Divers entretiens fournissent des renseignements intéressants sur les références littéraires de l’écrivain et réalisateur Yann Moix (« Podium », « Anissa Corto »…), grand lecteur de Spirou à Charles Péguy ! De son enfance à l’âge adulte en passant par son adolescence, il revient sur les grands auteurs qui l’ont marqué, lui qui dit « fonctionner par admiration ». Et livre quelques commentaires, plutôt sévères, sur ses confrères écrivains contemporains et la littérature moderne française :
Quelles ont été vos premières lectures ?
« J’ai été un mordu de BD. De 1971 à 1981, j’ai lu tout ce qui paraissait. Spirou, bien sûr, mais aussi les réalistes, les comiques, les burlesques, qu’ils soient en français ou en langues étrangères. J’étais boulimique. Je me relevais la nuit pour lire. J’étais abonné à une revue spécialisée. A 9 ans, je pouvais citer cinquante noms de dessinateurs, je dessinais moi-même leurs personnages. Aussi bien ceux de Gotlib et Reiser que des Japonais, des Albanais, des Turcs. J’en avais une connaissance encyclopédique. Il y avait un côté un peu monstrueux à cela. A Orléans, il y avait un petit magasin rue des Carmes qui devait faire une trentaine de mètres carrés, La Capotière. Il était tenu par M. et Mme Capot. Lui était un petit barbu baba cool très sympathique. J’y allais avec un ami qui est devenu architecte. Ils nous ont initiés à Hara Kiri , à Charlie Hebdo et au fanzine PLGPPUR (Plein la gueule pour pas un rond). Un jour, ils ont fait venir une de mes idoles, Fred. Inoubliable. Il m’a dessiné un super-poster que j’ai toujours. »
Et en littérature ?
« Le premier livre que j’ai lu, c’était « Le Petit Chose » d’Alphonse Daudet, en 1978, en classe. J’avais 10 ans. Je suis tombé en extase. Ça a changé ma vie. Puis il y a eu Gide. A la suite de la lecture d’un passage de « Si le grain ne meurt », j’ai lu, de 13 ans à 16 ans et demi, tout ce qui était publié par et sur André Gide. Un copain d’Orléans que j’avais perdu de vue pendant vingt-cinq ans m’a dit quand nous nous sommes retrouvés : « Tu étais attachant mais extrêmement exaspérant avec Gide. » J’ai été le plus jeune membre de l’Association des amis de Gide. »
Un de mes écrivains favoris est un spécialiste du voyeurisme : Gombrowicz. J’ai d’ailleurs pompé, dans Anissa Corto, dix lignes de l’une de ses nouvelles, où un type en choisit arbitrairement un autre dans la foule et proclame qu’il est son maître, se soumettant à lui alors que l’autre ne lui a rien demandé… J’ai repris le passage dans lequel il va à la boulangerie, et paye des croissants d’avance à son maître pour un an ! (source Chronicart)
Et parmi les écrivains orléanais ?
« Il y a eu Péguy, né à Orléans en 1873, la même année que sainte Thérèse de Lisieux. En 1897, il publie son premier livre sur Jeanne d’Arc, tiré à 1 000 exemplaires. Il en a vendu un seul. Ça me donne le vertige.
Sur la tête de ma mère, j’ai lu tout Péguy – y compris les 229 Cahiers de la quinzaine . C’est un des auteurs les plus drôles et les plus comiques de la littérature française.
Parce qu’il est mort à la guerre, le samedi 5 septembre 1914, on a voulu en faire un poète nationaliste, catholique, chiant. On a tort. C’est un génie absolu et bourré d’humour. Je rêve de faire un livre uniquement à partir de citations de lui. A Orléans, il y a une place Charles- Péguy. Il a aussi une statue qui, en 1944, a reçu un éclat d’obus au front, à l’endroit même où la balle qui l’a tué à la guerre l’a touché. »
Orléans (sa ville natale, ndlr) a inspiré d’autres écrivains…
On sait par sa correspondance que Céline aimait Péguy. « Guignol’s Band » se passe au Grand Café place du Martroi, près de la statue de Jeanne d’Arc. D’une certaine façon, la matrice de Céline, c’est Péguy. Proust, qui a fait son service militaire à Orléans, où il a passé le moment le plus drôle et le plus joyeux de sa vie, s’en est également inspiré dans « A la recherche… ». Doncières, c’est Orléans.
(Source : L’Express)
Vous écrivez, comme Louis-Ferdinand Céline, une langue très parlée. Vous pastichez Céline ? (question posée à l’occasion de la sortie de « Partouz »)
Non ! Péguy. Charles Péguy. Pas Céline. Péguy ! Ses répétitions, sa manière de progresser… J’ai eu une illumination en lisant Péguy.
Qand vous dites que Philippe Djian est un très mauvais écrivain, vous le pensez ?
« Oui, c’est un très mauvais écrivain, il n’a pas écrit un seul mot juste. Il a pollué les années 1980 et les adolescents qui l’ont lu à l’époque sont passés à autre chose : aux dîners d’affaires, à la calvitie. Il est comme la musique des années 1980 : on ne peut pas la faire revivre. » (Source : Evene)
« D’une manière générale, et c’est quelque chose que je ne suis pas parvenu à développer de façon satisfaisante dans ce roman (Anissa Corto, ndlr), ce qui explique que vous me parliez plutôt de Donald, ce sont les rapports entre art et science. J’ignore si c’est possible, mais je voudrais fondre les deux… Houellebecq a essayé et, de ce point de vue-là, je trouve que Les Particules élémentaires est un ratage ; Dantec a essayé aussi et ça ne donne qu’une sorte de magma illisible -même si leurs livres restent des grands livres ! Chez Houellebecq cela reste une juxtaposition qui peine à établir les rapports entre science et littérature, quant à Dantec, c’est tellement mal assimilé que cela ne donne rien. (Il nous explique son objectif personnel, que nous ne comprenons pas très bien, sans oser le lui avouer. Il emploie l’expression « science du flou », particulièrement adaptée à son propre exposé.) Abraham Moles s’intéresse beaucoup à ça, dans La Science de l’imprécis. Littérairement, je ne sais pas encore ce que ça pourrait donner, mais je cherche dans cette zone-là. » (source : Chronicart)
Réflexion sur la littérature extraite de son roman « Les cimetières sont des champs de fleur » au cours d’une interview littéraire fictive (et parodique) du personnage principal :
« La littérature, depuis des lustres, s’est appauvrie, formée surtout de nombrilistes et de savants, d’éjaculateurs précoces ou de journalistes (mais le journaliste est à l’écriture ce que l’éjaculateur précoce est au priape). Elle est encombrée, encore, de commerçants très absorbés par les intérêts matériels. L’affairisme y domine, et laisse peu de place aux aspirations d’art et de culture. Quant à l’amour, il est traité, si j’ose dire, par-dessus la jambe : ce n’est que de baise qu’il s’agit. ref : les plumes s’étiolent depuis des années et l’époque de la « grande littérature française » semble bel et bien révolue. »
A propos de ses « techniques » d’écriture :
« J’écris à toute vitesse. Je ne mets la ponctuation qu’après. Je fais abstraction de tout ce qui a pu se faire avant. Dans une liberté totale, sans me soucier du lecteur… En fait, j’écris très rarement. J’écris dans ma tête, ensuite je recopie. » (source : Fondation Lagardère)
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