« Passer l’hiver » d’Olivier Adam possède des qualités rares : la justesse du propos, la sensibilité, la pudeur, l’attention aux menus détails de la vie quotidienne, l’exacte compréhension des choses et des êtres, et un sens du rythme qui rend son phrasé impeccable. Il est juste dans les évènements, le ton, le style. Jamais outrancier ou pesant ; sa langue sait se faire douce, silencieuse, élégante. Essentiellement influencée par la littérature américaine (Carver notamment) ou par le « comportementalisme sensible » d’un Maurice Pialat au cinéma, son écriture très narrative vise une efficacité immédiate, avec une grande sobriété, s’attachant à décrire la vie de personnages évoluant dans une certaine insécurité sociale, malmenés par les rapports sociaux. Passer l’hiver est un recueil de neuf nouvelles simples, émouvantes, souvent sublimes qui a reçu le prix des Editeurs, et la bourse du Goncourt de la nouvelle.
Au fond, il nous offre les plus belles phrases de ces derniers mois littéraires : « Je suis tombé sur cette phrase : la tristesse durera toujours . Pialat débarquait dans ce foutu dîner, s’asseyait, mangeait sa charlotte et déballait tout, et tout ce qu’il disait me bouleversait, le moindre de ses mots me touchait. Regarder ça me donne envie de mourir. La beauté me donnait toujours envie de mourir, elle me plongeait dans un état de fragilité extrême difficile à expliquer.»
C’est la mort d’un être cher, la fin d’une histoire d’amour, une aventure d’une nuit, le retour à la maison familiale d’un repris de justice, un soir de réveillon quand on est obligé de travailler. Infirmière, père de famille ou chauffeur de taxi, des gens comme on en croise tous les jours, des gens ordinaires aux accents carvériens. D’une certaine manière, ils en sont tous au même point de leur vie, une vie qui les a usés jusqu’à la corde, les a déçus ou les angoisse. À l’instar d’Antoine, héros de la première nouvelle qui se saoule en apprenant la mort de Maurice Pialat ou de cette caissière de station-service, chacun est à un moment de son existence où un infime grain de sable peut enrayer la machine et lui faire atteindre un point de non-retour.
« Quand ils ont fermé les ateliers, ça a été la foire pendant deux trois semaines et puis après on n’en a plus parlé (…) Il n’y a que moi qui ai retrouvé du boulot, parce que je suis plus jeune. Ca fait deux ans que je bosse dans ce supermarché. Ce n’est ni mieux ni moins bien qu’avant. C’est juste insupportable, comme n’importe quel boulot de merde. » (En douce).
Les histoires et les personnages d’Olivier Adam nous parlent avec une acuité exceptionnelle de tout un chacun, de l’amour qui s’en va, du désir qui s’estompe, de la fragilité humaine, des doutes et incertitudes sur le sens de notre vie. Mais aussi des petits instants bouleversants, d’un enfant qui vous aime, c’est pourquoi ils ont une réelle résonnance en nous et nous donne tout de même envie de croire à un certain bonheur, pas celui des brochures clinquantes et brillantes, mais un autre plus discret et indéfinissable… « Jérémie a hoché la tête. Il s’est rapproché de moi, s’est blotti. Je pouvais sentir son crâne, ses cheveux, sa peau d’enfant. Au bout d’un moment, j’ai entendu sa respiration profonde et calme. » (De retour).
Un bonheur cotonneux qui laisse filtrer une lumière ouatée comme celle émise par ses mots feutrés et cristallins comme des flocons de neige. Des mots savamment économisés pour toujours tomber dans la juste impression. Des mots qui savent aussi parfois faire silence quand cela s’impose.
Entre émotion et pudeur, sans jamais esthétiser la misère des personnages à la dérive, des constats sombres, entre tristesse et élégance, il nous laisse finalement l’impression que la vie vaut la peine, qu’il faut continuer encore, tenir bon, au-delà de l’hiver et des rudesses du temps, pour la beauté et la préciosité d’un instant, d’une caresse, de quelques mots. [Claire Fercak]
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