temps à trouver « ma voix », je ne sais pas encore si je l’ai trouvée, mais je suis le chemin. Je suis passé par plusieurs phases de mimétisme, je me cherchais, jusqu’au jour où on tombe sur soi par défaut. Ça me permet de mettre sous le regard des autres quelque chose de moi plus léger et moins mensonger que dans l’espace de la parole. C’est aussi un miroir tendu aux personnes qui me tiennent à cœur.
Dans quelles circonstances écris-tu ?
AC : Je pars d’un lieu, d’un décor. Un fantasme du décor, comme un photographe. Je me laisse croire que le désir du livre tient dans celui d’habiter un désert texan ou Liverpool, après je fais en sorte de me prendre les pieds dans le tapis et me trahis. J’essaie de réunir les conditions de possibilité pour qu’il y ait le plus d’actes manqués, c’est difficile parce que j’ai tendance à vouloir tout maîtriser. Quand je vois à peu près ce que je dois raconter, j’essaie d’être courageux. Bernard Wallet, mon éditeur, a une intuition très juste, il voit à quel passage je me suis défilé ou j’ai trop bavardé. Quand j’écrivais Sweet home, je ne comprenais rien à ce que je faisais, j’ai trouvé le fil tendu aux trois quarts. C’est toujours et de plus en plus dur, parce que j’ai perdu l’inconséquence, un truc d’innocence, que je suis exigeant et entouré par des gens aussi exigeants. Quand un livre sort, j’en commence un autre, pour ne pas avoir de trou, d’angoisse. C’est important ne pas se laisser leurrer par l’espace médiatique qu’on nous laisse, si on nous en laisse. Il faut rester les mains dans la boue et travailler.
Tu pars d’un lieu visuel, mais aussi d’une émotion, pour écrire ?
AC : Oui, l’émotion n’a pas bonne presse en France, pour moi c’est le plus important ce côté humain. La construction uniquement cérébrale ne suffit pas. L’absence et la perte forment chez moi le geste de l’écriture, décliné de plusieurs façons avec plusieurs petites morts. C’est mettre deux solitudes bout à bout, celle de l’écrivain et du lecteur. Il y a quelque chose qui manque fondamentalement, à combler, dans l’amour, l’art, qu’on soit spectateur ou acteur. C’est illusoire, car on ne le trouvera jamais, mais ça remplit un peu. Je suis moins triste dans la vie grâce à l’écriture. Il ne s’agit pas de faire pleurer dans les chaumières ni d’en faire trop, mais d’émouvoir les gens. Ce qui est dur, c’est faire ressentir la violence sourde, en ce qu’elle ne peut pas sortir, mais tape. C’est ce que j’ai voulu faire dans Sweet home, contrairement à La Route de Midland dans lequel la violence est explicite. Sweet home est tout sauf une charge contre la famille, je dis juste que c’est la chose la plus dure à mener, et que les gens font ce qu’ils peuvent. Je n’ai pas adoré être ado, ou plutôt, je n’ai pas aimé la métamorphose, tu passes plein d’années avec des blessures à vif sans moyen de te protéger. C’est inépuisable pour moi d’un point de vue romanesque. Dans mon prochain livre, les personnages principaux sont des adultes, peut-être que j’ai un peu grandi…
Quelle place laisses-tu à la musique ?
AC : Quand j’ai commencé à écrire, la musique, je l’ai laissée derrière moi. L’écriture a tout pris, d’autant plus lorsque j’ai été publié. Jusqu’à ce qu’on me présente une jeune chanteuse qui s’appelait Daphné K., journaliste pour Aden. Elle a insisté pour qu’on travaille ensemble. J’avais Dominique A. et Barbara qui pesaient au-dessus de ma tête, je me disais : « je ne peux pas. » Puis, on a fait des duos, mais c’est problématique parce que je ne me l’autorise pas. Tout comme le jour où Geneviève Brisac m’a proposé d’écrire pour la jeunesse : c’était pour moi terrain interdit. Je ne me le permettais pas. La vie c’est une suite d’autorisations que tu te donnes. Ou pas. Au final, ça a débloqué des choses dans mon écriture. J’ai collaboré à un livre collectif avec Dominique A (Tout sera comme avant, éditions Verticales), c’était une première façon d’approcher de nouveau la musique. En réalité, j’ai commencé par la musique, j’ai un grand-père musicien qui m’a mis au piano et au chant très tôt. Jusqu’à l’âge de quinze ans, ça occupait tout mon temps, rétrospectivement je me dis qu’il aurait pu se jouer quelque chose de ce côté-là, et il n’est pas exclu d’ailleurs que quelque se passe de ce côté-là.
Avec le soutien de Florent Marchet ?
AC : Oui, on verra si Florent est assez endurant et persévérant pour m’y amener. Quand j’ai écouté son album, je me suis dit que ça faisait 10 ans que je voulais entendre ça, 10 ans que j’étais frustré par la soi-disant nouvelle chanson française que je trouve assez consensuelle et fade. J’attendais depuis longtemps des artistes comme Florent, Feist, etc. qui ont une présence sur scène et une grande inventivité au niveau des arrangements et textes. Nous sommes devenus amis, il a lu mes livres, maintenant on écrit des chansons et fait des lectures ensemble. On travaille sur un projet de livre/disque. J’aime mettre des écrivains en situation de performance et en correspondance avec des musiciens, plasticiens. Mais c’est difficile en France, de trouver des mains d’œuvre, rendre visible ce boulot de performance qui n’est pas de la promotion mais une vraie création.
Le Passager, le premier film adapté d’un de tes romans sort en février…
AC : Oui, le cinéma est venu à moi. Eric Caravaca, le réalisateur, m’a téléphoné, il avait lu certains de mes livres et m’a demandé si j’étais d’accord pour adapter La Route de Midland. Comme avec Florent, il y a une gémellité assez forte entre nous. On a travaillé tous les deux sur le scénario, ça m’a fait du bien de bosser avec quelqu’un. Je ne suis pas gardien du temple avec mes livres, j’ai dû forcer Eric à trahir le livre, piétiner des choses parce qu’il avait des scrupules. Il joue dans le film, le rôle de Thomas (Will dans le livre) aux côtés de Julie Depardieu, Nathalie Richard, Maurice Bénichou, Maurice Garrel, et Vincent Rottiers qui est très poignant, a une grande force d’émotion.
T’arrive-t-il de réfléchir à la cohérence de l’ensemble de tes travaux ?
AC : La cohérence se fait sans moi, mais j’y pense quand je fais des interviews et participe à des rencontres en classe ou en bibliothèque. J’aime bien rencontrer les lecteurs, ça permet d’avancer dans la réflexion, sur la littérature, sur ce qu’on fait, de voir où on est de son propre chemin. Là je suis en train de prendre un virage à 180 degrés. Si j’ai une certitude, c’est que Sweet home boucle dix ans de travail, sur des thématiques, des problématiques communes, mes envies d’explorer un certain champ romanesque. La musique, mes contributions à différentes revues, l’expérience cinématographique m’amènent à autre chose. Je me rends compte que les textes que j’ai écrits et qui ont été refusés m’ont amené à Exercices de deuil et Sweet home, il y a donc cohérence jusque dans les bras morts.
Propos recueillis par Claire Fercak pour Redux, avec son aimable autorisation. Mars 2006
Photo : © Claude Gassian
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